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Full text of "Chansonnier historique du XVIIIe siècle"

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in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/chansonnierliisto05raun 


CHANSONNIER    HISTORIQUE 

DU    XVIIIe    SIÈCLE 

RECUEIL     DE     CHASSONS,     VAUDEVILLES 

SOSSETS,    ÉPIGBAMMES,   ÉPITAPHES 

CT     AUTRES     VERS      SATIRIQUES     ET      HISTORIQUKS 

Formé 
Avec  la  Collection  de  Clair  amhault,  de  Maure  pis 

ET    AUTRES     M  A  X  U  j- C  R  I  T  S     INÉDITS 


ÎIECUEIL     CLAIRAMBAULT-MAUREPAS 


CHANSONNIER 


HISTORIQUE 


DU    XVIII«    SIECLE 

Publié  avec  Introduction,   Commentaire,  Notes  et  Index 

PAR 

EMILE    R  A  UNIE 

ARCHIVISTE      PALÉOGRAPHE 

Orné  de 
Fortraits  a  l'eau-forte  par   ROUSSELLE 


PARIS 

A.  QUANTIN,    LMI'RTMEUR-ÉDITEUR 


7,    RUE    SAINT-BEXOIT, 
I881 


DEUXIEME   PARTIE 


LE   RÈGNE   DE    LOUIS  XV 

MINISTÈRE    DU    DUC    DE    BOURBON 
ET    DU    CARDINAL    FLEURY 


I724-I742 


LOUIS  HENRI  DE  BOURBOîî-CO^DE 

\l)  PreTT.ier  mmislre  de  Louis  XV  © 


Rousselle  se. 


A.Quani-.n  Iinp  iidit- 


LIBRARY 
UNn^ERSITY  OF  CALÎFORNT. 


INTRODUCTION    HISTORIQUE 

LE   RÈGNE   DE    LOUIS  XV 

MINISTÈRE    DU    DUC    DE    BOURBON 
ET    DU    CARDINAL    FLECHY 


4     PEINE  Philippe    d'Orléans,  premier   ministre   de 
j\.  Lonis  XV,  venait-il  de  rendre  le  dernier  soupir  qne 
le  duc  de  Bourhon,  suivi  d'une  foule   de  courtisans,  se 
rendit  chez  le  roi.  Le  jeune  prince,  tout  en  larmes,  avait 
à  ses  côtés  l'èvêque  de  Frèjus,  son  précepteur,  qui,  le  pre- 
mier moment  de  la  douleur  passé,  lui  conseilla,  pour 
réparer  la  perte  qu'il  venait  de  faire,  d'offrir  à  monsieur 
le  Duc  la  place  du  défunt;  il  regarda  l'évcque  sans  mot 
dire,  et  donna  son  approbation  par  un  signe  de  tête.  Le 
secrétaire  d'État  La    Vrilliére,  qui    avait    dressé  par 
avance  la  patente  du  ministre,  proposa  de  lui  faire  prêter 
serment;  l'èvêque  et   le  roi   acceptèrent,   et  le   dite    de 
Bourhon  s'empressa  de  prononcer  la  formule  accoutumée. 


II  Introduction   historique. 


A  insi  la  succession  politique  du  Régent  se  trouva  réglée 
quelques  ijistants  après  sa  mort. 

Le  nouveau  maître  de  la  France,  Henri-Louis  de 
Bourbon,  arrière-petit-Jils  du  grand  Condé,  était  alors 
âgé  de  trente-neuf  ans;  il  7i  avait  aucime  expérience  des 
affaires  :  la  chasse  avait  été  jusqu  'alors  sa  principale  oc- 
cupation ;  à  peine  l'avait-il  délaissée  quelque  temps,  à 
l'époque  du  Système,  pour  satisfaire  par  l'agiotage  la  cu- 
pidité traditionnelle  de  sa  famille.  Il  n'avait  certes  pas 
tous  les  vices  de  son  prédécesseur,  mais  il  n  avait  pas  non 
plus  ses  brillantes  qualités,  et  ?ie paraissait  guère  capable 
de  se  concilier  l'affection  oïl  l'estime  du  peuple  qu'il  était 
appelé  à  régir.  Esprit  étroit  et  sans  volonté,  il  obéissait 
aveuglément  à  son  impérieuse  maîtresse,  la  fille  du  trai- 
tajit  Berthelot  de  Plenezf,  dez'enue  marquise  de  Prie. 
«  Avec  de  la  beauté,  l'air  et  la  taille  de  nymphe ,  beaucoup 
d'esprit,  et  pour  son  âge  et  son  état  de  la  lecture  et  des 
connaissajices,  dit  Saint-Simon,  c'était  un  prodige  de 
l'excès  des  plus  funestes  passions  :  ambition,  avarice, 
haine,  vengeance,  domijiation  sans  ménagement,  sans 
mesure,  sans  vouloir  souffrir  la  moiiidre  contradictioji, 
ce  qui  rendit  son  règne  un  régne  de  sang  et  de  confusion.  » 
Désireuse  de  suppléer  à  l'incapacité  de  so7i  amant,  elle 
choisit  pour  son  conseil  des  guides  éclairés,  les  frères 
Pâris-Duver7iay ,  habiles  financiers  qui  avaient  opéré  la 
liquidation  du  système  de  Law,  et  avec  leur  concours 
elle  inspira  tous  les  actes  du  gouvernement.  ^  A  la  vertu 
près  c'était  wie  héroïne,  écrit,  avec  juste  raison,  l'abbé 
Legendre  :  oji  lui  rendait  compte  de  tout,  elle  avait  des 
commis  chez  elle  à  qui  elle  dictait  les  dépêches,  et  c'était 


Duc  de  Bourbon. Cardinal  Fleury.     m 

elle  proprement  qui  gouvernait  l'Etat  sous  le  nom  de 
monsieur  le  Duc.  »  L'Angleterre  comprit  qu'il  fallait 
compter  avec  sa  toute-puissance  et  lui  offrit  la  pension 
qu'elle  payait  naguère  au  cardinal  Dubois  ;  la  marquise 
accepta  en  attendant  les  contrihutiojis  qu' elle  se  proposait 
d'arracher  à  la  France. 

Au  début  de  son  ministère,  monsieur  le  Duc,  donnant 
tin  exemple  d'intolérance  qui  parut  a7issi  singulier 
qu'odieux  après  la  Régence,  persécuta  les  protestants  :  il 
leur  ititerdit  l'exercice  de  leur  religion  et  de  le^ir s  pro- 
fessions et  décréta  la  confiscation  de  leurs  biens.  Son  or- 
domiance,  plus  sévère  encore,  s'il  était  possible,  que  les 
édits  de  Loiùs  XIV,  ne  fut  heureusemeiit  pas  mise  à 
exécution,  et  le  premier  ini7iistre  l'oîiblia  bientôt,  préoc- 
cupé qu'il  était  de  ses  intérêts  personnels  et  du  soin 
d'affermir  son  pouvoir.  Le  Régent,  comme  on  le  sait, 
avait  fiancé  Louis  XV à  une  i^ifante  d'Espagne,  qui  était 
venue  habiter  Versailles  en  attendant  qu'elle  fût  en  âge 
d'épouser  le  roi.  Mais  son  extrême  jeunesse  retardait 
pour  longtemps  V accomplissement  du  mariage  ;  si  dans 
l'intervalle  Louis  XV venait  malheureusement  à  mourir, 
la  couronne  passait  aie  duc  d'Orléans,  le  fils  du  Régent, 
qui  avait  tout  récejnment  épousé  une  princesse  de  Bade 
et  que  monsieur  le  Duc  considérait,  à  bon  droit,  comme 
un  ennemi  personnel.  C'était  là  lui  danger  qît'il  fallait 
conjurer  sans  retard,  en  renvoyant  l'infante  de  cinq  ans, 
et  en  s'assurant  d'une  reine  plus  mûre,  capable  de 
donner  zin  Dattphin  à  la  France.  Une  courte  maladie  du 
jeune  roi  qui  inspira  des  craintes  à  son  oitour âge  pré- 
cipita l'exécution  de  ce  projet  :  07i  dressa  îine  liste  des 


Introduction  historique. 


princesscsdc  l'Europe  qui  pouvaient  convenir  à  Louis  XV, 
et  la  marquise  de  Prie  examina  les  raisons  qui  militaient 
en  faveur  de  chactine  d'elles.  Ufi  moment  il  fut  question 
des  sœurs  de  monsieur  le  Duc,  mai  s  la  favorite, redoutant 
leur  caractère  altier,  les  écarta;  il  en  fut  successivement 
de  même  pour  toutes  les  princesses  qiii  appartenaient  aux 
familles  régnantes,  et  celle  que  Von  choisit  dut  presque 
uniquement  la  couronne  à  l'obscurité  dans  laquelle  elle 
avait  passé  sa  vie  :  c'était  Marie  Leczinslia.  Fille  d'un 
seignetir  polonais  qu'tcn  caprice  de  Charles  XII  avait 
jadis  pourvu  du  trône  de  Pologne  et  que  la  politiqtie  de 
Pierre  le  Grand  en  avait  dépouillé,  la  future  reine  ré- 
fugiée avec  son  père  à  Wissembourg,  y  vivait  dans  un 
paisible  isolement  d'une  modique  pension  que  le  minis- 
tère de  France  payait  fort  mal.  Oji  parla  de  ses  vertus 
et  de  sa  douceur  à  J/'"^  de  Prie,  pour  qui  cette  indication 
fut  U7i  trait  de  hunier e  ;  elle  comprit  combien  il  lui  serait 
facile  de  dominer  une  reine  étrangère  à  l'intrigue,  et  de 
mettre  a  profit  pour  goiLverner  le  roi  la  reconnaissance 
qu'elle  ne  manquerait  pas  de  tètnoigner  à  cetix  qui  l'au- 
raient élevée  au  trône.  Monsieur  le  Duc  pensa  comme 
sa  maîtresse;  l'infante  d'Espagne  fit  renvoyée  à  son  père 
et  le  mariage  de  Louis  XV  avec  la  fille  de  Stanislas 
Leczinsl'i,  déclaré  /^  27  mai  1725,  fut  célébré  trois  mois 
après. 

Dès  lors  monsieur  le  D21C  et  sa  maîtresse,  assurés  de 
la  gratitude  de  la  reine,  et  confiants  dans  l'appui  qu'elle 
devait  leur  prêter,  se  laissèrent  aller  à  tous  leurs  caprices. 
On  fit  un  procès  à  l'ancien  secrétaire  d'Etat  de  la 
guerre.  Le  Blanc,  qui  avait  eu  le  malheur  de  déplaire  à 


Duc  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury.      v 

la  favorite j  et  on  l'enferma  à  la  Bastille  conivie  coupable 
de  concussion  :  mais  l'opinion  picbliqne  se  prononça  en 
sa  faveur  et  îtJi  arrêt  du  Parlement  le  mit  à  l'abri  d'une 
persécution  inique.  D'aîitre  part,  pour  subvenir  aux 
besoins  ÎJicessants  d'une  administratio7i  sans  éco7iomie, 
les  frères  Paris  se  virent  obliges  de  recoîcrir  à  de  nou  - 
veaux  impôts  tels  que  la  ceinture  de  la  reine,  cojitri- 
hution  oppressive  pour  les  corps  de  métiers,  et  le  cin- 
quantième, taxe  qui  devait  être  perçue  en  nature  sur 
tous  les  biens  du  pays.  Le  Parlement  refusa  d'enregistrer 
les  édits;  on  triompha  de  son  obstination  par  la  tenue 
d'un  lit  de  justice.  Aux  vexations  des  gouvernants  vin- 
rent s'ajouter  toutes  sortes  de  calamités  qiii augmentèrent 
les  maux  de  la  France.  L'intempérie  des  saisons  n'avait 
pas  permis  aux  moissons  de  mûrir  :  l'état  des  récoltes  fit 
craindre  une  disette,  et  cette  inquiétude  amena  îine 
grande  cherté  de  la  farine.  Des  gens  en  crédit  formèrent 
aussitôt  des  magasins  et  gagnèrent  des  sommes  immenses 
par  le  inonopole  du  blé.  Il  y  eut  des  soulèvements  popu- 
laires provoqués  par  le  prix  du  pain,  et  quelques  mal- 
heureux furent  exécutés;  cette  répression  parut  d'autant 
plus  odieuse  que  les  frères  Paris,  la  marquise  de  Prie  et 
le  premier  ministre  lui-tnême  étaient  soupçonnés  d'avoir 
spéculé  sîcr  la  misère  publique.  Aussi  la  nation  entière 
se  déchaîna-t-elle  violemtîient  contre  le  ministère,  caicse 
première  de  ses  malheurs;  toutes  les  classes  de  la  société 
avaient  souffert  de  soft  ineptie  ou  de  sa  cupidité  et  s'en 
plaignaient  hautement;  l'évêque  de  Fréjus  prit  sur  lui 
de  satisfaire  les  opprimés  et  de  les  débarrasser  de  cette 
agence  de  pillards.  En  présence  du  mécontentement  gêné- 


VI  Introduction    historique. 

rai, il  conseilla  au  duc  de  Bourbon  de  chasser  delà  cour 
If  me  d^  Prie,  qui  était  dame  du  palais  de  la  reine.  Le 
duc  fit  la  sourde  oreille,  et  la  favorite  menacée  résolut  à 
son  tour  d'exiler  le  précepteur  ;  mais  tout  son  crédit 
devait  échouer  dans  cette  entreprise  dont  l'uniqiLe  résultat 
fut  sa  disgrâce  et  celle  de  S07i  amant. 

Le  précepteur  du  roi,  qui  aurait  pu,  lors  de  la  mort 
du  Régent,  pre7idre  la  direction  des  affaires  aussi  facile- 
ment qu'il  l'avait  fait  donner  à  monsieur  le  Duc,  s'était 
borné  à  garder  pour  lui  la  feuille  des  bénéfices.  A  ce  titre, 
il  réglait  seul  toutes  les  questions  religieuses  ;  de  plus, 
comme  il  assistait  aux  entretiens  de  monsieur  le  Duc 
avec  le  roi  relatifs  aux  questions  politiques,  il  pouvait, 
grâce  à  l'ascendant  qu'il  avait  su  prendre  sur  son  royal 
disciple,  intervenir  sans  cesse  dans  le  gouvernement. 
M^^de  Prie,  fermement  résolue  à  annuler  son  influence , 
essaya  de  lui  enlever,  avec  le  concours  de  la  reine,  tout 
contrôle  sur  les  affaires  de  l'État.  Dans  ce  but,  elle  en- 
gagea Marie  Leczitiska  à  conseiller  à  son  époux  de  venir 
travailler  chez  elle  avec  son  premier  ministre  :  le  précep- 
teur, qui  n'avait  aucun  prétexte  poicr  suivre  le  roi 
dans  cette  intimité,  devait  ainsi  se  trouver  naturellement 
exclu,  et  perdre  insejisiblement  le  crédit  dont  il  jouissait. 
Dès  que  ce  système  eut  été  mis  en  pratique,  Fleury  en 
devina  la  portée  et,  quoique  incertai?i  si  le  roi  était  du 
complot  ou  si  l'on  avait  surpris  sa  bonne  foi,  il  prit  le 
parti  de  s'éloigner.  Il  écrivit  donc  au  prince  une  lettre 
d'adieu,  fer  me  et  respectueuse,  mais  empreinte  de  tristesse, 
da7is  laquelle  il  lui  communiquait  son  intention  bien 
arrêtée  de  finir  ses  jours  dans  la  retraite;  cela  fait,  il  se 


Duc  de   Bourbon.  Cardinal   Fleury.      vu 

rendit  à  Issy,  dans  wie  maison  de  campagne  attenant 
au  sèmiiiaire  des  Sidpiciens,  «  son  refuge  habituel  quand 
il  était  inécoîitent  ou  feignait  de  l'être  »,  comme  le  dit 
malicieuseme'nt  Voltaire. 

Lorsque  le  roi,  de  retour  chez  lui,  lut  la  lettre,  il  fut 
vivement  affecte  du  départ  de  son  précepteur.  C'était 
peut-être  le  seul  personnage  delà  cour  pour  lequel  il  eût 
une  affection  sincère,  car  il  avait  toujours  trouvé  en  lui 
un  conseiller  bienveillant  et  un  maître  aimable  qui  le 
charmait  par  sa  physionomie  imposante  et  sereine,  par 
la  douceur  de  so7i  caractère,  par  le  son  même  de  sa  voix. 
A  la  pensée  de  ne  plus  le  revoir,  il  fondit  en  larmes.  Le 
duc  de  Mortemart,  premier  gentilhomme  de  la  chambre, 
témoi7i  de  sa  douleur,  lui  remontra  qu'il  était  facile  de 
tout  réparer  en  ordonnant  à  monsieur  le  Duc  de  rap- 
peler l'évêque.  Fort  soulagé,  le  foi  accepta  la  proposition; 
le  premier  minisire  se  vit  contraint  d'écrire  à  Fleury 
pour  lui  transmettre  le  désir  du  prince,  et  le  préccpteiir 
revint  à  la  cour.  S'il  affecta  de  ne  point  se  plaindre  et 
de  ne  demander  ni  satisfaction  ni  vengeance,  ce  fut  pour 
travailler  activement  à  débarrasser  l'Etat  de  tous  ceux 
qui  prenaient  part  au  gouvernement  depuis  la  Régejice. 
Il  prépara  si  habilement  la  disgrâce  du  premier  ministre 
que  celui-ci  n'eut  aucun  soupçon  de  l'orage  prêt  à  éclater 
sur  sa  tête.  Le  w  juin  1726^  le  roi,  partant  pour  Ram- 
bouillet, invita  monsieur  le  Duc  à  venir  le  rejoindre  et 
lui  reco77imanda  de  ne  pas  le  faire  attendre  pour  souper; 
quelques  heures  après,  le  Duc,  à  son  grand  éton?tement, 
reçut  de  M.  de  Charost,  capitaine  des  gardes,  l'ordre  de 
se  retirer  à  Chantilly  oie  ît?te  escorte  le  conduisit  sans 

V.  b 


VIII  Introduction   historique. 

retard  :  sa  maîtresse  fut  reléguée  à  Courhcpine  en  Nor- 
mandie, oie  elle  devait  bientôt  mourir  de  douleur  et  de 
rage.  Et  le  roi  lui-même  prit  soin  d'écrire  à  la  reine, 
qu'il  savait  toute  dévouée  aux  deux  exilés,  de  se  conformer 
désormais  aux  volontés  de  son  précepteur  comme  aux 
siennes  propres.  La  chute  du  preîiiier  ministre  fut  ac- 
cueillie avec  enthousiasme  par  toute  la  nation,  et  le 
peuple  de  Paris  aurait  même  fêté  soji  départ  par  des 
feux  de  joie  si  la  police  7i' eût  pris  soin  d'éviter  un  pareil 
affront  à  un  prince  du  sang.  Tandis  que  les  favoris  de 
monsieur  le  Duc  résignaient  leurs  fonctions,  Fleury  rap- 
pelait ses  victimes  ;  le  secrétaire  d'Etat  Le  Blanc  revint 
au  département  de  la  guerre,  et  Le  Pelletier  Des  Forts 
remplaça  au  contrôle  général  des  finances  le  conseiller  de 
j/nic  ^^  Prie,  Pâris-Duvernay,  momentanément  enfermé 
à  la  Bastille.  Ouvertement  honoré  de  la  confiance  du. 
roi,  le  vieil  évcque  prit  alors  la  direction  des  affaires,  et 
la  garda  sans  interruption  pendant  les  dix-sept  derjiières 
années  de  sa  vie. 

«  S'il  V  a  jamais  eu  quelqu'un  d'heureux  S2ir  la 
terre  »,  remarquait  Voltaire,  c'était  sa?is  doute  le  car- 
dinal de  Fleury  ;  la  fortune  l'avait  élevé  insensiblement 
mais  sûrement  au  premier  poste  de  l'Etat.  Fils  d'un  re- 
ceveur des  tailles  du  Languedoc,  il  avait  été  produit  à  la 
cour  de  Louis  XIV  par  le  tout-puissant  cardinal  de 
Bonzy  dont  la  protection  l'avait  mis  en  rapport  avec 
les  grande  s  familles  de  la  cour,  et  lui  avait  valu  la  charge 
d'aumônier  de  la  reine  et  puis  du  roi.  L'archevêque  de 
Paris  le  soutint  auprès  de  Louis  XIV,  qui  le  trouvait 
trop  dissipé  et  V  estimait  médiocrement,  et  il  fut  nommé 


Duc  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury.      ix 

à  l'évêché  de  Frèjus.  Mais  ce  siège  lointain,  dans  un 
pays  peu  agréable,  pesait  au  prélat  comme  un  exil  :  il 
disait  plaisamment  que,  dès  qu'il  avait  vu  sa  femme,  il 
avait  été  dégoûté  de  so7i  mariage,  et  terminait  une  de  ses 
lettres  adressée  au  cardinal  Ouirini  par  cette  signature 
facétieuse  :  Fleury,  évêque  de  Fréjus  par  l'indignation 
divine.  Aussi  se  dé^nit-il  le  plus  tôt  qu'il  pîit  de  ses  fonc- 
tions, prétextant  à  ses  diocésains  que  l'état  de  sa  santé  le 
mettait  désormais  dans  l'impuissance  de  veiller  à  son 
troupeau  ;  i?iais,  à  vrai  dire,  il  n'avait  jamais  été  ma- 
lade. Son  abnégation  méritait  récompense  ;  on  lui  donna 
l'abbaye  de  Tourmts  où  il  eut  l'occasion  de  se  signaler 
par  quelques  rigueurs  contre  les  jansénistes,  et  ce  zèle  de 
circonstance  le  désigna  aux  faveurs  de  Louis  XIV ;  ap- 
puyé par  le  maréchal  de  Villeroy,  il  obtint  du  roi  mourant 
le  titre  de  précepteur  du  jeune  Louis  XV.  Grâce  à  ses 
fonctions,  il  put  vivre  à  la  cour,  calme  et  retiré,  durant 
les  folies  de  la  Régence,  et  jeter  les  bases  de  sa  grandeur 
future  en  s'assurant  par  un  dévouement  bien  entendu 
l'affection  et  la  confiance  de  son  disciple. 

Le  Régent  et  Dubois,  jaloux  de  soji  crédit,  lui  offrirent 
pour  l'éloigner  l'archevêché  de  Reims,  mais  il  le  rcfiisa 
avec  autant  d'habileté  que  de  modestie  :  il  ne  voulait 
point,  disait- il,  se  laisser  distraire  des  soins  qu' il  donnait 
à  l'éducation  du  jeune  roi.  A  la  mort  du  duc  d'Orléans, 
ce  fut  hci  qui  prépara  les  voies  au  duc  de  Bourbon,  et 
son  désintéressement  n'était  encore  qîi'îcn  calcul  intelli- 
gent. Prendre  le  potivoir  avant  monsieur  le  Duc  c'était 
affrojiter  une  dangereuse  rivalité  ;  mieux  valait  le  lui 
confier  et  attendre  une  occasion  favorable  pour  le  sup- 


Introduction   historique. 


planter.  L'occasion  n'avait  pas  tardé  à  se  présenter,  et 
l'évëque  de  Frèj'us  s'était  emparé  sans  bruit  et  sans 
éclat  de  lu  direction  des  affaires,  avec  l'entier  assentiment 
du  roi  et  de  la  nation.  Quelques  mois  après  le  chapeau 
de  cardinal,  que  vionsieur  le  Duc  l'avait  empêché  jtis- 
qu' alors  d'obtenir,  lui  fut  doiuié  par  la  cour  de  Rome,  et 
ajouta  a  ses  dig7iités  le  seul  honneur  qu'il  pût  eiicore 
ambitionner. 

Ennemi  du  faste  et  de  l'éclat,  et  sacrifiant  volontiers 
l'apparence  à  la  réalité  du  pouvoir,  le  cardinal  Fleury 
ne  demanda  point  le  titre  de  premier  7ninistre  et  se  con- 
tenta d'en  avoir  tout  le  crédit.  Sans  attire  fonction  qtie 
celle  de  conseiller  att  conseil  du  roi,  il  assistait  à  toutes 
les  conférences  des  ministres  avec  le  prince,  et  réglait 
toutes  les  mesures  à  prendre.  L'expression  de  sa  volonté 
devenait  un  ordre  absolu,  et  le  roi,  accoutumé  à  son  asce7i- 
dant  voilé,  mais  toujours  efficace,  ne  potivait penser  autre- 
ment que  hii.  «  jamais  roi  de  France,  dit  à  ce  propos 
Saint-Simon,  noîtpas  même  Louis  XIV,  n'a  régulé  d'une 
mafiière  si  absolue,  si  sûre,  et  si  éloignée  de  toute  contra- 
diction, et  n'a  embrassé  si  pleinement  et  si  despotiqueynent 
toutes  les  différentes  parties  dti  gotivernement,  de  l'Etat 
et  de  la  cour  jusqiCatix  plus  grandes  bagatelles.  Le  feu 
roi  éprouva  souvent  des  etnbarras  par  la  guerre  domes- 
tique de  ses  ministres  et  quelqtiefois  par  les  représenta- 
tions de  ses  généraux  d'armée  et  de  quelques  grands 
distingués  de  sa  cotir.  Fleury  les  tint  tous  à  la  même 
mesure^  sans  consultation,  satis  oser  hasarder  nul  débat 
entre  eux.  Il  ne  les  faisait  que  pour  recevoir  et  exéctitcr 
ses  ordres  sans  la  pltis  légère  réplique,  pour  les  exéctitcr 


Duc  de  Bourbon^,   C ardinal  Fleury.      xi 

très  ponctuellement  et  lui  rendre  simplement  compte, 
sans  s'échapper  une  ligne  an  delà  et  sans  que  pas  tin 
d'eux  ni  des  seigneurs  de  la  cour,  des  dames,  ni  des 
valets  qui  approchaient  le  plus  du  roi  osassent  proférer 
une  seule  parole  à  ce  prince  de  quoi  que  ce  soit  qui  ne 
fût  bagatelle  entièrement  indifférente.  »  Le  crédit  de 
Fleury  était  si  fortement  établi  qu'il  eût  été  dangereux 
de  rien  tenter  auprès  du  roi  contre  lui;  la  reine  le  savait 
bien  et,  quelqiie  irritée  qu'elle  piit  être  de  l'exil  de  ses 
protecteurs,  elle  ne  songea  pas  un  seul  instant  à  inter- 
venir en  leur  faveur,  pas  plus  qu'elle  ne  chercha  à  in- 
fluer sîcr  le  gouverjiement. 

Le  cardinal  prenait  le  pouvoir  dans  un  moment  favo- 
rable, car  la  France,  épuisée  par  les  terribles  secousses 
qui  l'ébrajilaient  depuis  un  quart  de  siècle,  appelait  de 
tous  ses  vœîLx  le  rétablissement  de  l'ordre  au  dedans  et 
le  maintien  de  la  paix  à  l'extérieur.  Pour  donner  satis- 
faction au  pays  dont  les  aspiratioîis  s'accordaiejit  avec 
son  caractère  pacifique,  Fleury  concentra  vers  ce  double 
but  tous  les  effortsjîe  sa  politique.  Esprit  médiocre,  sans 
principes  arrêtés,  rendu  timide  par  so?i  gratid  âge  plus 
encore  que  par  son  naturel,  il  ne  songea  jamais  à  éblouir 
par  l'apparence  d'une  fausse  grajideur  et  se  préoccupa 
surtout  d'assurer  le  repos  de  l'Etat.  La  France  put  donc 
respirer  sous  son  gouvernement,  qui  fut  pour  elle  l'époque 
la  plus  heureuse  du  règiie.  Aussi  n'y  a-t-il point  lieu 
d'être  surpris  si  les  historiens  ont  prodigué  leurs 
éloges  au  vieux  ministre,  et  le  témoignage  du  sévère 
Duclos  peut  être  regardé  sur  ce  point  comme  un  échc^ 
fidèle  de  l'opinion  publique. 

V.  ,  b. 


XII  Introduction   historique. 

«  L'èvêqiie  de  Frèjiis,  dit-il,  sans  changer  le  plan  du 
gouvernement  qu'il  trouvait  établi,  et  qui  aurait  eu  besoin 
d'une  autre  forme  dans  la  partie  des  finances,  établit,  du 
moins,  une  administration  économique,  qu'il  suivit  con- 
stamment dans  tout  le  cours  de  sa  vie  que  dura  son 
ministère.  On  peut  lui  reprocher  trop  de  confiance  dans 
les  financiers.  Il  ne  pouvait  ignorer  que  leur  prétendu 
crédit  n'est  que  celui  qu'ils  tirent  eux-mêmes  du  roi, 
quand  ils  paraissent  le  lui  prêter.  Il  les  soutint,  faute 
de  connaître  les  moyens  de  s'en  passer,  ou  craignant 
peut-être  d'entreprendre  à  son  âge  une  réforme  qu'il 
71  aurait  pas  le  temps  d'achever  ou  de  consolider.  Il  y 
suppléa  par  l'ordre  et  l'économie,  qui,  dans  quelque  gou- 
vernement  que  ce  soit,  doivent  être  la  base  de  toute  ad- 
ministration. Ce  qu'il  y  a  déplus  essentiel  pour  la  régie, 
il  en  donnait  l'exemple.  Jamais  ministre  ne  fut  si  dés 
intéressé.  Il  ne  voulait  en  bénéfices  que  ce  qui  lui  était 
nécessaire,  sa7is  rien  prendre  sur  l'État,  pour  entretenir 
U7ie  i7iaiso7i  77iodeste  et  une  table  frugale .  Aussi  sa  suc- 
^essio7i  eût  à  peine  été  celle  d'im  i7iédiocre  bourgeois,  et 
7i' aurait  pas  suffi,  à  la  dixiéi7ie  partie  de  la  dépense  du 
tombeau  que  le  roi  lui  a  fait  élever. 

«  Coi7Wte  je  7ie  vetix  que  re7idre  justice  et  7i07i  faire 
U7i  éloge,  je  7ie  dissi77iulerai  pas  qiLon  reproche  avec  rai- 
S071  à  ce  77ii7iistre  d'avoir  laissé  tomber  la  77iarine.  So7i 
esprit  d'économie  le  troi7ipa  sur  cet  article.  Sa  confia7ice 
en  Walpole  lui  fit  croire  qu'il  pourrait  e7itretenir  avec 
les  Anglais  U7ie  paix  inaltérable,  et  en  C07iséque7ice  s'épar- 
g7ier  la  dépense  d'une  77iari7ie.  Il  devait  se7itir  que  la 
j:o7iti7niité  de  la  paix  dépendait  du  soin  qu'il prciiait  de 


Duc  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury.     xiii 

la  conserver,  qii'elle  tenait  à  son  caractère,  et  que  des 
circonstances  imprévues  et  forcées  pouvaient  toujours 
allumer  la  guerre  avec  les  Anglais,  7ios  ennemis  naturels. 
Par  une  contrariété  singulière,  il  craignait  d'entreprendre 
des  réformes  que  son  grand  âge  ne  lui  permettait  pas 
d'achever,  et  en  d'autres  occasions  il  agissait  comtne  s'il 
se  f lit  cru  immortel. 

«  S'il  a  porté  quelquefois  trop  loin  l'économie,  ceux 
qu' elle  gênait  e?i  mur  mitr  aient,  et  tâchaient  de  persuader 
qu'il  ne  voyait  pas  les  choses  en  grand;  et  mille  sots  qui 
ne  voient  ni  en  grand,  ni  en  petit,  répétaient  le  même 
propos.  Mais  le  peuple  et  le  bourgeois,  c'est-à-dire  ce  qu'il 
y  a  de  plus  nombreux,  de  plus  utile  dans  l'État,  et  en 
fait  la  hase  et  la  force,  avaient  à  se  louer  d'un  ministre 
qui  gouvernait  un  royatime  comme  iine  famille.  Quelque 
reproche  qu'on  puisse  lui  faire,  il  serait  à  désirer  pour 
l'Etat,  il  serait  à  désirer  qu'il  n'eût  que  des  successeurs 
de  son  caractère,  avec  une  autorité  aussi  absolue  que  la 
sienne.  Ce  qui  enfin  est  décisif,  on  n'a  pas  regretté  la 
Régence,  on  a  maudit  le  ministère  de  monsieur  le  Dilc, 
on  voudrait  ressusciter  son  successeur,  et  nous  savons  à 
quoi  nous  en  tenir  sur  ce  que  noiis  avons  vu  depuis.  » 

Aiîisi  que  l'on  peut  en  juger  par  ce  dernier  trait,  si  le 
ministère  du  cardinal  Fleury  parut  2inc  heureuse  époque 
aux  contemporains,  ce  fut  surtout  par  comparaison  avec 
les  temps  qui  l'avaient  précédé  et  ceux  qui  le  suixnrent. 
Entre  les  folles  aventures  financières  de  la  Régence  et  du 
ministère  de  monsieur  le  Duc,  et  la  domination  méprisable 
des  favorites  de  Louis  XV,  l'administration  paisible  du 
cardinal  Fleury,  le  soin  qu'il  apporta  à  rétablir  l'ordre 


XIV  Introduction  historique. 

devis  les  finances  épuisées,  à  maintenir  la  paix  ati  dehors 
et  à  développer  au  dedajis  le  commerce  et  l'industrie,  mc- 
ritaietit  d'être  considérés  comme  des  bienfaits.  Mais,  en 
somme,  par  ses  actes,  aussi  bien  que  par  ses  résultats, 
S071  gouvernement  fut  loin  d'être  aussi  favorable  à  la 
France  qu'on  l'avait  espéré,  et  sa  politique,  qui  péchait 
tout  à  la  fois  par  manque  de  grandeur  et  par  e.xcès  de 
timidité,  ne  fut  pas  souvent  heureuse.  Dès  le  début  il 
s'attira  une  légitime  popularité  par  la  suppression  du 
cinquantième  ;  mais  l'édit  de  la  réduction  des  rentes  la 
lui  fit  perdre  tout  aussitôt ,  et  le  rôle  qu'il  joua  dans  les 
querelles  religieuses  contriSua  fortement  à  le  discréditer 
aux  yeux  de  la  7iation. 

Momentanément  négligées  sous  le  ministère  de  monsieur 
le  Duc,  les  controverses  relatives  à  la  bulle  Unigenitus 
allaient  susciter  de  nouveaux  troubles,  et  l'intolérance 
du  cardinal  devait  se  montrer  encore  plus  rigoureuse 
que  le  fanatisme  du  P.  Le  Tellier.  Autrefois  ja?iséniste 
ardent,  Fleury  était  passé  par  calcul  du  côté  des  jésuites, 
et,  désireux  de  tout  pacifier,  il  était  bien  décidé  maintenant 
à  ne  pas  ménager  ses  adversaires  qu'il  considérait,  non 
sans  raison,  comme  des  fauteurs  de  désordre.  Dès  le 
début  de  son  mifiistère,  il  trouva  une  occasion  favorable 
pour  déployer  à  l'égard  des  appelants  la  sévérité  par 
laquelle  il  espérait  triompher  de  leur  résistance.  L'évêque 
de  Senez,  Jean  Soanen,  se  croyant  sur  le  point  de  mourir, 
avait  adressé  à  ses  diocésains  une  instruction  pastorale, 
en  forme  de  testament  spirituel ,  dans  laquelle  il  expliquait 
son  opposition  à  la  bulle  et  renouvelait  son  appel  au  futur 
concile.  Fleury  ordonna  aussitôt  la  tenue  d'un  concile 


Duc  de  Bourbon^  Cardinal  Fleury.      xv 

provincial  pour  jn^er  ce  prélat  récalcitrant.  Otiatorze 
évéqties  assemblés  à  Embrnn,  sons  la  présidence  de 
Tencin,  l'nn  des  hommes  dont  l'Église  de  France  avait 
le  moins  à  s'enorgueillir,  furent  appelés  à  juger  la  con- 
duite d'un  vieillard  universellemejit  estimé  et  qui  vivait 
comme  un  apôtre;  Soanen  fut  déclaré  coupable  et  des- 
titué de  ses  fonctions  èpiscopales.  C'est  en  vain  que  les 
appelants,  le  cardinal  de  Nouilles  à  leur  tête,  protestèrent 
cojitre  cette  décision  ;  c'est  en  vain  que  cinquante  avocats 
au  Parlement  conclurent  dans  une  consultation  célèbre  à 
la  nullité  d 'un  coficile  que  les  jansèyiistes  qiialifiaient  de 
brigandage.  Fleury,  inflexible  et  résolu  à  faire  un 
exemple,  confirma  la  sentence  portée  contre  Soanen, 
qu'im  ordre  du  roi  exila  à  l'abbaye  de  la  Chaise-Dieu. 
Peu  après,  un  coup  tout  aussi  violeyit  et  7ion  moins 
imprévu  vint  encore  frapper  les  jansénistes  :  ce  fut  la 
rétractation  du  cardinal  de  Noailles.  Par  sa  haute 
situation  le  cardinal  était  tout  à  la  fois  l'homme  le  plus 
marquant  et  le  plus  influent  du  parti  jansénien,  et,  bien 
que  l'indécision  de  son  caractère  et  ses  variations  perpé- 
tuelles n' eussent  jamais  permis  d'attendre  de  lui  un  con- 
cours sérieîix,  les  jansénistes  étaient  fiers  de  le  compter 
dans  leurs  rangs.  Fleury  résolut  de  leur  enlever  cet 
appui  plus  nominal  que  réel,  et  supplia  l'archevêque  de 
Paris  d'assurer  par  une  soumission  entière  au  Saint- 
Siège  la  paix  de  l'Église  de  Fra?ice.  Le  P.  de  La  Tour, 
général  de  l'Oratoire  et  conseiller  intime  de  Noailles,  le 
secrétaire  d'État  Chauvelin,  le  duc  de  Noailles,  neveu  du 
cardinal,  et  sa  nièce  la  duchesse  de  Grammont,  désireux 
de  plaire  au  ministre,  talojuièrent  si  bien  le  vieil  arche- 


XVI  Introduction   historique. 

vêque  qu'à  la  fin  il  céda  et  se  laissa  arracher  un  man- 
dement par  lequel  il  acceptait  sans  réserve  la  Constitution 
Unigenitus  et  révoquait  tous  ses  actes  d'opposition  anté- 
rieurs. Mais  le  cardinal  de  Noailles  avait  une  autre 
nièce,  la  duchesse  de  La  Valliére,  zélée  janséniste  qui 
avait  pris  ses  mesures  pour  annuler  la  soumission  qu'elle 
redoictait  de  la  part  de  son  oncle,  en  lui  faisant  signer 
d'avance  mie  déclaration  par  laqiielle  il  désavouait  tout 
ce  qu'il  pourrait  faire  à  l'avenir  en  faveur  de  la  bulle. 
Aussi  le  peuple  de  Paris  fut-il  étrangement  surpris 
lorsqu'il  vit  afficher  le  viême  jour  et  presque  à  la  même 
heure,  à  la  porte  des  églises,  deux  écrits  du  cardinal  qui 
se  détruisaient  mutuellement.  Il  devint  toutefois  bien 
évident  que  Noailles  restait  toujours  l'adversaire  de  la 
bîille,  puisqu'il  déclara  par  deux  actes  subséquents,  l'un 
du  ly  décembre  1728^  l'autre  du  id  février  1729^  c'est- 
à-dire  deux  mois  avant  sa  mort,  qu'il  n'avait  jamais  eu 
la  pensée  d'accepter  la  Constitution.  Mais  en  dépit  des 
rétractations  tardives  du  prélat,  Fleury  était  arrivé  à 
ses  fins;  s' il  71' avait  pas  obtenu  la  soumission  de  Noailles 
il  avait  du  moins  ruiné  le  crédit  et  l'influence  du  car- 
dinal par  le  spectacle  de  ses  brusques  et  incompréhen- 
sibles variations.  Aussi  la  mort  de  Noailles  causa-t-elle 
peu  de  tristesse  aux  jansénistes. 

Son  successeur,  cependant,  le  leur  fit  regretter.  M.  de 
Vintimille,  évêque  d'Aix,  appelé  à  l'archevêché  de  Paris f 
se  montra  dès  le  principe  partisan  résolu  de  la  Constitic- 
tion  et  voulut  faire  adopter  ses  idées  au,  clergé  de  son 
diocèse.  Les  résistances  qu'il  rencontra  ne  l'arrêtèrent 
pas  :  approuvé  par  le  cardinal  Fleicry  et  secondé  par  le 


Duc  de  Bourbon.  C ardinal  Fleury.      xvir 


lieutenant  de  police  Hérault,  il  eut  recours  à  la  violence. 
Les  prêtres  opposants  furent  interdits  ou  exilés  ;  la  Sor- 
bonne,  d'oie  Von  avait  exclit  par  lettre  de  cachet  tous  les 
docteurs  appelants,  adhéra  à  la  Constitution,  et  les  maîtres 
de  Sainte-Barbe,  soupçonnés  de  jansénisme,  se  virent 
brutalement  arrachés  de  leur  école  et  remplacés  par  des 
Sulpicicns.  Ces  mesures  de  rigueur  n'étaient  que  les 
préliminaires  de  l'acte  décisif  viédité  depxiis  longtemps 
par  Fleury  pour  rétablir  l'ordre  dans  l'Église  et  faire  de 
la  bulle  Unigenitus  une  loi  de  l'Etat.  Le  24  mars  1730 
le  Parlement  reçut  du  ministre  une  déclaration  par 
laquelle  il  était  enjoint  à  tous  les  ecclésiastiques  dit 
royaume  d'accepter  piirement  et  simplement  la  Consti- 
tution. Une  vive  agitation  se  produisit  alors  parmi  les 
magistrats,  et  Fleury,  redoutant  un  échec,  imposa  l'enre- 
gistrement par  un  lit  de  justice. 

Ce  coup  d'autorité  iiUntimida  point  les  jansénistes  ;  ils 
ripostèrent  par  une  propagande  plus  active  que  janmis  et 
appelèrent  les  miracles  à  leur  aide.  Un  prêtre  de  la  pa- 
roisse Saint-Mcdard,  le  diacre  François  de  Paris,  fils 
d'un  conseiller  au  Parlement,  était  mort  en  1727^  appe- 
lant et  réappelant  au  futur  concile.  Le  pauvre  peuple  du 
quartier  auquel  il  avait  distribué  tout  son  bieiifit  de  son 
tonibeau  un  lieu  de  pèlerinage  et  prétendit  que  le  défunt 
opérait  des  miracles.  Pendant  trois  années,  ce  ne  fut 
qicunc  ruinejir  vague  et  sans  consistance  ;  mais  lorsque 
les  opposants,  comprenant  tout  le  parti  qu'ils  poîirraient 
tirer  de  la  crédulité  populaire  pour  recruter  des 
adeptes,  curent  imprimé  la  Vie  de  saint  Paris  et  cer- 
tifié la  vérité   des  cîires  miracideuscs  accomplies  sur  sa. 


Tn  trodiiction    h  i s  toriqu  e. 


tombe,  le  petit  cimetière  Saiiit-Mèdard  fut  envahi  jour 
£t  7iuit  par  la  foule,  et  les  prodiges  se  multiplièrent  dans 
des  proportions  inouïes.  Et  ces  prodiges  étaient  juridi- 
quement attestes  par  des  tèmoi7is  qui  croyaient  les  avoir 
vus  parce  qu'ils  ètaietit  allés  là  avec  l'espérance  de  les  voir. 
La  foule  grossissant  toujours,  des  scandales  se  produi- 
sirent; la  police  dut  intervenir ,  pour  fermer  le  cimetière, 
et  les  plus  obstinés  des  enthousiastes  allèrent  continuer 
leurs  cojwulsions  dans  les  maisons.  Il  s  en  fallait,  cepen- 
dant, que  les  troubles  fussent  totaleme?it  apaisés  par  cette 
-mesure,  car  les  jansénistes  trouvaient  toicjours  matière  à 
discuter.  En  1730^  trois  curés  du  diocèse  d'Orléans,  in- 
terdits par  leur  évêqîie  pour  avoir  manifesté  hautement 
leur  opposition  à  la  bulle,  avaient  appelé  conwie  d'abus 
mi  Parlement,  en  vertu  d'une  consultation  rédigée  par 
quarante  avocats  de  Paris.  Un  arrêt  du  conseil  d'État 
condamna  les  principes  énoncés  par  les  avocats,  et  leur 
ordonna  de  se  rétracter,  tandis  que  quelques  prélats,  qui 
voyaient  dans  le  mémoire  des  avocats  une  atteinte  à  leur 
juridiction  ecclésiastique,  traitèrent  les  auteurs  sans 
viénagements  dans  leurs  instructions  pastorales,  et  l'ar- 
cha'êque  de  Paris  ne  craignit  point  de  les  déclarer  héré- 
tiques. Poîir  calmer  l'effervescence  des  deux  partis,  le 
Parlement  supprima  jusqu'à  nouvel  ordre  l'ordonnance 
de  l'archroêqiie,  et  Fletiry  prescrivit  par  arrêt  du  conseil 
un  silence  absolu  sur  les  questions  en  litige.  Mais,  par 
tDie  contradiction  singidière,  il  autorisa  quelques  mois 
après  la  publication  du  mandement  de  M.  de  Vintimille: 
sur  ce,  grande  colère  des  avocats,  qui,  d'un  conunun  ac- 
cord, cessèrent  leurs  fonctiojis.   Onze   d'entre  eux  furent 


Djic  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury.     xix 


exilés,  sans  que  le  roi  voulût  recevoir  les  dèputaiions  des 
magistrats  qui  voulaient  parler  en  leur  faveur  ;  mais  on 
les  rappela,  au  moment  de  la  rentrée  du  Parlement, pour 
que  la  justice  ne  fût  point  interrompue.  Le  calme  était  à 
peine  rétabli  lorsqu'u7i  nouveau  mandement  de  M.  de 
Vintimille  fulminé  contre  les  Nouvelles  ecclésiastiques 
raviva  la  querelle  du,  gouverjiement  avec  les  parlemen- 
taires. En  condamnant  cette  gazette  janséniste,  dont  les 
plus  actives  recherches  de  la  police  ne  pouvaient  arrêter 
ni  l'impression  ni  la  distribution,  l'archevêque  de  Pans 
avait  parlé  de  la  bulle  comme  d'un  décret  reçu  par  l'iini- 
versalité  du  clergé.  Le  Parlement  irrité  voulut  protester , 
le  roi  lui  intima  l'ordre  de  ne  se  mêler  en  rien  des  af- 
faires ecclésiastiques,  qti'il  se  réservait  d'évoquer  à  son 
conseil.  Cette  décision,  qui  enlevait  au  premier  corps  de 
l'Etat  une  notable  partie  de  ses  attributions,  fut  accueillie 
avec  indignation  par  les  magistrats,  et  ils  décidèrent  de 
se  démettre  de  leurs  fonctions.  Les  députés  qu'ils  en- 
voyèrent à  Conipiègne  pour  adresser  des  remontrances 
au  roi  ne  furent  pas  écoutés,  et  le  même  jour  Fleury  exila 
l'abbé  Pucelle  et  le  conseiller  Titon,  coupables  d'avoir 
apporté  trop  d'ardeur  dans  la  défense  des  prérogatives 
du  Parlement.  Aussitôt  nouvelle  députation  des  magis- 
trats demandant  le  retour  des  exilés  ;  pour  toute  réponse 
quatre  autres  à" entre  eux  furent  envoyés  en  exil,  et  Fleury 
menaça  les  récalcitrants  d'une  répression  énergique.  Le 
Parlement,  intimidé, parla  d' accommodement j  le  cardinal, 
pressé  par  les  circonstances,  se  hâta  de  7nettre  à  profit 
sa  bonne  volonté  :  on  rappela  les  exilés  et  le  Parlement 
reprit  ses  fonctions  co77ime  à  l'ordinaire,  le  \\  juillet  1732. 


XX  Introduction  historique. 


Le  cardinal  s' était  montré  conciliant,  non  par  égard 
pour  le  premier  corps  de  l'Etat,  mais  par  suite  des  ap- 
préhensions que  lui  causait  la  diplomatie  de  l'Europe  ; 
la  crainte  d'une  guerre  extérieure  l'empêchait  de  s'en- 
gager plus  avant  dans  une  misérable  querelle  intestine. 
En  dépit  des  sacrifices  qu'il  avait  faits  pour  s'assurer  de 
la  pai.x,  les  événements  politiques  allaient  l'obliger  à 
prendre  les  armes.  Le  protégé  de  Pierre  le  Grand,  Au- 
guste LL,  roi  de  Pologne,  mourut  en  1733;  l'Autriche  et 
la  Russie,  désireuses  d'assurer  le  trône  à  son  fils,  en- 
voyèrent aussitôt  des  troupes  sur  la  frontière,  tandis  que 
Louis  XV  déclarait  aux  ambassadeurs  étrangers  réunis 
à  Versailles  qu'il  ne  soufir  irait  pas  que  l'on  entravât  la 
libre  élection  du  roi.  Elle  eut  lieu  en  effet,  et  ce  fut  Sta- 
yiislas  Lecziîiski  que  les  Polonais  proclamèrent  presque 
à  l'unanimité  ;  mais  un  dissident  se  proîionça  en  faveur 
d'Auguste  III et  la  lutte  s'engagea  entre  les  prétendants. 
Stanislas  reculait  devant  la  guerre  et  cherchait  à  tem- 
poriser :  Auguste  III  profita  de  ses  lenteurs  et  de  son 
hésitation  pour  entrer  dans  Varsovie,  escorté  des  Russes 
et  des  Autrichiens,  et  pour  se  faire  couronner  roi  à  Cra- 
coT'ie.  Obligé  de  fuir ,  Stanislas  se  réfitgia  précipitamment: 
à  Dantzick  :  il  y  fut  aussitôt  assiégé,  et  Fleury,  en  dépit 
de  sa  timidité,  fut  contraint  de  secoîcrir  le  beau-père  du 
roi  de  France.  Il  se  jeta  dans  la  mêlée  bien  à  regret,  et 
seulement  pour  donner  satisfactioîi  à  l'opinion  publique; 
il  équipa  lUie  faible  escadre,  sur  laquelle  furoit  embarqués 
quinze  cents  soldats  :  c'était  une  dérision  d'envoyer  une 
si  petite  poignée  d'hommes  contre  trente  mille  ennemis. 
Notre  ambassadeur  en  Danemark,  le  comte  de  Plelo,  se 


Duc  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury.     xxi 


nul  bravement  a  leiir  tête,  et  trouva  la  mort  sous  les 
murs  de  Dantzick,  en  cherchant  à  franchir  les  lignes 
russes.  La  place,  incapable  de  résister,  capitula,  et  Stanislas 
s'enfuit,  déguise  en  matelot,  laissant  aux  mains  d'Au- 
guste m  la  malheureuse  Pologne  livrée  à  l'influence  de 
la  Russie  et  de  l'Autriche  qui  devaient,  d'un  commun 
accord,  préparer  sa  ridne. 

Cependant  la  France,  humiliée  de  cet  échec,  réclamait 
une  revanche  :  l' èloignerne7it  des  lieux  ne  permettant  pas 
de  s'attaquer  à  la  Russie,  on  se  toicrtia  contre  l'empereiir 
avec  le  concours  de  l'Espagne  et  de  la  Sardaigne  dont 
la  politique  spéculait  sur  l'affaiblissement  de  l'Autriche. 
La  France  et  l'Espagne,  que  l'imprévoyance  de  monsieur 
le  Duc  avait  failli  brouiller,  s'étaient  rapprochées,  dès 
17 2g,  par  le  traité  de  Séville.  Celui  de  Turin,  négocié 
par^  l'habile  secrétaire  d'Etat  des  affaires  étrangères 
Chauvelin,  avait  fortifié  l'entente  des  deux  pays  en  assu- 
rant à  l'infant  don  Carlos  le  royaume  de  Naples.  Par 
la  convention  de  la  Haye,  qui  garantissait  les  Pays-Bas 
contre  toute  attaque,  l'oji  obtint  la  neutralité  de  l'A  ngle- 
terre  et  de  la  Hollande,  et  l'empereur  se  trouva  sans 
alliés.  Les  hostilités  commencèrent  à  la  fois  sur  le  Rhin 
et  en  Italie;  le  vieux  maréchal  de  Berwick  s'empara  de 
Kehl  et  entreprit  le  siège  de  Philipsbourg  oii  il  eut  la  tête 
emportée  par  un  boulet,  tandis  que  Villars  prenait 
Milan  et  allait  mourir  devant  Turin.  Son  successeur,  le 
maréchal  de  Coigny,  vainqueur  à  Parme  et  à  Guastalla, 
conquit  le  Milanais,  et  le  général  espagnol,  duc  de  Mon- 
temart,  établit  par  la  victoire  de  Bitonto  l'injant  d'Es- 
pagne sur  le  trône    de  Naples.  Comme  VhonneiLr  de  la 


XXII  Introduction  historique. 


France  était  su^samment  venge  par  ces  triomphes,  le 
timide  Fleury  ne  votilut  pas  poursuivre  ses  succès,  et 
l'empereur  se  hâta  de  souscrire  aux  conditions  de  paix 
que  lui  offrait  son  ennemi  victorieux.  Par  le  traite  de 
Vienne,  conclu  en  1735  et  définitivement  signé  en  1738, 
l'infant  don  Carlos  fut  reconmi  roi  de  Naples,  et  le  roi 
de  Sardaigne,  qui  avait  compté  sur  le  Milanais  entier,  en 
reçut  seulement  deiix  provinces;  l'empereur  gardait  le 
reste,  et  en  échange  de  son  abandon  des  Deux-  Siciles  oti 
lui  donnait  pour  hii-même  les  duchés  de  Parme  et  de 
Plaisance,  tandis  que  l'on  assignait  à  son  gendre  l'héri- 
tage prochain  du  grand-duc  de  ToscaJie.  D'autre  pari, 
Stanislas  renonçait  au  trône  de  Pologne  qu'il  avait  oc- 
cupé deux  fois  sans  pouvoir  le  conserver,  mais  il  gardait 
le  titre  de  roi,  et  le  duc  de  Lorraine  lui  cédait  le 
Barrois,  avec  réversion  future  à  la  cotironne  de  Frarice, 
en  lui  promettant  la  cession  de  la  Lorraine  pour  le 
moment  oïl  il  serait  lui-même  en  possession  de  la  Tos- 
cane. Fleury,  qui  avait  fait  la  guerre  plus  par  amour- 
propre  que  par  intérêt,  n'exigeait  rien  au  delà  j  mais 
Chauvelin  le  poussa  à  user  de  ses  avajitages  et  à  ré- 
clamer la  Lorraiîie  aux  mêmes  co7iditions  que  le  Barrois, 
ce  qui  fut  obtenu  sans  difficulté.  Une  pension  de  qiielques 
milliojis  payée  au  duc  de  Lorraine  jusqu'à  la  mort  du 
grand-duc  de  Toscayie  suffit  pour  assurer  à  Louis  XV 
l'une  des  plus  belles  acquisitions  territoriales  de  l'époque. 
Et  la  France,  par  ses  succès  dans  la  lutte  et  sa  mode- 
ratio7i  datis  la  victoire,  deviiit  l'arbitre  respecté  des 
yiations  de  l'Europe;  mais  sa  gloire  paisible  ne  fut  pas  de 
longue  durée. 


Duc  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury,   xxiii 

L'im  des  plus  hetireicx  résultats  de  la  guerre  exté- 
rieure avait  été  d'apaiser  inse7isiblement  les  discordes 
intestines.  Tandis  que  les  prélats  constitutionnaires  et 
les  jansénistes  C07itinuaient  à  se  traiter  réciproquement 
d'ignorants  et  d'impies,  et  que  les  convulsionnaircs 
joziaieîit  encore  à  huis  clos  leurs  comédies  extatiqueSj  le 
public  oubliait  cette  bonne  Constitution,  comme  il 
l'appelait  par  raillerie.  Fleury  lui-même,  pour  ne  point 
compliquer  les  embarras  delà  situation,  tenait  la  balance 
à  peu  près  égale  entre  les  partis  et  condamjiait  indis- 
tinctement leurs  actes  et  leurs  écrits.  Mais  à  peine  les 
négociations  pour  la  paix  étaient-elles  entamées  qu'tm 
événement  bizarre  vint  raviver  la  discorde.  Un  conseiller 
au  Parlement  de  Paris,  Carré  de  Montgeron,  homme 
ignorant  et  faible  d'esprit,  devenu  coiwulsionnaire  outré 
par  suite  des  miracles  qu'il  croyait  avoir  vus  ou  opérés, 
alla,  au  covwiejicement  de  l'aiinée  1737,  trouver  le  roi 
h  Versailles,  se  jeta  à  ses  pieds  et  lui  présenta  un  gros 
recueil  en  le  priajit  d' en  prendre  connaissaiice  au  nom 
de  la  vérité  qu'on  lui  cachait;  cela  fait,  il  disparut.  Le 
recîceil  en  question  cojitenait  la  relation  d'une  foule  de 
miracles  du  bienheureux  Paris  remise  au  naïf  conseiller 
par  les  gens  de  son  parti  qui  lui  avaient  tourné  la  tête  ; 
il  était  précédé  d'une  lettre  au  roi  dans  laquelle  Carré 
attaquait  violemment  Rome,  les  jésuites  et  le  ministère. 
Le  roi  remit  le  tout  à  Fleury,  qui  expédia  sans  retard 
une  lettre  de  cachet  pour  enfermer  à  la  Bastille  le  fana- 
tique Montgeron.  Aussitôt  grande  rumeur  aie  Parle- 
ment; les  robins,  voyant  dans  l'emprisonnejnent  de  leur 
confrère  une  atteinte  portée  à  leurs  privilèges,  protester  e?it 


XXIV  Introduction    historique. 


contre  la  sévérité  dîi  cardinal  qni,  pour  toute  réponse, 
transféra  le  prisonnier  da?is  la  citadelle  de  Valence  d'où, 
il  ne  drc ait  plus  sortir. 

Poîir  en  finir  avec  V opposition  janséniste,  Fleury 
résolut  alors  de  faire  rayer  des  registres  de  la  Sorbonne 
l'appel  an  futur  concile  qui  s'y  trouvait  inscrit  depuis 
1718.  A  la  faveur  des  dissensions  survenues  dans  l' Uni- 
versité, il  fit  élire  comiiu  recteur  un  prince  de  la  maison 
de  Rohan^  l'abbé  de  Ventadour,  ce  qui  devait  faciliter  la 
réussite  de  ses  projets.  La  Sorbonne,  consultée  à  l'as- 
semblée générale  de  mai  1739^  supprima  l'ancien  appel 
et  déclara  quelle  acceptait  la  Constitutio7i  purement  et 
simplement,  sans  restriction  ni  réserve.  Quatre-vingt- 
deux  membres  de  l'Utiiversité  voulurent  protester  :  ils 
furent  destitués  de  leurs  grades  ou  chassés  de  leurs 
chaires,  comme  le  vénérable  Rollin.  Ce  beau  zèle  itltra- 
montain  de  Fleury  s' expliquait  par  une  ambition  que  le 
vieux  ministre  n'avouait  pas,  mais  que  l'on  croyait 
deviner  :  il  briguait  la  papauté.  Clément  XII,  alors 
âgé  de  quatre-vingt-neuf  ans,  se  trouvait  à  toute  extré- 
mité ;  Fleiwy ,  plus  jeune  de  deux  années,  comptait  bien 
lui  survivre  et  aspirait  a  lui  succéder.  De  là  ses 
7'igucurs  contre  les  jansénistes  ;  de  là  aussi  sa  faveur 
pour  Tencin,  récemment  nommé  cardinal,  qu'il  avait 
chargé  de  soutenir  ses  intérêts  à  Rome.  Mais  ces  ma- 
nœuvres n'aboutirent  pas.  Prospero  Lambertini  fut  élevé 
au  trône  pontifical  et  Fleury  déçu  oublia  la  bulle  et  ses 
adversaires. 

De  plus  graves   préoccupations    venaient   d'ailleurs 
r assaillir .  Les  fautes  d'une  administration  imprévoyante 


Duc  de  Bourbon,  Cardinal  Fleury.      xxv 

çue  son  esprit  affaibli  ne  pouvait  plus  ni  diriger  ni 
contrôler  avaient,  provoque  une  famine  générale  ;  le 
peuple  de  Paris  accabla  le  ministre  d'injures  et  demanda 
à  grands  cris  son  èloignement.  Mais  le  vieux  précepteur, 
dont  la  retraite  était  univers elleme7it  désirée  et  chez  qui 
la  passion  du  pouvoir  s'était  développée  avec  les  années, 
avait  pris  soiti  d'encourager  l'apathie  naturelle  de  son 
disciple  pour  l'èloigJier  des  affaires,  en  même  temps  qu  'il 
écartait  du  ministère  tous  les  hommes  doîit  le  mérite 
pouvait  lui  porter  ombrage.  C'est  ainsi  que  le  secrétaire 
d'État  Chauvelin  fut  redevable  de  sa  disgrâce  à  l'irri- 
table défiance  du  cardinal  dont  il  avait  inspiré  les  meil- 
leurs actes  par  ses  sages  conseils  et  sa  science  du  droit 
public.  Fleury  se  laissa  persuader  que  le  garde  des 
sceaux,  aspirant  à  sa  succession  et  lassé  de  l'attendre, 
travaillait  secrètement  à  se  créer  un  parti.  Saiis  appro- 
fondir la  réalité  du  fait ^  sans  réfléchir  qu'il  avait  besoin 
d'un  appui  solide  pour  résister  aux  intrigues,  il  ne  vit 
que  son  omnipotence  menacée,  et  pour  la  sauvegarder  il 
exila  brutalement  Chauvelin,  d'abord  à  sa  terre  de  Gros- 
bois,  puis  à  Bourges.  Cette  vengeance  inattcndiie  ne 
mit  pas  le  prélat  à  l'abri  de  tout  danger.  De  jeunes 
courtisans  admis  dans  la  familiarité  du  roi  et  se  croyajit 
honorés  de  sa  co7ifiance  résolurent  de  saisir  le  timon  des 
affaires,  et  Chauvelin,  de  sa  retraite,  dirigea  lui-même 
cette  intrigue  qui  tourna  promptemeîit  à  la  confusion  de 
ses  auteurs.  •«  Le  cardiiial,  dit  Duclos,  en  fut  instruit  et 
vraisemblablement  par  le  roi  lui-même.  Il  en  rit  de  pitié, 
les  traita  en  enfajits,  envoya  les  uns  mûrir  dans  leurs 
terres,  ou  devenir  sages  auprès  de  leurs  parents.  Il  laissa 


XXVI  Introduction    historique. 

les  autres  à  la  cour  en  hitte  atix  ridicules  çîl'oji  ne  leur 
èpars;na  pas.  C'est  ce  qu'on  appela  alors  la  conjuration 
des  marmousets.  » 

CepeJidant  le  public ,  qui  désirait  impatiemment  la 
chute  du  mi7iistre,  avait  compte  sur  l'avènement  d'tine 
maîtresse  pour  amejier  à  Versailles  une  révolution  in- 
térieure et  arracher  le  pouvoir  au  vieillard  décrépit  qui 
menaçait  de  tomber  en  enfajice.  Mais  la  cojuplication 
attendue,  loin  d'être  funeste  au  cardinal,  affermit  son 
autorité,  puisqu'il  prévint  un  retottr  d'ijijluence  de  la 
reine  et  enleva  plus  que  jamais  au  roi  toute  idée  de  gou- 
verner. On  sait  que  la  disgrâce  de  monsieur  le  Duc,  dont 
Marie  Leczinsha  avait  favorisé  les  intrigues  contre 
Fleury,  fut  un  premier  coup  porté  à  la  bonne  intelli- 
gence  des  deux  époux.  Bie7i  que  le  roi,  pour  tinter  le 
viorne  ennui  qu'il  trouvait  auprès  d'elle,  allât  presque 
toujours  passer  ses  soirées  da7is  l'aimable  société  de  Ram- 
bouillet, il  restait  toujours  fidèle  à  ses  dn'oirs.  La  reine, 
plongée  dans  une  dévotion  trop  austère  et  peut-être  mal 
conseillée  par  son  directeur,  chercha  à  le  détacher  d'elle; 
la  mauvaise  grâce  qu'elle  affecta  dans  leurs  relations 
triompha  de  la  constance  du  roi.  Louis,  furieux  d'être 
repoussé,  jura  que  tout  était  rompu  entre  eux  et  ne 
revint  jamais  à  ses  prejniers  sentiments.  Parmi  les  dames 
de  la  cour  qui  se  disputèrent  son  affection,  il  ne  tarda 
pas  à  distijiguer  Loidse-jfulie  de  Nesle,  comtesse  de 
Mailly.  Douce  et  réservée,  la  favorite  possédait  toutes 
les  tendres  qualités  d'un  cœur  seiisible  j  elle  aimait  le 
roi  pour  lui-même,  saJis  aucune  arrière-pensée  d'intrigue 
ou    d'ambition,  et  ne  lui  demandait  d'autre  grâce  que 


Duc  de  Bourbon^  Cardinal  Fleury.   xxvii 

celle  de  lui  plaire  et  de  le  divertir  par  ses  gais  propos 
et  ses  manières  enjouées.  Elle  jouissait  à  la  cour  de  l'es- 
time de  tous,  car  elle  7ie  pouvait  iiiquièter  personne,  et 
l'ombrageux  Fleury,  rassure  sur  son  compte,  favorisait, 
dit-on,  ses  amours  inojensives.  Ce  faisant,  il  croyait 
sauvegarder  son  crédit;  mais  îui  brusque  cha?igement 
survenu  dans  les  affections  du  roi  faillit  le  ruiner. 

La  préférée  des  sœurs  de  J/™^  de  Mailly,  Pauline- 
Félicité  de  Ncsle,  pensionnaire  à  l'abbaye  de  Port- Royal 
des  Champs ,  avait  à  plusieurs  reprises  supplié  la 
favorite  de  l'appeler  auprès  d'elle  à  la  cour.  M^^^  de 
Mailly,  cédant  à  ses  instances,  la  fit  venir  à  Versailles, 
la  prit  poîcr  confidente  et  parla  d'elle  en  termes  si  flat- 
teurs qtie  le  roi  voulut  l'admettre  da?is  sa  société.  La 
jeune  fille,  qui  avait  demandé  à  quitter  le  couvent  avec  le 
projet  bien  arrêté  de  supplanter  sa  sœur  et  qui  comptait 
non  sur  sa  beauté,  mais  sur  les  agréments  de  son  esprit 
et  l'ascendant  de  son  caractère,  7m t  tout  en  jeu  pour 
captiver  le  roi.  Elle  sut  se  rendre  si  agréable  et  si  né- 
cessaire que  le  prince  subjugué  délaissa  brusquement  sa 
première  maîtresse,  et  il  fallut  bientôt,  pour  cacher  la 
nouvelle  passion  du  roi,  trouver  un  mari  à  la  jeune 
favorite.  L'archevêqjie  de  Paris,  qui  comptait  sur  la 
bic7iveillance  dic  inojiarque  pour  devenir  cardinal,  pré- 
senta son  neveu,  le  comte  de  Vintimille  ;  il  fut  accepté  et 
le  mariage  conclu  sans  retard.  Dès  qu'elle  fut  bien 
assurée  de  l'amour  du  roi,  Af"^"  de  Vintimille  voulut 
l'arracher  à  son  apathique  indolence  et  lui  inspirer  le 
goût  des  affaires  en  le  délivrant  de  la  tutelle  de  son  vieux 
précepteur.  Sans  rien  risquer  ouvertement  cojitrele  car- 


XXVIII        Introduction    historique. 

difial,  elle  s'attacha  à  ruiner  insensiblement  son  crédit  et 
à  préparer  sûrement  sa  disgrâce  ;  tnais  les  événements 
protégèrent  encore  une  fois  le  ministre  menacé.  Au  mo- 
ment même  de  sa  plus  grande  faveur,  J/^'^  de  Vinti- 
mille  mourut  subitement  des  suites  de  couches  et  le  roi, 
plongé  par  cette  mort  imprévue  dans  une  sombre  mélan- 
colie, alla  chercher  des  consolations  auprès  de  J/'"^  de 
Mailly.  Avant  qu'il  eût  subi  le  joug  d'une  autre  sœur  de 
sa  première  favorite,  laitière  marquise  de  La  Tour  ne  lie, 
le  cardinal  eut  le  temps  d'arriver  au  terme  de  sa 
longue  carrière;  mais  les  complications  de  la  politique 
européenne  vinrent  ruiner  l'œuvre  de  paix  qu'il  avait  si 
longtemps  poursuivie,  et  la  fin  de  son  ministère  fut  dé- 
sastreuse pour  la  France. 

L'emperc2ir  Charles    VI  mourut   au  mois   d'octobre 
1 740^  après  avoir  consacré  les  dernières  années  de  sa  vie 
à  obtenir  de  tous  les  grands  Etats  de  l'Europe  la  recon- 
naissance de  la  pragmatique  sanction  de  1 7 1 3  qui  trans- 
mettait sa    succession   à   sa  file  Marie-Thérèse.  Mieux 
eût  valu,   disait  avec  raison  Frédéric  II,  une  armée  de 
cent  mille  hommes  que  ces  parchemins  inutiles  ;  car  à 
peine  l'empereur  eut-il  expiré  que  cinq  compétiteurs   se 
présentèrent  pour  disputer  l'héritage  qu'il  avait  si  mal 
garanti.  Tandis  que  les  puissances  iîidécises  s'agitaient 
zrainement  pour  faire  tin  empereur  et  que  Marie-Thérèse 
s'efforçait  d'asstirer  au  duc   de   Toscane  le  partage   de 
toutes  ses  couronnes,  le  moins  connu  et  le  plus  audacieux 
des  prétendants,  le  roi  de  Prusse  Frédéric  II,  entrait 
bravement  en  campagne  et  i?iaugurait  la  longiie  guerre 
de  la  succession  d'Autriche.  La   nature  lavait  doué  de 


Duc  de  Bourbon.  Cardinal  Fleury.   xxix 


talents  remarquables  et  son  père  lui  avait  laissé  un 
riche  trésor  et  une  armée  bien  disciplinée;  il  profita  de 
la  co7ifusion  générale  pour  utiliser  ses  ressources,  eiivahit 
la  Silèsie  qu' il  convoitait  et  la  conquit  par  la  seule  bataille 
de  Molwitz.  Ce  fut  le  signal  d'une  lutte  européenne. 

Fleury,  que  sa  timidité  naturelle  et  son  grand  âge 
éloigyiaient  de  toute  velléité  belliqueicse,  n'avait  point  hâte 
de  s'engager  dans  la  mêlée.  Il  lui  répugnait  de  prendre 
part  à  tine  guerre  dojit  il  était  difficile  de  prévoir  les 
suites,  et  surtout  d'être  un  des  premiers  à  violer  la 
pragmatique  qii  il  avait  promis  de  maintenir  et  de  faire 
respecter  au  besoin.  Mais  un  parti  ave?itureux,  conduit 
par  deux  petits-fils  de  Fouquet,  les  frères  de  Bclle-Isle, 
trio7np]ia  de  son  hésitation  et  de  ses  scrupules.  Il  fut 
décidé  que  la  France  soutiendrait  l'électeur  de  Bavière 
qui  réclamait  la  couronne  iinpèriale  et  favoriserait  les 
prétentions  des  compétiteurs  de  Marie-Thérèse  au  détri- 
ment de  la  viaison  d'Autriche  que  l'on  se  préoccîtpait 
avant  tout  d'abaisser.  Le  traité  de  Nymphembourg  fut 
concht  sur  ces  bases,  le  iZ  mai  1741^  entre  la  France  et 
l'Espagne;  tous  les  adversaires  de  l'Autriche  y  adhé- 
rèrent. Deux  armées  françaises  se  portèrent  aussitôt  vers 
l'Europe  centrale  :  l'iDie,  commandée  par  le  maréchal  de 
Maillebois,  pénétra  en  Westphalie  pour  seconder  les 
troupesprussicnnes;  l'autre,  réunie  à  celle  de  Bavière,  en- 
vahit la  haute  Autriche  etconquit Prague ctla Bohême, ce 
qui  permit  à  l'électeur  de  se  faire  couronner  à  Francfort, 
sous  le  nom  de  Charles  VII.  Marie-Thérèse  vaincue  alla 
soulroer  ses  fidèles  Hongrois  et,  pour  désarmer  son  plus 
redoutable  adversaire,  elle  fit   à   Frédéric  II  le  sacrifice 


XXX  Introduction    historique. 

de  la  Silèsie.  Le  roi  de  Prusse  satisfait  oublia  l'alliance 
française  et  se  retira  de  la  lutte,  tandis  que  le  roi  de 
Sar  daigne  y  ejitrait  pour  le  compte  de  l'Autriche  et  que 
r Angleterre,  après  avoir  renversé  du  vii'nistère  le  paci- 
fique Walpole,  promettait  à  l'Autriche  un  subside  de 
douze  millions.  La  France  devait  donc  supporter  tout  le 
poids  d'une  guerre  qu'elle  avait  voulu  soutenir  pour  le 
compte  d' autrui. 

Le  retour  des  troupes  autrichiennes  sur  le  haut  Da- 
nube aggrava  la  situation  en  coupant  à  l'armée  française 
la  retraite  en  Bavière.  Fleury,  effrayé  de  ces  revers, 
écrivit  au  général  autrichien  Kœnigsegg  pour  lui  faire 
d'humbles  avances;  Kœnigsegg  publia  ses  lettres  et  le 
rendit  ridicule  aux  yeux  de  toute  l'Europe.  Cependant 
Maillebois,  qui  opérait  en  Franconie,  s'empara  d'Egra 
pour  dégager  l'armée  enfermée  dans  Prague  et  Bclle-Isle 
délivré  put  faire  en  plein  mois  de  décembre,  à  travers 
la  neige,  la  glace  et  les  ennemis  une  retraite  aussi pètiible 
que  glorieuse.  Dix  jours  après,  le  brave  Chevert,  qui  était 
resté  dans  la  ville  avec  les  malades  et  les  blessés,  en  sortit 
avec  les  honiuurs  de  la  guerre.  Les  derniers  de  nos 
alliés,  les  Espagnols,  n'éprouvèrent  de  leur  côté  que  des 
revers  en  Ltalie.  C'est  au  milieu  de  ces  tristes  conjonctures, 
le  2()  janvier  i'/^2>,çue  mourut  le  car dijial  Fleury,  lais- 
sant la  France  sans  ministres,  sans  généraux  et  sans 
trésor,  obligée  de  tenir  tête  à  l'Europe  entière  coalisée 
contre  elle. 


P^^^^^^^^.J/^.^^^^^^J^^ 


ANNÉE    1724 


LE   DUC   DE    BOURBON 


Peuples,  lorsque  l'indigence 
Vous  causa  tant  de  malheur, 
Voulez-vous  savoir  l'auteur 
Des  maux  que  souffrit  la  France-? 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
]Mais  voyez  la  ressemblance  : 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Or,  écoutez  ma  chanson. 

Il  porte  sur  deux  échasses 

Un  corps  fait  comme  un  cotret, 

Sa  tête  montre  à  regret 

1,  Louis-Henri  de  Bourbon,  nommé  le  duc  d' Enghien , 
puis  Monsieur  le  Duc,  devint  premier  ministre  de 
Louis  XV,  à  la  mort  de  Philippe  d'Orléans. 

2,  Lors  du  système  de  Law,  il  avait  fait  preuve  d'une 
insatiable  cupidité  ;  et  l'on  avait  appelé  par  dérision  la 
tourbe  des  agioteurs  qui  opéraient  sur  la  place  V.ndôme 
le  camp  de  Coudé. 


Clairambault-Maurepas 


L'œil  qu'il  perdit  à  la  chasse. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Il  faut  respecter  sa  place. 

Dans  cette  informe  machine 
Réside  un  diminutif 
De  cet  esprit  sensitif, 
Qui  sur  les  bêtes  domine. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
L'âme  répond  à  la  mine^. 

Ainsi  que  dessus  les  bêtes 
Les  hommes  ont  l'ascendant, 
Sa  catin,  depuis  longtemps, 
Le  fait  marcher  à  courbettes. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Elle  le  mène  à  sa  tête". 


1.  «  Moins  capable  que  son  prédécesseur,  mais,  autant 
que  lui,  livré  à  la  débauche,  il  était  grand,  maigre,  d'une 
figure  peu  revenante,  d'une  humeur  brusque  et  peu  com- 
mode, curieux  et  aimant  les  choses  rares  et  précieuses; 
possesseur  d'une  très  belle  femme,  dont  il  ne  connaissait 
pas  tout  le  prix  ;  cherchant  ailleurs  des  plaisirs  qu'il  était 
peu  en  état  de  goûter.  »  {Mém.  secrets  povr  servir  a 
l'histoire  de  Perse.) 

2.  La  de  Prie.  (M.)  —  «  M.  le  Duc  est  d'un  esprit  très 
borné,  et  ne  sachant  rien,  n'aimant  que  son  plaisir  et  la 
chasse,  étant  très  attaché  à  la  marquise  de  Prie,  fille  de 
Berthelot  de  Pleneuf,  directeur  général  des  vivres  dans  les 
dernières  guerres.  C'est  elle  qui  gouvernera  et  qui  tirera  de 
l'argent  tant  qu'elle  pourra,  aussi  bien  que  M.  le  Duc  et  le 
comte  de  Charolais,  son  frère.  Il  suffit  d'être  du  sang  des 
Bourbons  pour  ne  pas  haïr  ce  métal.  »  {Journ.  de  Barbier?) 


Année    I'j24' 


Quand  le  chef  de  la  Régence, 
Premier  ministre,  périt, 
En  escroc  il  se  saisit 
De  cet  emploi  d'importance^. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Mais  Dieu  !  quelle  différence. 

Pour  diriger  la  finance 
Il  n'a  pris  pour  tout  conseil 
Qu'un  déserteur  sans  pareil 
En  vol  et  en  insolence^. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Je  l'attends  à  la  potence, 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Or,  écoutez  ma  chanson  ^ 

1.  A  peine  le  duc  d'Orléans  rendait-il  le  dernier  soupir 
que  M.  le  Duc  fut  prêter  serment  au  roi  de  la  place  de 
premier  ministre,  avant  même  d'avoir  ses  provisions.  Ce 
fut  M.  de  la  Vrillière,  secrétaire  d'État,  qui  le  servit  dans 
cette  occasion,  oubliant  tout  ce  qu'il  devait  à  la  maison 
d'Orléans.  (M.) 

2.  Paris  Duvernay,  soldat  aux  gardes  de  la  compagnie 
de  Montarant,  se  trouva  du  nombre  de  ceux  qui  furent 
accusés  d'avoir  volé  le  carrosse  de  Bruxelles.  Montarant 
le  fît  sauver  à  Namur,  où  il  resta  jusqu'à  ce  que  l'affaire 
fût  assoupie.  Duvernay  lui  en  a  marqué,  depuis  qu'il  est 
en  faveur,  une  reconnaissance  infinie.  (M.) 

3.  Nous  ferons  remarquer,  en  tête  de  ce  volume,  que  la 
plupart  des  pièces  dont  il  est  composé,  ne  figurent  pas  à 
leur  véritable  date  dans  le  Recueil  Clair ambaidt.  Il  a  donc 
fallu  recourir  à  de  nombreuses  transpositions  pour  obser- 
ver l'ordre  chronologique  des  événements. 


C  l  air  ambault-M  au  repas. 


LE   MARIAGE 
DU  DUC   D'ORLÉANS 


D'ORLÉANS  la  duchesse 
A  dit  à  son  enfant  : 
J'envoie  avec  vitesse 
Au  pays  allemand - 
Choisir  une  fillette, 
Dont  tu  seras  mari 
D'elle  très  chéri.  — 

Ma  mère,  cette  fille 
Est  petite,  dit-on, 
N'est  belle  ni  gentille^ 

1.  Louis  d'Orléans,  fils  du  Régent  (1703-1752),  qui  avait 
pris  à  la  mort  de  son  père  le  titre  de  duc  d'Orléans,  épousa, 
en  1724,  Auguste-Marie-Jeanne  de  Bade,  fille  du  prince 
Louis  de  Bade,  qui  avait  été  grand  général  de  l'empereur. 
Ce  mariage,  déclaré  au  mois  de  mars,  fut  célébré  le  18  juin. 

2.  «  Le  marquis  de  Matignon,  second  fils  du  maréchal 
de  France,  va  la  demander  au  nom  du  roi.  AL  d'Argenson, 
comme  chef  de  la  maison  de  M.  le  duc  d'Orléans,  est 
chargé  de  procuration  pour  aller  signer  le  contrat  de  ma- 
riage, et  M.  le  marquis  de  Conflans,  premier  écuyer  du 
prince,  va  la  chercher  à  Rastadt  où  elle  demeure  avec  son 
frère.  »  {Journal  de  Barbier}^ 

3.  L'avocat  Barbier  n'avait  sans  doute  pas  bien  vu  la 
princesse  lorsqu'il  la  trouvait  «  blanche,  petite,  potelée, 
assez  jolie,  et  fort  ragoûtante.  »  Sa  première  impression 


Année   ij2j..  5 

Et  n'a  pas  le  teston  ^. 
De  plus,  elle  aime  un  homme - 
Oui  me  ferait  cocu, 
S'il  en  était  crû. — 

Mon  fils,  elle  est  pucelle, 
Du  moins  l'assure-t-on  ; 
De  plus,  bien  damoiselle 
Et  faite  de  façon 
Que  nombreuse  lignée 
Naîtra  de  cet  enfant 
Très  facilement. 

Avec  cette  assurance. 
On  part  incessamment 
Pour  amener  en  France 
Ce  bijou  si  charmant. 
Dieu  bénisse  l'ouvrage 
Que  fera  peu  souvent 
Monsieur  d'Orléans. 

changea  bientôt  et  il  remarque  que  :  «  l'on    ne  peut    pas 
dire  qu'elle  soit  jolie,  elle  a  même  l'air  un  peu  grossier.  » 

1.  «  Cette  princesse  n'est  point  de  famille  électorale, 
elle  n'est  pas  riche  ;  on  ne  la  dit  pas  belle,  mais  c'est  une 
Allemande  qui  sera  féconde,  et  voilà  comme  Henri  IV  les 
voulait.  Ce  mariage  ne  plaît  pas  aux  Condé  :  il  les 
éloigne  du  trône,  et  l'on  parle  de  renvoyer  l'infante,  qui, 
ne  donnant  pas  des  enfants  au  roi  de  si  tôt,  en  approche 
le  duc  d'Orléans.  »  ijourn.  de  Marais.)  —  Le  duc  d'Or- 
léans eut  deux  enfants  de  sa  femme,  qui  mourut  en  1726, 
des  suites  de  couches. 

2.  Le  prince  de  Taxis,  Allemand.  {Note  de  Marais?) 


Clair  amhault-Aîaurepas. 


LES  PRINCESSES 


De  toutes  nos  princesses 
Hélas  !  que  fera-t-on  ? 
Les  faire  chanoinesses 
Y  a  trop  de  façon  ^  ; 
Roche-sur- Yon  seule 
Au  chapitre  entrerait, 
Si  elle  voulait-. 

Pour  la  jeune  et  charmante 
Princesse  Charolais, 
Faut  la  faire  l'amante 
I)e  notre  jeune  roi, 
Elle  est  vive  et  fringante, 
Elle  lui  montrera 
A  faire  cela^. 


1.  Le  collège  des  chanoinesses  de  Remiremont,  le  plu  s 
important  de  France  au  XViri''  siècle,  n'admettait  que  des 
personnes  nobles  ;  or,  les  princesses  de  la  maison  de  Bour- 
iDon-Condé  étaient  filles  d'une  bâtarde  de  Louis  XIV. 

2.  La  famille  des  Conty,  à  laquelle  appartenait  M^^^  de 
la  Roche-sur- Yon,  n'avait  contracté  aucune  alliance  avec 
les  filles  légitimées  de  Louis  XIV. 

3.  «  On  dit  que  le  jeune  duc  de  la  Trémoille  était 
gagné  par  M''^  de  Charolais  qui  devait  lui  faire  dire  au 
Roi  certaines  choses  qu'on  ne  veut  pas  que  le  Roi  sache. 
Cette  princesse,  qui  est  fort  aimable,  est  fort  décriée.  » 
[Joiirnal  de  Marais) 


Année   1^24, 


La  princesse  de  Sens^ 
Et  celle  de  Clermont-, 
En  grande  diligence, 
En  Espagne  s'en  vont, 
La  reine,  leur  cousine  ^, 
Maris  leur  trouvera 
Dans  ce  pays-là, 

La  princesse  du  Maine 
A  les  yeux  si  brillants 
Que,  sans  beaucoup  de  peine. 
Elle  aura  des  amants. 
Et  madame  sa  tante  ^ 
Voudra  bien  lui  montrer 
A  les  épouser. 


1.  Élisabeth-Alexandrine  de  Bourbon,  nommée  Made- 
moiselle  de  Gex,  puis  Mademoiselle  de  Sens ,  fille  de 
Louis  II  de  Bourbon  et  de  M^'e  de  Nantes,  était  la  plus 
jeune  des  sœurs  de  M.  le  Duc, 

2.  Marie-Anne  de  Bourbon,  nommée  MadeTiioiselle  de 
Clermont,  sœur  de  la  précédente.  Lemontey  nous  apprend 
qu'elle  avait  épousé  secrètement  un  duc  de  Melun,  tué  à 
la  chasse  en  juillet  1724,  lors  du  voyage  que  le  roi  fit  à 
Chantilly, 

3.  M"''  de  Montpensier,  fille  du  Régent,  mariée  à 
Louis  P"",  roi  d'Espagne,  en  1724,  par  suite  de  l'abdication 
de  son  père  Philippe  V, 

4.  «  C'est  la  comtesse  de  Toulouse  qui  a  épousé  ce 
prince  après  une  longue  galanterie.  »  {Note  de  Marais)  — 
La  marquise  de  Gondrin,  devenue  comtesse  de  Toulouse, 
était  une  sœur  du  duc  de  Noailles. 


Clair  amh  au  It-Ma  urepa  s. 


EPITRE 
AU   PRINCE    DE   TINGRY 

Prinxe,  qu'espères-tu  !  qu'attends-tu  !  que  veux-tu 

La  France  ne  connaît  que  les  exploits  du  c. .. 

En  vain  de  tes  aïeux  tu  veux  suivre  les  traces  ; 

La  bravoure  aujourd'hui  n'est  plus  source  des  grâces; 

Deviens  un  fat,  un  b...,  un  perfide,  un  coquin. 

Ou  fais  de  ta  compagne  une  adroite  catin, 

Je  réponds  de  ta  gloire.  Adore  l'injustice, 

A  l'innocent  trahi  ne  te  rends  pas  propice, 

Honore  Duvernay,  respecte  la  de  Prie, 

Elle  a  sous  son  jupon  les  dons  du  Saint-Esprit^, 

Là,  sous  de  belles  fleurs,  symbole  d'innocence 

Croissent  les  pensions,  les  bâtons,  la  finance; 

Là,  deux  nymphes  sans  fard  règlent  seules  l'Etat 

Et  des  moindres  zéphirs  punissent  l'attentat-; 

Là,  du  plus  rude  hiver  on  ne  craint  point  l'outrage 

1.  A  propos  de  la  nomination  des  cordons  bleus  du  mois 
de  fé\Tier  1724,  dans  laquelle  il  ne  fut  pas  compris.  Ma- 
rais constate  que  «  le  prince  de  Tingry  est  des  plus  fâchés 
de  n'y  point  être;  mais  son  nom,  brouillé  dans  l'affaire  de 
La  Jonchère,  lui  a  toujours  nui  et  lui  nuira  toujours  pour 
les  dignités.  Voilà  ce  que  c'est  que  d'aimer  trop  l'argent, 
et  quel  vice  à  un  homme  de  cette  condition.  » 

2.  Pour  l'intelligence  de  ces  derniers  vers  il  faut  lire 
Mauriceau,  Traité  des  accouchements^  qui  nous  assure  que 


Année    iy2^. 


Et  les  plaisirs  y  sont  le  plus  pénible  ouvrage. 

De  cet  avis,  seigneur,  profite  sagement  ; 

La  fortune  est  à  toi,  dis  un  mot  seulement; 

Car,  enfin,  n'attends  pas  qu'un  honneur  chimérique 

T'élève  aux  dignités  sous  un  règne  lubrique. 

En  ce  monde,  chacun  recherche  ses  pareils, 

Prince,  c'est  assez  dire;  adieu,  suis  mes  conseils. 


GAZETTE   DE   CHANTILLY 


^Mesdames,  vous  trouverez  bon 
Qu'on  vous  écrive  sur  ce  ton, 

Landerirette, 
Ce  qui  se  passe  à  Chantilly, 

Landeriri. 

le  moindre  air,  reçu  de  la  matrice,  cause  des  révolutions 
extraordinaires  et  que  les  nymphes  servent  à  en  défendre 
l'entrée.  (M.) 

I.  Le  roi  quitta  Paris  le  30  juin  pour  aller  passer  un 
mois  à  Chantilly,  chez  M.  le  Duc.  Le  Joicrnal  de  Barbier 
nous  fait  connaître  le  motif  de  ce  déplacement  :  «  On 
croit  dans  Paris  qu'on  va  faire  de  grandes  affaires  à 
Chantilly  ;  mais  le  sujet  véritable  du  voyage  est  très 
croustilleux  ;  on  veut  tâcher  de  donner  au  roi  du  goût 
pour  les  femmes  et  de  lui  faire  perdre  son...  On  espère 
que  cela  le  rendrait  plus  traitable  et  plus  poli  ;  en  effet, 
il  n'y  a  guère  de  jeunes  gens  dans  ce  voyage,  tous  ceux 
qui  sont  nommés  sont  d'un  certain  âge.  C'est  AP"'=  de 
La  Vrillière  qui  est  chargée  de   la  commission,  ou  de  le 


lO  Clair  ambault-Maurepas. 

Pour  mettre  en  goût  le  roi  Louison, 
On  a  pris  quinze  mirlitons^ 
Qui  tous  le  balai  ont  rôti. 

Le  moineau  ^,  las  d'avoir  joué, 
Les  seconds  rôles  chez  Condé 
Veut  jouer  les  premiers  ici. 

La  Nesle  en  veut  avoir  sa  part; 
Qui  croirait  que  les  deux  Villars 
Se  mettent  sur  les  rangs  aussi? 

Le  monarque  en  est  si  charmé. 
De  leur  plaire  il  est  si  pressé 
Qu'il  se 

La  Rupelmonde  a,  ce  dit-on, 
Assuré  qu'elle  l'avait  blond, 
Mais  le  blond  s'est  trouvé  roussi. 

faire...  la  petite  d'Epernon,  qui  est  très  jolie  et  très  jeune, 
ou  de  le  prendre  pour  elle-même.  Ce  dernier  sera  plus 
aisé,  car  la  jeune  duchesse  ne  pourra  pas  faire  tout  ce 
qu'il  faut  pour  cela,  au  lieu  que  M'»'^  de  la  VriUière,  qui 
est  jolie  et  qui  est  femme  d' expérience ,  mènera  le  roi  dans 
quelque  bosquet  et  lui  fera  faire...  » 

1.  Quinze  dames  de  la  cour  nommées  pour  être  du 
voyage.  (M.)  —  «  Entre  elles  les  dames  de  Prie  et  de  Nesle, 
toutes  deux  rivales  du  maître  de  la  maison,  et  M™^  de 
Graves,  fille  du  maréchal  de  Matignon,  qui  est  la  com- 
mode de  M'"*=  de  Prie.  »  {Journ.  de  Marais) 

2.  La  marquise  de  La  VriUière.  (M.)  —  Françoise  de 
Mailly,  femme  de  Louis  Phelypeaux  de  La  VriUière,  secré- 
taire d'État. 


Année    Ij2^.  ii 


Il  n'y  manquait  que  la  Tessé^ 
Et  le  tout  complet  eût  été; 
Mieux  qu'aucune  elle  eût  réussi. 

Une  fille  de  Matignon  ^ 

A  voulu  dresser  un  Bourbon, 

L'aventure  a  mal  réussi. 

La  Fillon  a  représenté 

Que  l'on  allait  sur  son  marché, 

On  l'a  renvo3'ée  à  Billy^. 

La  fille  à  Pleneuf^  voudrait  bien 
S'appliquer  le  roi  très  chrétien  : 
L'enfant  en  a  peu  de  souci. 

On  ne  soupire  en  ce  séjour 

Que  pour  Plutus  et  pour  l'amour, 

Les  servantes  s'en  mêlent  aussi. 

La  Tavannes^  a  dit  à  d'Agout  : 
Monsieur,  comment  vous  portez-vous .'' 
Depuis  six  jours,  le  me  cuit. 


1.  La  marquise  de  Graves,  fille  du  maréchal,  fut  sur- 
prise par  son  mari  couchée  en  badinant  avec  le  comte  de 
Clermont,  prince  du  sang.  (M.) 

2.  Gentilhomme  du  comte  de  Clermont.  (M.) 

3.  M"'e  de  Prie.  (iM.) 

4.  «  Le  vicomte  de  Tavannes,  écrit  Marais,  a  renvoyé 
sa  femme,  qui  avait  perdu  son  peloton  à  Chantilly  où  se 
trouvait  le  portrait  de  AL  d'Agout,  son  amant  très  secret... 


Cl  air  a  m  bau  l  t-AIa  u  repas. 


Jusqu'à  demain  j'en  écrirais, 
Mais  à  quelqu'un  je  déplairais. 
Finissons  donc  par  ces  deux-ci. 

Dans  certain  bosquet  écarté 
Certain  oracle  a  prononcé 
La  centurie  que  voici. 

Six  mois  après  le  mois  de  juin 
Sera  chassée  fine  catin^, 

Landerirette, 
Par  un  général  étourdi, 

Landeriri. 


A  Chantilly  n'y  a  point  d'abbé; 
Pourquoi  donc  si  peu  de  clergé  ? 
Mais  c'est  que  leur  reine  est  ici-. 

Certaine  dame,  ce  dit-on"^, 
Perdit  ici  son  peloton, 
C'est  dommage,  il  était  joli. 

Le  monde  dit  que  M.  de  Tavannes  est  injuste  d'accuser 
sa  femme,  lui  qui  couche  avec  M"^''  de  Creil  qui  est  la 
sœur  de  sa  femme.  Cela  se  dit  tout  haut,  et  voilà  comme 
les  maris  ont  toujours  tort.  » 

1.  M»"*  de  Prie.  (M.) 

2.  M'"^  la  marquise  de  Charost.  (M.) 

3.  M™*^  de  Tavannes,  dame  d'honneur  de  M'"'^  la  du- 
chesse douairière,  avait  le  portrait  de  M.  de  Lyonne  ca- 
ché dans  un  peloton,  (M.) 


Année    IJ24. 


Cette  dame  faisait  des  nœuds, 
Son  peloton  parut  aux  yeux 
De  quelque  très  méchant  esprit. 

Il  le  poussa  subitement 
Et  le  roula  si  brusquement 
Oue  l'effondrillon  on  en  vit. 


Le  roi  de  France 
A  dit  à  son  ami  : 
J'ai  fait  une  ordonnance 
Datée  de  Chantilly, 
x\fin  qu'en  diligence 
Un  chacun  vienne  ici 

Me 


Sabran,  cette  effrontée, 
A  dit  au  grand  Bourbon 
Tu  ne  m'as  pas  nommée, 
Cependant  j'ai  un  ... 
Tout  prêt  au  badinage 
De  la  jeune  guigui 
De  notre  Louis. 


14  Clairambault-Maurepas. 

Margot  la  ravaudeuse 
Disait  à  son  ami  : 
Que  fait-on  de  ces  gueuses 
Qu'on  mène  à  Chantilly  ? 
Quoi  !  pour  un  pucelage 
Faut-il  mener  le  train 
De  dix-sept  catins. 


L'AIR    GRAVE  1 


Avoir  l'air  grave  ou  l'air  commode 
C'est  le  pléonasme  à  la  mode-; 
Cet  affront  est-il  donc  nouveau  ? 
Non,  non,  l'aventure  est  commune. 


1.  A  propos  de  M"^*de  Graves,  que  l'on  trouva  couchée 
avec  le  comte  de  Clermont  à  Chantilly,  au  mois  de  juillet 
1724.  (M.)  —  «  Le  prince  de  Clermont,  qui  n'a  que  quinze 
ans,  frère  de  IM.  le  Duc,  en  a  conté  à  M'"'^  de  Graves  qui 
n'a  pas  fait  la  difficile,  et  qui  n'a  pas  voulu  refuser  un 
prince  du  sang.  Le  mari,  qui  les  a  pris  sur  le  fait,  s'est 
voulu  fâcher,  puis  s'est  pris  à  rire  et  fait  un  mauvais  per- 
sonnage. C'est  la  plus  laide  de  toute  la  liste.  »  {Journal 
de  Marais.) 

2.  «  Quand  une  femme  est  soupçonnée  de  galanterie 
un  peu  forte,  écrit  Marais,  on  dit  qu'elle  est  grave.   » 


Année    1^24. 


Marquis,  cours  à  Fontainebleau 
Ta  femme  y  fera  ta  fortune  ^. 

L'air  grave  suit  le  mariage; 
De  tout  époux,  c'est  l'apanage  : 
Vulcain  avait  l'air  sérieux; 
César,  des  hommes  le  plus  brave, 
Quoique  placé  parmi  les  dieux, 
Fut  soupçonné  d'avoir  l'air  grave. 

Par  respect  pour  l'aimable  prince 
Qui  relève  ta  mine  mince, 
Reçois  cet  honneur  doucement, 
Crains-tu  que  cocu  l'on  te  nomme? 
Non,  l'on  dira  tout  simplement  : 
Il  a  l'air  s:rave,  le  bonhomme. 


Je  suis  cocu  ! 
Disait  un  marquis  en  colère. 

Je  suis  cocu  ! 
Je  le  sais  fort  bien,  car  j'ai  vu 
Par  une  porte  de  derrière, 
Sortir  un  prince  sans  lumière. 

Je  suis  cocu  ! 


I.    Au  retour    du    voyage  de    Chantilly,   le  roi  alla 
Fontainebleau.  (M.) 


Clairambauh-Maurepas. 


LES    EXPLOITS 


MADAME   DE   LA  VRILLERE 


A  LA  fin  notre  jeune  roi 
S'est  soumis  à  la  douce  loi 
Du  dieu  qu'on  adore  à  Cythère^^ 
Laire  lan  laire. 

De  dix-sept  bêtes  qu'il  courut, 
Quoique  toutes  fussent  en  rut, 
Il  n'a  choisi  qu'une  grand-mère. 

Mais  quoique  l'objet  de  son  choix 
Ne  soit  pas  un  morceau  de  roi, 
C'était  la  meilleure  ouvrière - 


1.  L'avocat  Barbier,  d'ordinaire  bien  informé,  émet  une 
opinion  toute  différente.  «  Il  ne  paraît  pas,  dit-il,  qu'on 
ait  réussi  dans  le  dessein  du  voyage  de  Chantilly.  Le  roi 
ne  songe  qu'à  chasser  et  il  ne  veut  point  tâter  du...  » 
Et  il  ajoute  bonnement  :  «  J'avoue  en  mon  particulier 
que  c'est  dommage,  car  il  est  bien  fait  et  beau  prince  ; 
mais,  si  c'est  son  goût,  qu'y  faire  ?  Il  est  en  place  à  ne  se 
point  gêner.  » 

2.  Barbier,  comme  on  l'a  déjà  xu,  la  trouvait  fetnme 
d'expérience,  et  cela    non   sans  raison,  car   elle  avait  eu 


Année    1^24. 


Pour  dresser  un  jeune  courrier 
Et  l'affermir  sur  l'étrier 
Il  lui  fallait  une  routière; 

Aussi  depuis  cet  heureux  jour 
Tout  tremble  sous  elle  à  la  cour, 
Tant  de  sa  conquête  elle  est  fière. 

Battons  le  fer  quand  il  est  chaud, 
Dit-elle ,  en  faisant  sonner  haut 
Le  nom  de  sultane  première. 

Je  veux  en  dépit  des  jaloux 
Qu'on  fasse  duc  mon  époux  ^, 
Lasse  de  le  voir  secrétaire. 

Je  sais  bien  qu'on  murmurera, 
Que  Paris  nous  chansonnera; 
Mais,  tant  pis  pour  le  sot  vulgaire. 

Par  l'épée  ou  par  le  fourreau 
Devenir  duc  est  toujours  beau, 
Il  n'importe  de  la  manière. 


longtemps  pour  amant  le  marquis  de  Xangis,  et  peut-être 
aussi  le  Régent, 

I.  Le  marquis  de  la  Vrillière  mourut  en  1725,  sans  avoir 
obtenu  ce  titre  de  duc  qu'il  désirait  ardemment.  Sa 
femme,  plus  heureuse  que  lui,  devint  dame  d'atours  et 
duchesse  par  son  second  mariage  avec  le  duc  de  Mazarin, 
qui  la  laissa  veuve  au  bout  de  trois  mois. 


i8  Clairambault-AIaurepas. 

Bien  des  maris  sont  convaincus 
D'être  authentiquement  cocus 
Et  de  duchés  ne  tâtent  guère. 
Laire  lan  laire. 


LA   JOIE 

DE 

M.   DE    LA  VRILLIÈRE 


Le  roi  m'a  fait  cocu  dessus  mon  âme, 

J'admire  mon  bonheur; 
J'irai  bientôt,  le  tout  grâce  à  ma  femme, 

Au  plus  haut  point  d'honneur. 
D'un  pareil  trait  faut-il  que  je  m'attriste  ? 
Je  serai  ministre,  moi. 
Je  serai  ministre. 

Cocu  d'un  roi  le  fait  est  honorable , 

Peste  !  je  le  sais  bien. 
Un  noir  chagrin  serait  très  condamnable   : 

Ce  serait  fuir  le  bien. 
Je  ne  veux  point  de  ces  honneurs  austères, 

Je  suis  La  Vrillière,  moi, 
Je  suis  La  Vrillière. 


Année    1^2  4.  19 


Dans  ma  famille  un  chacun  a  des  cornes  : 

Pourrai-je  en  refuser  ? 
Tous  mes  parents  les  ont  hautes  sans  bornes; 

Moi,  sans  les  mépriser, 
Si  notre  roi  m'en  veut  planter  cinquante, 

Souffrons  qu'il  les  plante,  lui, 
Souffrons  qu'il  les  plante. 


MOMUS   FABULISTE 


Certain  chasseur,  lassé  de  ne  rien  prendre. 
S'en  retournait  l'air  triste  en  sa  maison, 
Lorsqu'en  chemin,  tout  proche  de  s'y  rendre. 
Son  chien  sentit  un  vent  de  venaison; 
Royal  chasseur,  ma  fable  est-elle  obscure  ? 
Lure,  lure, 
La  Vrillière  l'expliquera. 
La,  la,  la,  la. 


La  lance  en  main  et  le  corps  en  haleine 
Sitôt  il  crie  :  A  moi  Luriault,  Mériault  ; 
Mais  son  gibier  lui  sauva  toute  peine. 
Se  couchant  bas  au  seul  bruit  du  taïaut. 


20  Clair  amb  au  1 1"  AI  au  repas. 

Jeune  Louis,  ma  fable  est-elle  obscure  ? 
Lure,  lure. 
La  Vrillière  l'expliquera, 
La,  la,  la,  la. 


Un  gros  cyclope  à  tête  effarouchée, 
Franc  ignorant  du  timon  de  l'Etat, 
Avec  sa  rosse  au  mors  mal  abouchée 
Par  vils  chemins  menaient  un  potentat. 
Cher  duc  borgnon,  ma  fable  est-elle  obscure 
Lure,  lure. 
La  de  Prie  te  l'expliquera, 
La,  la,  la,  la. 


LES    PRELATS 

ET 

LA   BULLE    UNIGENITUS^ 

Lâches  prélats,  que  l'intérêt  domine, 
A  mauvais  jeu  vous  faites  bonne  mine; 


I.   Chanson  faite  à  l'occasion   de  l'assemblée  du   clergé 
de  France,  tenue  au  mois  d'octobre.  «  Les  évêques  y  de- 


Année   1/2^.  2i 


Mais 

Le  ver  secret,  qui  vous  mine, 
Ne  vous  quittera  jamais. 

Vous  brillerez  pour  un  temps  par  vos  titres, 
Vos  cordons  bleus,  vos  chapeaux  et  vos  mitres 
Mais 
N'êtes-vous  pas  des  bélîtres 
De  vous  perdre  pour  jamais  ? 

Pour  nous  sauver,  messieurs  les  commissaires, 
Indiquez-nous  les  sentiers  nécessaires; 
Mais 

Il  faut  des  guides  sincères; 

Tellier  ne  le  fut  jamais. 

Du  Saint-Esprit  nous  adorons  le  souffle, 

Xous  respectons  le  pape  et  sa  pantoufle  ; 

Mais 

Pour  la  bulle  du  maroufle, 

Xous  n'y  souscrirons  jamais. 


mandèrent  au  roi  la  permission  de  tenir  des  conciles  pro- 
vinciaux pour  juger  MM.  de  Bayeux  et  de  Montpellier 
sur  leurs  écrits.  Il  y  eut  une  lettre  de  la  même  assemblée 
au  Roi,  pour  se  plaindre  qu'on  ne  leur  laisse  pas  la  li- 
berté qu'ils  désireraient  pour  faire  main  basse  sur  les  appe- 
lants. Cette  lettre  était  si  séditieuse  que,  dès  qu'elle  de- 
vint publique,  le  Parlement  ne  put  se  dispenser  de  la 
flétrir  par  un  arrêt.  »  {Abrégé  chronologique  des  principaux 
événements  de  la  Constitution^ 


22  Cl  air  amb  ault-Maurepas. 

Nous  révérons  l'Eglise  et  ses  conciles 
A  leurs  décrets  nous  sommes  bien  dociles; 
Mais 

A  des  papes  imbéciles 

Doit-on  obéir  jamais  ? 

L'autorité  du  pape  justifie 
Par  le  dépôt  que  le  Christ  lui  confie; 
Mais 
On  souscrit  s'il  édifie 
Et  s'il  ne  détruit  jamais. 

Le  beau  décret,  le  plaisant  codicille 
Oui  nous  défend  de  lire  l'Evangile; 
Mais 

Si  le  Saint-Père  est  fragile 

L'Eglise  ne  l'est  jamais. 

Oui,  ce  décret,  que  l'erreur  accompagne, 
Sera  prescrit  par  toute  l'Allemagne, 
Mais 
Baisons-le  comme  en  Espagne, 
Enfermons-le  pour  jamais. 


Année   I'J24>  2'^ 


ÉPIGRAMMES    DIVERSES 


Ilion  gémit  sous  la  cendre, 
Pour  avoir  produit  un  Paris; 
Que  ne  devons-nous  pas  attendre, 
En  ayant  quatre  dans  Paris  ! 


SUR    VILLEROY 


ViLLEROY  revient  à  la  cour'; 
Chaque  bon  citoyen,  charmé  de  ce  retour, 

Voudrait  qu'un  si  grand  personnage, 
Qu'un  seigneur,  qu'a  marqué  le  ciel  au  meilleur  coin, 


1.  Les  frères  Paris,  devenus  tout-puissants  par  le  crédit 
de  M'"^  de  Prie,  étaient  généralement  détestés.  L'achar- 
nement qu'ils  mettaient  à  perdre  le  secrétaire  d'Etat  de 
la  guerre  Le  Blanc,  pour  complaire  à  la  favorite,  leur 
valut  cette  épigramme. 

2.  Le  maréchal  de  Villeroy  revint  de  son  exil  à  la  fin 
de  juin  ;  le  peuple  accueillit  son  retour  avec  enthousiasme 
et  voulait  même  le  saluer  par  des  feux  de  joie.  !Mais  le 
jeune  roi  avait  perdu  le  souvenir  de  son  vieux  gouverneur, 
et  lorsqu'il  le  vit  à  la  cour,  il  ne  lui  dit  pas  un  mot  et  ne 
le  regarda  même  pas. 


24  Clairambaul  t-AIaurepas. 

Pût  vivre  désormais  le  double  de  son  âge, 
Et  que  notre  monarque  en  pût  être  témoin  ^ 


SUR     RICHELIEU  " 

Richelieu,  La  Pe3-ronie 
A  formé  notre  lien; 
Pour  te  prouver  ta  folie, 
La  vérole  est  tout  mon  bien, 

Je  te  la  donne; 
Et  mon  c...,  dont  tu  la  tiens, 

Fait  ta  couronne. 


SUR    imbert-^ 

Mox  fils  d'apothicaire 
A  bien  changé  d'état, 
Car  il  est  secrétaire 


1.  «  Le  poète  n'est  pas  de  la  cour,  remarque  Marais,  et 
n'a  pas  consulté  le  goût  du  roi,  qui  ne  voudrait  pas  vivre 
si  longtemps  pour  voir  toujours  le  maréchal  à  côté  de 
lui.  » 

2.  «  Il  a  eu,  depuis  peu,  les  bonnes  grâces  d'une  dame 
que  l'on  ne  tient  pas  bien  saine  (M'"^  de  Gontaut,  gâtée 
par  son  mari)  et  il  a  été  chanté.  »  ^Mémoires  de  Marais.) 

3.  Valet  de  chambre  de  M.  le  duc  d'Orléans,  dont  le 
père  avait  été  apothicaire.  (M.)  —  Il  avait  été  envoyé  en 


Année    1^24.  25 


Envoyé  à  Rastadt, 
Pour  chercher  la  monture 
D'un  prince,  qui  n'osit 
Prendre  femme  ici  ^. 


SUR     MALLET- 

Le  héros  de  la  fanfreluche  '^ 
Gisait  dans  la  fatale  huche, 
La  mort  l'ayant  pris  au  collet  ; 
Nul  n'osait  prétendre  à  la  place 
D'un  petit-maître  aussi  complet, 
Quand  le  souverain  du  Parnasse 
Dit  en  pinçant  son  poil  follet  : 
Aux  emplois  du  Dariollet, 
Moi,  dieu  des  fictions,  je  nomme, 
Et  reconnais  pour  gentilhomme 
Le  fils  du  charpentier  Mallet*. 


qualité    de   secrétaire  à  Rastadt,  faire  les  premières  dé- 
marches relatives  au  mariage  du  duc  d'Orléans. 

1.  C'est  M'"^  Imbert  qui  parle  de  son  fils.  (M.) 

2.  Jean-Roland  Mallet,  économiste  et  financier,  membre 
de  l'Académie  française. 

3.  Feu  de  Charmoy,  dit  îjiilord  Colifichet.  (M.) 

4.  Il  avait  acheté  la  survivance  de  la  charge  de  gentil- 
homme ordinaire  de  Charmoy,  surnommé  milord  Colifichet. 
La  fille  de  M.  Mallet  a  épousé  le  président  Rosdier.  (M.) 


26  C  lairamb  aul  t-Maurepas. 


SUR     FOXTEXELLE- 

Le  phénix  de  nos  beaux  esprits, 
Poète,  orateur,  astronome, 
Va  de  Clarisse  chez  Chloris 
Lire  sa  pièce  du  Fantôme'^. 
Or,  un  fantôme,  ami  lecteur, 
Surprend  et  s'exhale  en  fumée; 
Ainsi  va  de  la  renommée 
Et  des  rentes  de  notre  auteur. 


SUR     LA     TRAGÉDIE     DE     MARIAXNE^ 

Ci-GiT  qui  fut  brillante  avant  que  de  paraître 
Qui,  paraissant,  cessa  de  l'être  ; 

1.  Bernard  Le  Bo\âer  de  Fontenelle  (1657-1757),  neveu 
du  grand  Corneille,  l'un  des  plus  célèbres  écrivains  du 
XVIII*'  siècle,  exerça  ses  talents  dans  les  genres  les  plus 
divers,  et  dut  à  ses  nombreux  ouvrages  une  réputation 
bien  méritée  de  bel  esprit  et  de  savant.  Il  fut  membre  de 
l'Académie  des  inscriptions,  de  l'Académie  des  sciences,  et 
secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  française  pendant  qua- 
rante-deux ans, 

2.  «  Cela  a  rapport  à  une  pièce  de  théâtre  intitulée  : 
le  Fantôme,  que  l'on  dit  qu'il  va  lire  chez  ses  amis,  et 
qu'il  ne  veut  point  donner  au  théâtre.  Il  a  fait  tant  dialo- 
guer les  morts  qu'il  peut  bien  représenter  des  fantômes.  » 
{Corresp.  de  Marais.) 

3.  Représentée  le  i"  mars  1724.  (M.)   —   Marais  écri- 


Année    1^2  4.  27 


Un  seul  jour  éclaira  sa  vie  et  "son  trépas  : 
Chacun  la  vit  mourir  sans  regret,  non  sans  trouble. 
Passant,  tu  ne  perds  rien,  si  tu  ne  la  vis  pas, 
Si  tu  la  vis,  tu  perds  le  double^. 

vait  à  la  fin  de  fé\Tier  :  «  On  nous  annonce  une  comédie 
de  Marianne  qui  va  être  jouée  et  qu'Arouet,  poète  infa- 
tigable, nous  donne  pour  ce  carême.  »  Et  peu  après  : 
«  La  tragédie  a  été  jouée  et  a  tombé  dès  la  première  re- 
présentation. » 

I.  C'est  que  l'on  paye  le  double  aux  premières  représen- 
tations. (M.) 


ANNÉE    1725 


LES 

TROIS  DUCS  AU  PARLEMENT^ 


Or,  écoutez,  petits  et  grands, 
Le  très  piteux  événement, 
Qui  vient  d'arriver  en  France  : 
Trois  ducs  et  pairs  ont  pris  séance 
Parmi  messieurs  du  Parlement, 
Pour  y  blâmer  monsieur  Le  Blanc-. 


1.  Messieurs  les  ducs  de  Richelieu,  de  La  Feuillade,  ma- 
réchal de  France,  et  de  Brancas,  s  étant  trouvés  aux  pre- 
mières assemblées  du  Parlement,  pour  le  procès  de  M.  Le 
Blanc,  ci-devant  secrétaire  d'Etat  et  complices,  et  ayant 
cessé  d'y  aller,  ont  donné  lieu  à  ce  vaudeville.  (M.) 

2.  Le  lundi  8  janvier  1725,  toutes  les  Chambres  du 
Parlement  assemblées  à  la  grand'Chambre  pour  travailler 
à  l'affaire  de  M.  Le  Blanc  et  de  Michel  La  Jonchère,  ci- 
devant  trésorier  de  l'extraordinaire  des  guerres,  soupçonné 
d'avoir  participé  au  meurtre  du  sieur  Sandrier,  commis  de 
La  Jonchère,  M.  le  duc  d'Orléans  et  le  prince  de  Conti 
s'y  trouvèrent  à  toutes  les  séances  jusqu'à  la  fin  en  faveur 

V.  3. 


^o  Clairamhault-Maurepas. 

Tous  les  ducs  ont  été  camards, 

Quand  ils  ont  su  que  le  Villars, 

Richelieu  et  La  Feuillade 

Ont  fait  cette  belle  cacade, 

Et  que,  pour  eux,  l'honneur  n'est  plus 

Qu'un  vain  et  chimérique  abus. 

Ils  y  furent  tous  trois  lundi, 
Entrèrent  encor  le  mardi; 
Mais,  mercredi,  plus  ils  n'osèrent, 
Et,  depuis,  ils  n'}^  retournèrent. 
S'y  voyant  siffles,  bafoués, 
Montrés  au  doigt  de  tous  côtés  ^. 

C'est  monsieur  lé  duc  d'Orléans 
Qui,  du  temps  qu'il  était  Régent, 


de  M.  Le  Blanc.  ^IM.  Les  ducs  de  La  Feuillade,  de  Bran- 
cas  et  de  Richelieu  y  vinrent  le  premier  et  le  second 
jour  pour  faire  leur  cour  à  M.  le  duc  de  Bourbon  ;  après 
quoi,  ils  ne  parurent  plus.  MM.  Fallu  et  Delpech  de 
Mireuille  furent  rapporteurs  de  l'affaire,  qui  fut  jugée  le 
22  janvier  et  renvoyée  à  la  Tournelle  sans  qu'il  fût  parlé 
dans  la  prononciation  de  l'arrêt  de  M.  Le  Blanc,  nonobs- 
tant lès  conclusions  du  procureur  général  qui  tendaient  à 
le  décréter  de  prise  de  corps. 

Cette  affaire  ne  s'est  pas  menée  sans  intrigues  de  part 
et  d'autre.  Le  Parlement  en  général  était  pour  M.  Le 
Blanc.  Les  Paris  avaient  excité  M.  le  Duc  contre  La  Jon- 
chera et  M.  Le  Blanc.  (M.) 

I.  «  On  les  avait  regardés  dans  le  public  comme  les 
espions  de  M.  le  Duc,  et  ils  s'étaient  retirés.  On  a  fait  des 
chansons  sur  les  trois  ducs  et  on  les  a  tympanisés.»(^<3z/r- 
nal  de  Barbier.) 


Année    1725. 


A  donné  lui-même  le  grade 
De  duc  et  pair  à  La  Feuillade  ; 
Et  cependant  on  voit,  pour  prix 
De  ce  bienfait,  qu'il  le  trahit. 

Villars,  qu'il  a  fait  pair  aussi, 

Lui  tourne  casaque  aujourd'hui. 

Admirez  la  reconnaissance 

Des  grands  que  l'on  nous  vante  en  France  : 

Sans  le  Régent,  sans  ses  bontés, 

Villars  aurait  été  ruiné. 

Pour  Richelieu,  sans  en  parler, 
Le  monde  le  connaît  assez. 
Etourdi,  plein  de  confiance, 
Content  de  faire  une  imprudence, 
Au  risque  même  du  mépris, 
Pourvu  que  l'on  parle  de  lui. 

Que  ces  trois  bons  ducs  a  présent 
Viennent  disputer  fièrement 
Le  pas  à  toute  la  noblesse. 
Quand  on  les  voit  avec  bassesse 
Prendre  rang  sur  les  fleurs  de  lys 
Pour  faire  leur  cour  aux  Paris. 

Or,  prions  tous,  à  deux  genoux, 
Le  dieu  de  l'empire  des  fous 
Qu'il  engage  par  sa  marotte 


^2  Clair  a  uib  aal  i- Maurep  a  s. 

Le  commandant  de  la  calotte, 
De  donner  charge  en  ses  États 
A  ces  trois  fameux  magistrats. 


LA  VANITE   DE    DODUN 


DoDUX  dit  à  son  tailleur - 
Marquis  d'Herbaut  je  me  nomme, 
Je  veux  être  en  s^rand  seigneur 


1.  Charles  Gaspard  Dodun,  marquis  d'Herbaut  (1679- 
1736)  fut  successivement  conseiller  au  Parlement  de  Paris, 
à  la  quatrième  Chambre  des  enquêtes,  président  de  la 
même  Chambre,  intendant  de  Bordeaux,  maître  des  requêtes 
de  l'hôtel  du  roi,  et  contrôleur  général  des  finances, 
le  21  a\TiI  1722. 

2.  «  Il  est  arrivé  une  aventure  divertissante  à  la  cour, 
M.  Dodun,  contrôleur  général  des  finances  et  puissam- 
ment riche,  a  acquis  le  marquisat  d'Herbaut,  proche 
Orléans,  et  la  charge  de  lieutenant  du  roi  d'Orléans.  Cela 
lui  a  paru  trop  bourgeois  de  rester  un  homme  de  robe, 
surtout  ayant  le  cordon  bleu  ;  il  a  pris  l'épée,  s'est  fait 
appeler  M.  le  marquis  d'Herbaut,  et,  entre  autres  choses, 
il  s'est  fait  galonner  un  habit,  ni  plus  ni  moins  qu'un 
habit  d'un  officier  des  gendarmes.  Cela  a  paru  si  ridicule 
qu'on  n'a  pas  pu  y  tenir.  Il  est  fort  haï.  On  a  recherché 
l'origine  du  sieur  Dodun,  et  on  a  trouvé  que  son  grand- 
père  avait  été  laquais  ;  et,  enfin,  on  a  fait  des  chansons  sur 
lui  et  sur  M.  Dodun,  qui  ont  été  chantées  jusque  par  les 
décrotteurs.  M™^  Dodun  en  a  été  huit  jours  sans  dormir.  » 
{Journal  de  Barbier.) 


Année    ij25.  33 


Habillé,  et  voici  comme  : 
Galonnez,  galonnez,  galonnez-moi^ 

Car  je  suis  bon  gentilhomme. 
Galonnez,  galonnez,  galonnez-moi, 

Je  suis  lieutenant  du  roi. 

Cela  suffit,  dit  le  tailleur  : 
N'épargnons  rien  pour  cette  emplette. 
Je  comprends  bien  que  Monseigneur 
Veut  la  chamarrure  complète. 
A  la  cour  on  l'admirera 
Et  à  la  ville  on  chantera  : 
Galonnez,  galonnez,  galonnez-moi, 
Je  suis  Heutenant  du  roi. 

Oui,  dit  sa  chère  moitié, 

Et  contrôleur  des  finances. 

Ma  foi  !  c'est  un  bon  métier. 

Des  meilleurs  qui  soient  en  France, 

Galonnez,  galonnez,  galonnez  bien. 
Car  nous  aimons  la  dépense  ; 

Galonnez,  galonnez,  galonnez  bien. 
Un  habit  comme  le  sien. 

Mon  cousin,  dit  le  tailleur. 
Il  n'est  point  de  gentilhomme 
Oui  ait  l'air  de  grand  seigneur. 
Comme  aura  votre  personne  : 
Galonnez,  galonnez,  galonnez-vous, 
Votre  aïeul  si  galant  homme. 


^4  Clairambault-Maurepas 

Galonnez,  galonnez,  galonnez-vous, 
Portait  galons  comme  vous. 

La  Dodun  dit  à  Frison  ^  : 

Coiffez-moi  avec  adresse, 

Je  prétends  avec  raison 

Inspirer  de  la  tendresse  : 
Tignonnez,  chignonnez,  bichonnez-moi, 

Je  vaux  bien  une  duchesse, 
Tignonnez,  chignonnez,  bichonnez-moi, 

Car  je  soupe  avec  le  roi^. 

Ma  foi,  lui  répond  Frison, 

Quoiqu'à  friser  je  me  tue, 

Malgré  votre  beau  chignon, 

Vous  ne  serez  point  courue  : 
Tignonnez,  bichonnez,  moutonnez  bien. 

Ce  sera  peine  perdue, 
Tignonnez,  bichonnez,  moutonnez  bien. 

Sans  argent,  vous  n'aurez  rien. 

Certain  soir,  en  sa  gaîté 
Voulant  qu'on  rendît  hommage 

1.  «  Le  fameux  Frison,  qui  avait  été  laquais,  frisait  fort 
bien.  Toutes  les  femmes  de  la  cour  l'appelaient  et  ne  vou- 
laient confier  qu'à  lui  leur  tête  ;  il  avait  réellement  un 
talent  supérieur  qu'il  avait  formé  chez  Bligny...  Il  est  de- 
venu un  homme  important,  remarquable  par  ses  saillies 
pleines  de  simplicité  et  de  mérite.  »  [Mémoires  de  Maiirepas.) 

2.  Elle  soupa  un  jour  du  carnaval  à  Marly  avec  le 
roi.  (M.) 


Année  17  25, 


35 


A  ses  occultes  beautés, 

Dit  :  laissez  là  mon  visage  ; 
Mais  troussez,  mais  troussez,  mais  troussez-moi, 

Et  vous  trouverez,  je  gage. 
Mais  troussez,  mais  troussez,  mais  troussez-moi, 

Et  vous  trouverez  de  quoi. 

Aussitôt  le  gai  Dodun 

Leva  sa  cotte  légère  ^, 

Et  fit  voir  à  un  chacun 

La  croupe  de  sa  bergère  : 
Convenez,  convenez,  convenez  donc 

Que  c'est  Vénus  par  derrière. 
Convenez,  convenez,  convenez  donc 

Que  c'est  un  vrai  Cupidon. 

Dieux  que  l'épouse  a  d'attraits  ! 

Que  l'époux  a  l'âme  bonne  ! 

Que  le  ciel  de  ses  bienfaits 

Comble  à  jamais  leurs  personnes  ! 
Tignonnons^  galonnons,  bichonnons-les, 

Puisque  chacun  d'eux  l'ordonne, 
Tignonnons,  galonnons,  bichonnons-les. 

Le  peuple  en  fera  les  frais. 


I.  On  dit  que  M.  Dodun,  soupant  un  soir  avec  ses  amis 
et  voulant  caresser  sa  femme  devant  la  compagnie,  elle  se 
défendit,  et  qu'il  la  prit  malgré  elle  et  lui  troussa  ses 
jupes  par  derrière  devant  le  monde.  (M.) 


■26  C  l  air  a  m  bail  1 1- AI  au  repas. 

A  Dodun  dit  Lézignan^  : 
Mon  oncle,  prenez  ma  brette^, 
Et  qu'en  échange,  à  présent, 
Votre  noir  manteau  je  mette  : 

Fagotez,  fagotez,  fagotez-moi 

En  président  des  enquêtes^; 

Fagotez,  fagotez,  fagotez-moi, 

Nargue  du  souper  du  roi  ! 


Dodun,  mon  ami, 

Qui  t'a  fait  si  brave; 

Tu  n'as  pas  l'habit 

D'un  ministre  grave; 
Voudrais-tu  briguer  quelque  emploi 
Dans  les  mousquetaires  du  roi  ^  ! 

1.  Gayardon  de  Lézignan,  conseiller  au  Parlement  de 
Paris  et  cousin-germain  de  Dodun.  Dodun,  qui  n'avait  pas 
d'enfants,  l'institua  par  testament  son  légataire  universel. 

2.  Epée  de  duel,  à  lame  longue  et  effilée,  qui  était  sur- 
tout en  usage  aux  trois  derniers  siècles,  et  se  portait 
sur  le  côté,  très  inclinée  à  cause  de  son  extrême  longueur. 

3.  Dodun  avait  abandonné  les  fonctions  de  président 
de  la  quatrième  Chambre  des  enquêtes,  pour  celles  de 
contrôleur  général. 

4.  «  Toute  la  cour  s'est  exercée  et  a  fait  couplets  sur 
couplets.  !Mais  le  contrôleur  général  a  laissé  chanter,  et  sa 
femme,  qui  est  fort  laide  (fille  de  Sachot,  avocat),  est  assez 
bonne  femme  pour  une  bourgeoise  et  reçoit  bien  du 
monde.  Elle  appelle  ^P'*-"  de  Clermont,  princesse  du  sang, 
MigJionnej  et  on  en  rit.  »  {Mémoire  de  Marais.) 


Année    1725. 


37 


LE   JANSENISME 


L'ABBESSE   DE    CHELLES^ 


Je  suis  prophète,  jeune  Iris-, 

Mon  nouveau  jansénisme 
Va  gagner  la  cour  et  Paris  ; 

C'est  fait  du  molinisme  : 
Les  docteurs  à  vos  agréments 

Xe  peuvent  pas  répondre, 
Et  vos  yeux  sont  des  arguments 

Oui  savent  tout  confondre. 


1.  «  Il  s'est  répandu  une  lettre  de  M"-*^  d'Orléans, 
abbesse  de  Chelles,  où  elle  a  fait  une  profession  de  foi 
très  janséniste,  et  on  ne  sait  quel  moine  lui  a  mis  cela 
dans  la  tête.  Par  arrêt  du  conseil  du  28  avril,  cet  écrit  a 
été  supprimé.  L'arrêt  porte  que  ce  ne  peut  être  rou\Tage 
de  cette  princesse  parce  que  l'auteur,  peu  instruit  des 
titres  qui  appartiennent  aux  princesses  de  son  rang,  lui 
donne  celui  d'Altesse  royale  au  lieu  d'Altesse  sérénissime, 
qui,  seul,  convient  à  sa  naissance.  Il  est  dit  encore  que 
cet  écrit  est  rempli  d'erreurs,  que  l'Église  a  condamnées 
depuis  longtemps,  et  d'expressions  contraires  à  l'esprit  de 
soumission  que  l'état  monastique  qu'elle  a  embrassé  l'oblige 
à  garder  plus  indispensablement.  »  (J/ém.  de  Marais.) 

2.  Cette  pièce  facétieuse  est  «  une  déclaration  d'amour 
d'un  dévot  janséniste  à  M""^  de  Chelles.  »  (M.) 


o8  Clair  amhault-3I  aurepas. 

N'allez  pas^  comme  avec  Ouesnel 

En  use  le  Saint-Père, 
Me  faire  un  procès  criminel. 

Je  crains  votre  colère. 
Pour  mes  tendres  réflexions. 

Quelle  heureuse  fortune 
Si  de  cent  propositions 

Vous  en  acceptiez  une  ! 

Je  vois  en  vous  de  Port-Royal 

Ressusciter  l'élite  ; 
Vous  avez  l'esprit  de  Pascal 

Et  d'Arnauld  le  mérite^. 
On  peut  exalter  vos  attraits 

Sans  craindre  l'hyperbole, 
Et  j'estime  plus  vos  essais 

Que  ceux  du  gi-and  Nicole. 

Que  dans  vos  5^eux  Janséniens, 
Je  trouve  fortes  armes, 

Que  la  bulle  Unigenihis 

Tient  peu  contre  vos  charmes  ! 

Pour  vous  plaire,  Iris,  de  bon  cœur 
Je  me  fais  janséniste. 


I.  «  Devenue  habile  janséniste  par  les  soins  du  béné- 
dictin, son  directeur,  elle  voulut  être  savante  dans  les 
Écritures,  et  en  extraire  les  passages  qui  lui  paraissaient 
favorables  à  ses  sentiments.  Deux  secrétaires  choisissaient 
ces  passages,  et  elle  y  ajoutait  ses  réflexions.  »  {Mém.  de 
Richelieu.) 


Année   17  25.  39 


Mais  avez  pour  moi  la  douceur 
D'une  âme  m.oliniste. 

Je  vois  l'amour  armé  de  traits 
Qui  vous  suit  à  la  trace, 

De  votre  air  vif,  brillant  et  frais, 
La  grâce  est  efficace. 

Je  soutiendrai  ce  dogme-là, 
Et  ma  thèse  est  publique. 

Quand  on  devrait  chez  Loyola 
M'appeler  hérétique. 

Je  défendrai  vos  doux  appas 

En  docteur  de  Cythère, 
Contre  eux  on  ne  me  fera  pas 

Signer  le  Formulaire. 
Si  par  malheur  votre  courroux 
Me  condamne  ou  m'exile, 
Je  n'en  appellerai  qu'à  vous, 
Non  au  futur  concile. 


40  Cl  airambaul  t-AIaurepas. 

LES   EXPLOITS 

DU  DUC  DE  BOURBON 


Mes  amis  veulent  pour  rire 
Que  je  fasse  une  chanson 
Sur  certain  prince  borgnon, 
Objet  digne  de  satire. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Sa  race  tombe  en  délire, 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Or,  écoutez  ma  chanson. 

Il  tire  son  origine 

D'un  fameux  roi  des  Français 

Par  ses  illustres  exploits 

Il  cause  notre  ruine. 

Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 

Il  est  d'une  mince  mine. 

Sur  nos  blés  son  entreprise  ^ 
Est  peu  digne  de  son  sang, 


I.  On  soupçonna  le  duc  de  Bourbon  de  participer  à  des 
monopoles  qui  avaient  pour  résultat  de  porter  le  blé  à  un 
prix  excessif.  «  Les  blés  des  hôpitaux  et  d'autres  endroits 
publics,  lisons-nous  dans  les  Mémoires  de  Marais,  ont  été 
enlevés  et  vendus  la  moitié  plus  qu'ils  n'avaient  été  ache- 


Année    ij25.  41 


Sans  estime  de  son  rang 
Grands  et  petits  le  méprisent. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Il  tient  de  la  bâtardise. 

D'un  air  farouche  et  sinistre 
De  tout  temps  il  fut  doué; 
D'un  infâme  gain  luré, 
Il  a  surpassé  le  cuistre  ^ 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Il  est  à  présent  ministre. 

Jadis  traître  à  la  patrie, 
Sa  casaque  il  retourna, 
Le  pardon  le  ramena. 
Jadis  traître  à  la  patrie  : 
Donc  son  nom  reste  flétri; 
De  la  crasse  il  est  pétri. 

Dans  sa  damnable  maxime. 

Adultère,  furieux, 

Il  croit  son  sort  glorieux  ; 


tés.  Les  officiers  de  police,  au  lieu  de  les  faire  diminuer 
dans  les  marchés,  les  faisaient  augmenter.  Il  a  été  dé- 
fendu dans  les  lieux  voisins,  d'en  faire  venir  à  Paris, 
pour  entretenir  cette  disette  et  cette  cherté  affreuses,  et  on 
n'a  point  douté  qu'en  deux  ou  trois  marchés  elle  a  pro- 
duit neuf  millions  au  profit  de  qui  il  vous  plaira.  On  a 
joué  le  sort  de  la  ville  de  Paris  et  peut-être  de  la  France 
à  ce  jeu  secret.  » 

I.  Le  cardinal  Dubois. 


42  Clairamb  ault-Maurep  as. 

Il  s'en  loue,  il  s'en  estime. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Il  ne  vit  que  pour  le  crime. 

Habile  pour  la  lésine, 
Il  s'empare  de  nos  grains, 
Rehaussant  le  prix  du  pain, 
Sur  notre  vie  il  rapine. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Il  empeste  la  farine. 

Pour  ministre  des  finances 

Il  a  pris  un  scélérat, 

Un  fourbe,  un  gueux,  un  soldat. 

Digne  gibier  de  potences. 

Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 

Je  respecte  les  puissances. 

D'une  illustre  lieutenance 
Il  doue  un  maître  fripon  ^ 
De  sa  maîtresse  le  c..., 
A  produit  son  opulence. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
Il  est  bourreau  de  la  France, 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom. 
J'honore  trop  les  Bourbons. 


i.  Ravot  d'Ombreval,  lieutenant  général  de  police.   (Cf. 
ci-après  p.  40.) 


Année    1710.  43 


LE   MARIAGE   DU  ROI 


L'iNFAXTE  est  partie,  Dieu  merci, 
Disait  le  Duc  au  roi  Louis  ^: 
Mais,  sire,  il  faut  être  papa. 
AUchiia. 

Vos  sujets  nous  demandent  tous 


I.  Le  renvoi  de  l'infante  d'Espagne,  Anne  Victoire,  qui 
devait  épouser  Louis  XV,  fut  décide,  au  mois  de  mars 
1725,  par  le  duc  de  Bourbon,  obéissant  en  cela  à  des  mo- 
tifs d'intérêt  personnel  qui  ne  furent  un  secret  pour  per- 
sonne. 

«  On  commence  à  s'apercevoir,  dit  Marais,  que  le  ren- 
voi de  l'infante  est  un  effet  de  la  haine  de  la  maison  de 
Condé  contre  celle  d'Orléans.  Le  roi  a  été  malade,  on  a 
craint  de  le  perdre  ;  le  duc  d'Orléans  eût  été  roi,  et  M.  le 
Duc  eût  mal  passé  son  temps.  Si  le  roi  garde  l'infante,  il 
n'ain-a  d'enfants  de  sept  ou  huit  ans  d'ici  ;  il  peut  mourir, 
la  même  crainte  reviendra  ;  la  branche  d'Orléans  régnera 
et  celle  de  Condé  sera  disgraciée  et  rejetée  bien  loin.  Il 
faut  donc  renvoyer  l'infante  et  marier  le  roi  à  quelque 
princesse  de  son  âge,  dont  il  aura  des  enfants,  et  les  espé- 
rances des  Orléans  tombent.  Voilà  comment  on  a  rai- 
sonné. Avec  ces  beaux  dehors  que  la  nation  approuve 
AL  le  Duc  a  pris  son  parti  et  l'a  fait  prendre  au  roi,  qui, 
de  son  côté,  n'aime  pas  l'infante  et  ne  peut  la  souffrir.  » 
L'infante  quitta  Versailles  le  5  avril,  pour  retourner  à 
Madrid. 


44  Cl  aira??ib  aul  t-Alaurepas, 

A  voir  un  Dauphin  né  de  vous 
Et  quelle  reine  on  leur  donnerai 

Si  j'osais,  je  vous  offrirais 
Ma  jeune  sœur  Vermandois  - 
Bien  mieux  qu'une  autre  elle  fera 
AUeluia. 


Par  Wissembourg,  Londre  et  Paris 
L'on  cherche  une  femme  à  Louis  : 

1.  Le  choix  de  la  future  reine  de  France  n'était  pas 
sans  embarrasser  M.  le  Duc,  préoccupé  avant  tout  d'af- 
fermir son  pouvoir.  Il  chargea  le  comte  de  Morville  de 
dresser  une  hste  générale  de  toutes  les  princesses  de  l'Eu- 
rope en  état  d'être  mariées  :  elles  étaient  quatre-vingt- 
dix-neuf,  dont  vingt-cinq  catholiques,  trois  anglicanes, 
treize  calvinistes,  cinquante-cinq  luthériennes,  et  trois 
grecques.  M.  le  Duc  distingua  dix-sept  des  plus  notables, 
et  les  signala  au  roi  dans  un  rapport  où  les  noms  étaient 
accompagnés  de  quelques  annotations  sommaires. 

2.  M,  le  Duc  avait  un  moment  songé  à  donner  au 
roi  sa  sœur,  M"''  de  A^ermandois;  il  fut  détourné  de  ce 
projet  par  M™«  de  Prie  qui  ne  trouva  pas  la  princesse  dis- 
posée à  subir  ses  conditions.  Il  fut  aussi  question  de 
M"^  de  Sens  :  «  On  dit,  écrit  Barbier,  que  la  politique  de 
M.  le  Duc  va  jusqu'à  marier  le  roi  à  M^e  de  Sens,  sa 
sœur.  Cette  princesse  est  belle,  mais  elle  a  vingt  ans  et 
par  conséquent  trop  âgée  pour  le  roi.  Peut-être  a-t-on 
imaginé  ce  mariage  sur  l'intérêt  que  M.  le  Duc  y  avait, 
parce  qu'il  deviendrait  beau-frère  du  roi,  et  conserverait 
par  là  et  sa  place  de  premier  ministre,  et  la  supériorité 
sur  le  duc  d'Orléans  pour  le  crédit  et  l'autorité.  »  Mais 
la  marquise  de  Prie,  qui  craignait  toujours  d'élever  dans 
la  famille  de  son  amant  une  rivale  de  son  propre  crédit, 
fit  encore  avorter  ce  projet. 


Année    iy25.  45 


On  ne  sait  pas  qui  la  sera, 
Alléluia, 

Monsieur  le  Duc  est  fort  fâché 
De  ce  qu'on  le  croit  empêché 
Pour  laquelle  il  entonnera. 

Il  dit  au  roi  :  Prenez  ma  sœur  ; 
Elle  est  jolie  comme  un  cœur; 
Bien  mieux  qu'une  autre  elle  fera  : 

Mais  le  roi  n'a  rien  répondu 
Par  la  crainte  d'être  cocu, 
D'ailleurs  le  sang  ne  convient  pas. 

Le  ministre  lui  répliqua  : 
Aimez-vous  mieux  la  Leczinska  ^ 
Que  la  France  n'approuve  pas. 


I.  «  Voici  une  autre  reine  de  France  dont  on  parle  : 
c'est  la  fille  du  roi  Stanislas  de  Pologne  qui  a  été  détrôné 
et  qui  est  à  Wissembourg.  Cette  princesse  a  vingt  et  un 
ans  ;  elle  est  bien  faite  et  bien  élevée  ;  son  père  est  roi  ou 
l'a  été.  Il  fut  élu  après  que  le  roi  de  Suède  eut  obligé  le 
roi  Auguste  à  renoncer  ;  mais  le  roi  de  Suède  ayant  été 
obligé  de  fuir  en  Turquie,  le  roi  Auguste  est  venu  en 
Pologne  reprendre  sa  place,  a  chassé  Stanislas,  et  c'est  sa 
fille  qu'on  destine  au  roi.  Il  est  de  la  famille  des  Leczinski, 
et  il  n'y  a  guère  eu  en  France  de  reine  de  cette  sorte.  » 
{Mém.  de  Marais.) 


46  Clairamhault-Maurepas. 

Ou  bien  plutôt  la  d'Hanover  ^ 
Dont  les  parents  sont  en  enfer, 
Pour  qui  Rome  ne  dira  pas  : 

Le  roi  répondit  à  Bourbon 
En  lui  montrant  les  deux  talons 
Pour  moi  Fréjus  décidera, 
Alléluia. 


I.  «  On  disait  que  le  roi  épousait  la  princesse  Amélie, fille 
du  prince  de  Galles,  fils  du  roi  d'Angleterre  et  duc  de 
Hano\Te.  Elle  n'a  pas  encore  quatorze  ans.  »  {Journal  de 
Barbier.)  Elle  figurait  avec  sa  sœur  aînée,  la  princesse 
Anne,  sur  le  rapport  présenté  au  roi  par  M.  le  Duc  qui 
avait  formulé  à  leur  endroit  les  observations  suivantes  : 
«  Anne,  fille  du  prince  de  Galles.  —  15  ans.  —  Protes- 
tante. Il  faudrait  demander  la  conversion  de  la  princesse. 
Cela  pourrait  s'obtenir,  le  duc  de  Hanovre  étant  le  plus 
proche  héritier,  —  Cette  alliance  serait  avantageuse  et 
amènerait  l'alliance  de  la  Hollande  et  de  la  Prusse.  — 
L'Angleterre  apaiserait  l'Espagne.  —  On  peut  objecter  : 
1°  les  craintes  de  la  catholicité,  la  princesse  restera  sans 
doute  protestante  au  fond  du  cœur.  2°  C'est  un  obstacle 
à  la  protection  accordée  au  chevalier  de  Saint-Georges. 
3°  Rome  sera  indisposée.  4"  La  reine  protégera  les  pro- 
testants et  les  jansénistes.  —  Amélie-Sophie-Éléonore, 
fille  du  même.  —  13  ans.  —  Mêmes  raisons.  » 


Année    IJ25.  47 


MARIE    LECZINSKA 


Le  roi  dans  sa  pochette 
A  un  joli  portrait 
D'une  belle  squelette 
^u'on  fait  venir  exprès 
Pour  donner  à  la  France 
De  dignes  rejetons 
De  nos  grands  Bourbons. 

On  dit  qu'elle  est  hideuse  ^ 
Mais  cela  ne  fait  rien  ; 
Car  elle  est  vertueuse 
Et  très  fille  de  bien, 
Et  puis  monsieur  son  père 


I.  «  Le  bruit  est  grand  d'une  lettre  écrite  par  le  roi  de 
Sardaigne,  comme  gi'and-père  du  roi,  qui  s'oppose  au  ma- 
riage avec  la  Polonaise,  par  la  mésalliance,  et  parce  qu'on 
dit  qu'elle  a  des  défauts  corporels.  Il  y  a  aussi  des  lettres 
anon}'mes  qui  ont  grossi  ces  défauts.  On  dit  qu'elle  a 
deux  doigts  qui  se  tiennent  et  des  humeurs  froides,  mais 
cela  vient  de  la  faction  d'Orléans  à  qui  ce  mariage  et  tout 
mariage  du  roi  déplaît.  »  {Mém.  de  Marais.)  L'on  écrivit 
aussi  à  M.  le  Duc  une  lettre  anonyme  où  l'on  exposait 
que  Marie  Leczinska  était  attaquée  d'épilepsie.  Un  envoyé 
secret,  le  sieur  du  Fenyx,  fut  aussitôt  chargé  de  vérifier 
l'exactitude  de  cette  allégation,  et  ne  put  recueillir  aucun 
indice  de  cette  prétendue  maladie. 


^8  Cl  air  am  b  aul  t-AIau  repas. 

Oui  est  roi  sans  Etat 
Nous  gouvernera. 

Tout  le  monde  le  nomme 
Le  grand  roi  Stanislas; 
Mais  le  peuple  en  frissonne 
Parce  qu'il  rime  à  Law 
Et  veut  le  méconnaître, 
Disant  :  Ce  roi  n'est  pas 
Dans  le  Colombat  *. 

C'est  en  vain  qu'on  murmure, 
Duvernay  est  content 
Et  Vauchoux  ^  nous  assure 
Qu'elle  aura  des  enfants  ; 
Déjà  Fréjus  nous  jure 
Qu'il  est  grand  aumônier 
Pour  les  baptiser. 


Le  roi,  grâce  à  son  Altesse, 
Va  former  un  beau  lien  '  : 

1.  L'imprimeur  Colombat  publiait  tous  les  ans  un  Ca/en- 
di'ier  de  la  cour,  renfermant  l'indication  sommaire  des 
princes  et  princesses  de  l'Europe.  Cet  almanach  minuscule 
jouissait  d'une  très  grande  vogue  et  rapportait  à  son  édi- 
teur un  bénéfice  considérable. 

2.  Le  chevalier  de  Vauchoux  avait  été  député  vers  le 
roi  Stanislas  pour  lui  faire  connaître  les  conditions  que 
M.  le  Duc  mettait  au  mariage  de  sa  fllle  avec  Louis  XV. 

3.  27    mai.  —  Enfin,  ce  matin,  le  roi  a  déclaré  le  nom 


Année    i~25.  49 


Il  épouse  une  princesse 
Qui  n'apporte  pour  tout  bien 
Que  son  mirliton. 


La  maîtresse  de  Bourbon 
Nous  destine  une  reine 
Qui  porte  dans  son  giron 
Des  Dauphins  à  la  douzaine  : 
Va-t'en  voir  s'ils  viennent,  Jean, 
Va-t'en  voir  s'ils  viennent  ! 


LA 

DISGRACE  DE  M.  D'OMBRE  VAL  ^ 


D'Ombreval  ou  dom  Brutal, 

Plus  cheval 
Que  Bayard  ou  Bucéphale, 

de  la  reine  à  son  petit  lever,  et  il  a  été  annoncé  à  toute 
la  cour  par  le  duc  de  Gesvres,  premier  gentilhomme  de  la 
chambre.  C'est  la  princesse  Marie,  fille  du  roi  Leczinski. 
Voilà  un  terrible  nom  pour  une  reine  de  France.  La  cour 
a  été  triste  comme  si  on  était  venu  dire  que  le  roi  était 
tombé  en  apoplexie.  »  {Mém.  de  Marais?) 

I.   Nicolas    Jean-Baptiste   Ravot    d'Ombreval,    d'abord 

V.  S 


50  Clairambaul  t-Al  aurepas 

A  fait  ses  orges  à  la  halle 
Sur  le  blé  ; 
Mais,  comblé 

De  biens,  il  faut  qu'il  détale^. 

On  l'a  fait  auparavant, 
Intendant ^ 

Voyant  qu'il  a  le  talent 

De  tyranniser  le  peuple  ; 
Et  le  Duc, 
Pis  qu'un  Turc, 

Sur  cela  fera  l'aveu  de. 


avocat  général  à  la  cour  des  Aides,  puis  maître  des 
requêtes,  avait  été  nomrhé  lieutenant  de  police  en  jan- 
vier 1724,  lors  de  la  démission  du  comte  d'Argenson.  Il 
devait  cette  place  au  crédit  de  ]\I'"*=  de  Prie,  sa  cousine. 
C'était,  d'après  Barbier,  «  un  homme  de  beaucoup  d'es- 
prit et  grand  travailleur,  qui  a  été  et  est  encore  assez 
débauché.  » 

1.  Soupçonné  d'avoir  provoqué  par  des  monopoles  le 
prix  exorbitant  du  pain,  d'Ombreval  fut  révoqué  de 
ses  fonctions,  en  [725.  «  L'on  dit,  écrit  Barbier,  que 
c'est  lui  seul  qui  avait  fait  le  manège  du  pain  ;  qui  dé- 
fendait aux  fermiers  d'apporter  des  blés,  afin  de  vendre 
cher  du  blé  que  Samuel  Bernard  et  les  Paris  avaient  en 
magasin  ;  que  le  gain  se  partageait  entre  M°'*  de  Prie, 
lui  et  quelques  autres;  et  que  M.  le  Duc  n'en  savait  rien. 
Voilà  ce  que  je  ne  crois  pas.  C'est  bon  à  faire  accroire  au 
peuple.  Le  lieutenant  de  police  ne  pourrait  faire  ce  ma- 
nège-là huit  jours,  s'il  n'était  soutenu  du  ministre.  Ils  ont 
résolu  de  tirer  de  l'argent,  et  après  l'avoir  fait,  on  sacrifie 
politiquement  le  lieutenant  de  police,  pcfur  faire  tomber 
sur  lui  l'iniquité.  » 

2.  Il  alla  remplacer  à  l'intendance  de  Tours,  Hérault, 
qui  fut  nommé  lieutenant  de  police. 


Année   ij25.  51 


La  province  où  il  va 
Souffrira, 

De  ce  maître  scélérat, 

L'injustice  et  le  pillage; 
Mais  aussi 
Comme  ici, 

Il  pourra  plier  bagage^. 


CONSEILS  A  LA  REINE 


Hatez-vous,  reine  Marie, 

De  contenter  la  de  Prie 

Oui  met  le  sceptre  dans  vos  mains 

N'allez  pas  lui  chercher  chicane 

Comme  fit  une  Parmesane 

A  la  princesse  des  Ursins  - 


1.  C'est  en  effet  ce  qui  arriva  ;  il  fut  révoqué  aussitôt 
après  la  disgrâce  de  M.  le  Duc  et  de  M"'*=  de  Prie.  (Juil- 
let 1726.) 

2.  Anne-Marie  de  la  Trémouille,  princesse  des  Ursins, 
avait  été  nommée  camerera-mayor  de  la  reine  d'Espagne,  par 
Philipppe  V  qui  devait  en  partie  son  trône  à  ses  intrigues 
politiques.  Toute-puissante  sur  l'esprit  de  ce  prince,  elle 
le  décida,  lorsque  Âlarie-Louise  de  Savoie  fut  morte,  à 
épouser  Elisabeth  Farnèse  qu'on  lui  avait  dépeinte  «comme 
une  bonne  Parmesane  nourrie  de  beurre  et  de  fromage  ». 
Elle    comptait    par    là  affermir  son  crédit;  mais  la  nou- 


^2  Clairambault-Maurepas. 

Laissez  plutôt  périr  la  France 
Que  Bourbon  met  dans  l'indigenci 
Que  de  souffrir  qu'il  soit  banni 
Comme  le  fut  Albéroni  ^. 

Ayez  une  haine  immortelle 
Pour  Orléans  et  sa  séquelle 
Et  nous  donnez  un  beau  poupon, 
Qui  détruisant  leur  espérance 
Confirme  par  toute  la  France 
Le  ministère  de  Bourbon. 

N'appréhendez  pas  que  l'Espagne 
Se  soit  unie  à  l'Allemagne 
Pour  se  déclarer  contre  nous-, 


velle  reine  qui  avait  préparé  sa  disgrâce  avant  d'avoir 
mis  le  pied  en  Espagne,  l'exila  brutalement  aussitôt  après 
la  première  entrevue  qu'elles  eurent  ensemble. 

1.  Jules  Albéroni,  cardinal  et  premier  ministre  d'Es- 
pagne (1664-1752),  avait  été  avec  la  princesse  des  Ursins 
le  principal  auteur  de  la  fortune  d'Elisabeth  Farnèse.  Pour 
satisfaire  Philippe  V  qui  élevait  des  prétentions  à  la  cou- 
ronne de  France,  et  la  reine  désireuse  d'assurer  un  trône  à 
l'infant  don  Carlos,  il  engagea  contre  la  quadruple  alliance 
une  lutte  audacieuse  qui  se  termina  par  un  complet 
insuccès.  L'exil  fut  la  seule  récompense  de  ses  efforts  et  de 
son  dévouement  à  ses  maîtres.  —  Les  deux  conseils  que 
l'on  donne  ici  à  la  reine  sont  ironiques  et  habilement  choisis 
pour  lui  indiquer  la  conduite  qu'elle  devait  tenir. 

2.  Philippe  V  et  la  reine  d'Espagne  avaient  témoigné 
un  profond  mécontentement  de  la  conduite  de  M.  le  Duc,  et 
répondu  tout  aussitôt  par  le  renvoi  de  la  princesse  de  Beau- 
jolais, promise  en  mariage  à  don  Carlos,  et  de  M^^^  de  Mont- 


Année    IJ2S,  53 


Sans  y  chercher  tant  de  finesses, 
Bourbon  fera  tant  de  bassesses, 
Qu'il  désarmera  son  courroux. 


EPIGRAMMES 


LE  GOUVERNEMENT 


Pour  roi  nous  avons  un  enfant, 
Pour  ministre  un  prince  ignorant 
Et  pour  la  finance  un  corsaire, 
Pour  chef  de  la  justice  un  fat  ^, 
Des  sots  pour  conseillers  d'Etat. 
Comment  faire  ? 


pensier,  veuve  de  Louis  P"".  Mais  on  redoutait  des  com- 
plications plus  graves.  «  On  a  été  surpris,  écrivait  Marais, 
au  mois  de  mai,  d'apprendre  que  l'Empereur  et  le  roi  d'Es- 
pagne ont  fini  entre  eux  deux,  sans  tant  de  façons,  toutes 
les  contestations  du  congrès  de  Cambrai,  et  réglé  tous 
leurs  différends...  Les  politiques  raisonnent  :  Est-ce  la 
guerre?  Est-ce  la  paix?  et  ils  n'y  voient  goutte.  Cepen- 
dant on  fait  avancer  des  troupes  de  tous  côtés  en  Lan- 
guedoc et  sur  les  frontières  de  la  Catalogne,  de  l'Espagne, 
et  de  la  Savoie  pour  être  prêt  en  cas  de  rupture.  » 
I.  Le  garde  des  sceaux,  Fleuriau  d'Armenon\'ille. 
V.  S- 


54  Clair  ambault-AIaurepas. 

Ainsi  qu'un  autre  Pliaéton, 
Plein  de  faiblesse  et  d'ignorance, 
Nous  voyons  le  duc  de  Bourbon 
Gouverner  les  peuples  de  France. 
Monté  dessus  son  char  de  prix*, 
Traîné  par  les  quatre  Paris, 
Son  cocher  homme  malhabile  ^ 
Son  postillon  pétri  de  bile^; 
De  cet  attelage  maudit 
Nous  est  venu  le  discrédit 
Oui  nous  jette  dans  l'indigence. 
Quel  ténébreux  gouvernement  ! 
On  dit  partout  publiquement  : 
C'est  trop  peu  d'un  œil  pour  la  France 


Ami,  sais-tu  ce  que  l'on  dit  ? 
La  Justice  en  est  désolée  ; 


1.  L'auteur  joue  plaisamment  sur  le  nom  de  M'"'^  de 
Prie.  Les  facéties  du  même  genre  ne  sont  pas  rares. 
(Cf  ci-après,  p.  83.) 

2.  Le  contrôleur  général,  Le  Pelletier  des  Forts. 

3.  Fagon. 

4.  On  avait  fait  un  tableau  dans  lequel  était  représenté 
un  char  où  étaient  M""''  de  Prie  et  M.  le  duc  de  Bourbon  ; 
les  quatre  Paris  le  traînaient  ;  le  cocher  était  AL  Dodun, 
contrôleur  général  des  finances,  et  M.  Fagon,  le  postillon  ; 
au  bas  étaient  ces  vers.  (M.) 


Année    ij25.  55 

Le  roi  fut  la  voir  dans  son  lit  ^, 
On  prétend  qu'il  l'a  violée-. 


Grand  Dieu  !  quelle  misère  extrême , 
Pa3'er  encore  le  cinquantième^, 
Bientôt  nous  n'aurons  plus  d'argent. 
Hélas!  quel  fichu  ministère; 
Le  cinquantième  du  bon  sens 
Lui  serait  bien  plus  nécessaire. 


Pour  la  ceinture  de  la  reine  ^ 
Peuples,  mettez-vous  à  la  gêne 

1.  Le  Parlement  avait  refusé  d'enregistrer  les  édits  de 
finances,  rendus  à  l'occasion  du  mariage  du  roi  pour 
l'établissement  de  nouveaux  impôts.  «  Il  fallut,  dit  Vol- 
taire, mener  le  roi  tenir  un  de  ces  lits  de  justice  où  l'on 
enregistre  tout  par  ordre  du  souverain.  Le  chancelier 
d'Aguesseau  était  éloigné;  ce  fut  le  garde  des  sceaux d'Ar- 
menonville  qui  exécuta  les  volontés  de  la  cour.  » 

2.  On  dit  que  cette  chanson  est  de  1667.  ÇSl.) 

3.  L'impôt  du  cinquantième,  imaginé  par  Duvernay  et 
établi  par  édit  du  8  juin,  devait  se  percevoir  en  nature 
sur  tous  les  revenus  du  royaume.  Il  provoqua  en  pro- 
\'ince  divers  soulèvements. 

4.  A  l'occasion  du  mariage  du  roi,  les  corps  de  métiers 
furent  obligés  de  pa)'er  des  maîtrises  que  l'on  étabHt  dans 
toutes  les  villes  du  royaume  ;  cet  impôt  prit  le  nom  de 
Ceinture  de  la  reine. 


^6  Clair  ambault-Maurepas. 

Et  tâchez  de  bien  l'allonger. 
Bourbon  le  borgne  vous  en  prie. 
Car  il  voudrait  en  ménager 
Une  aune  ou  deux  pour  la  de  Prie. 


Le  duc  a  deux  beaux  yeux  brillants, 
L'un  borgne,  l'autre  clairvoyant; 
Celui  d'émail  ou  bien  de  verre, 
Cet  œil  oii  l'injustice  luit, 
Cet  œil  est  pour  le  ministère, 
Le  clairvoyant  pour  son  profit. 


Grand  roi,  nous  avons  à  vivre 
Plus  de  peine  que  jamais, 
Plutus  se  refuse  à  nous  suivre 
Au  sein  même  de  la  paix  : 
Le  borgne  a  suivi  le  cuistre, 
Ma  foi,  c'est  un  opéra; 
Faites  La  Force  ministre, 
Le  commerce  fleurira. 


Que  l'on  parle  tant  qu'on  voudra 

De  nouvelle  ou  d'affaire; 
Pour  moi,  le  plus  sage  sera 


Année    Ij25.  57 


En  tout  temps  de  se  taire; 
Car  sur  ceci,  car  sur  cela, 

En  vain  chacun  clabaude; 
Au  deuxième  Caligula^ 

Succède  un  nouveau  Claude-. 

Ose-t-on  décrire  les  mœurs 

De  ces  hommes  habiles? 
Le  premier  viole  ses  sœurs, 

L'autre  b ses  filles. 

Le  nouveau  Claude,  encore  plus  sot 

Que  l'époux  d'Agrippine, 
Est  mené  par  la  Berthelot, 

Seconde  Messaline. 


EPIGRAMMES   DIVERSES 


SUR   MADAME   DE   PRIE 

La  de  Prie  dit  à  Bourbon  : 
Dedans  l'amoureux  mystère 
Vous  cherchez  trop  de  façon, 
Et  vous  ne  pouvez  rien  faire. 
ChiiTonnez,  chiffonnez,  chiffonnez-moi  ! 

1.  Le  Régent.  (M.) 

2.  Le  duc  de  Bourbon.  (M.) 


c8  Clair  amhault-AIaurepas, 

Je  me  moque  du  vulgaire; 

Chiffonnez^  chiffonnez,  chiffonnez-moi  ! 

Je  suis  un  morceau  de  roi. 


A  la  patronne  de  Paris  ^ 
La  de  Prie  a  dit  en  colère  : 
Demeurez  dans  votre  taudis, 
Sans  vous  mêler  de  mes  affaires  ; 
Sachez  que  c'est  moi  à  présent 
Oui  fais  la  pluie  et  le  beau  temps. 


Sainte  Geneviève-  et  de  Prie, 
Patronnes  de  la  monarchie, 


1.  Sur  la  procession  de  sainte  Geneviève,  faite  le  5  juil- 
let 1725.  (M.)  Cf  le  Jourtial  deBarbie7'jQ^\  donne  le  détail 
circonstancié  de  cette  procession, 

2,  Lors  de  la  descente  de  la  châsse  de  sainte  Gene- 
viève. (M.)  —  On  lit  à  propos  de  cette  solennité,  dans  le 
Jotirnal  de  Barbier  :  «  J 'ai  dit  qu'il  pleut  dans  ce  pays- 
ci  depuis  trois  mois,  et  cela  tous  les  jours  et  avec  des 
averses  longues.  Cela  commence  à  déplaire  et  à  inquiéter  ; 
mais  nous  avons  ici  un  remède  sûr  dans  la  châsse  de 
sainte  Geneviève.  On  l'a  découverte  il  y  a  quinze  jours, 
et  il  est  venu  des  processions  de  tous  les  pays,  même  de 
vingt  lieues  d"ici.  La  pluie  cependant  a  toujours  continué, 
et  il  faut  y  mettre  ordre.  Le  27  de  ce  mois,  la  ville  a  été 
au  Parlement  demander  la  descente  de  la  châsse  et  la  pro- 
cession. Arrêt  a  été  rendu  qui  l'a  ainsi  ordonné  pour 
jeudi  prochain,  ce  qui  cause  bien  du  mouvement  dans 
Paris,  attendu  qu'il  y  a  seize  ans  qu'elle  n'a  été  faite.  » 


Année    IJ25.  59 


Ont  un  culte  bien  différent. 
On  obtient  tout  de  la  première, 
Aussitôt  que  l'on  la  descend  ; 
Mais  il  faut  monter  la  dernière  ^ 


SUR    LA   MARQUISE    DE    MAILLY 

Ox  dit  que  Velleron- 
Se  couche  de  son  long 
Sur  vous,  par  habitude  ; 
J'en  ai  quelque  soupçon 
Et  nulle  inquiétude. 


SUR    SAINT-DIZAXT 

CoxxAissEZ-vous  Saint-Dizant  ^ 

Sot  disant, 
Et  soi-disant  gentilhomme; 

1.  Le  public  disait  en  prose  ce  que  les  satiriques  met- 
taient en  vers,  témoin  cette  remarque  de  Marais  :  «  On 
demande  quelle  différence  il  y  a  entre  M"'''  de  Prie  et  la 
châsse  de  sainte  Geneviève.  —  C'est  que  pour  obtenir 
des  grâces  de  sainte  Geneviève  il  faut  la  descendre,  et 
pour  en  obtenir  de  M'"<=  de  Prie  il  faut  la  monter.  » 

2.  Çambis.  (M.) 

3.  Etienne  Ferrant,  sieur  de  Saint-Dizant,  intendant 
et  contrôleur  de  Largentière. 


6o  C lairamb  ault-  M aurep as. 

C'est  le  plus  impertinent 

Suffisant 
Oui  soit  de  Paris  à  Rome. 


SUR   LA   BULLE    UNlGEyiTUS 

\J  Unigenitus  de  Clément 

S'en  retournait  fort  tristement, 

Quand  la  Société,  sa  mère, 

L'arrêtant,  lui  dit  en  colère  : 
Tu  fuis,  lâche  !  Est-ce  ainsi  que  tu  soutiens  mes  droits  ? 

Que  crains-tu  ?  les  faibles  exploits 

D'un  Benoît^  et  de  ses  thomistes, 

D'un  Noaille  et  ses  jansénistes  ? 

Bon  !  suis-moi  :  dans  peu,  tu  verras 
La  fille  de  mon  fils,  l'illustre  Stanislas, 
Soumettre  sous  ses  lois  tous  les  peuples  de  France, 

Exercer  partout  ma  vengeance, 

Et  ton  règne  s'affermira. 
Cher  Unigenitiis,  par  XUnigcnita^. 


1.  Benoît  XllI,  Orsini,  intronisé  le  29  mai  1724,  à  la 
mort  d'Innocent  XIII. 

2.  «  Par  allusion  à  Y  Unigenitiis,  on  a  nommé  la  nou- 
velle reine  Unigenita,  parce  qu'elle  est  amie  des  jésuites, 
et  que  les  noms  de  femmes  en  Pologne  sont  en  a, 
Leczinskij  Leczinska.  »  [Mém.  de  Marais.) 


Année   ij25. 


SUR   UN   .MIRACLE 


A  LA  Fosse  disait  Bissy  : 

Vous  vivez  par  miracle, 
Heureuse  que  votre  mari 

N'y  mette  aucun  obstacle 
Car  j'ai  su,  par  un  directeur 

Qu'il  était  janséniste.  — 
Hélas,  dit-elle,  monseigneur. 

Il  n'est  rien  qu'ébéniste. 


SUR   UN    MANDEMENT 

Vous  m'envoyez  un  mandement. 
Recevez  une  tragédie, 

I.  Chanson  sur  le  miracle  arrivé  lejour  de  la  Fête-Dieu  au 
faubourg  Saint-Antoine,  à  Paris,  sur  la  femme  d'un  ébé- 
niste nommé  La  Fosse,  laquelle  était  paralytique  des 
jambes  et  incommodée  d'une  perte  de  sang  depuis 
sept  ans.  (M.)  — «  Il  n'est  bruit  ici  que  d'une  hémorrhoïne  qui 
a  été  guérie  d'une  perte  de  sang  de  treize  ans  et  d'une 
paralysie  de  dix-huit  mois,  à  la  procession  de  sainte  Mar- 
guerite, le  jour  de  la  Fête-Dieu,  écrit  Marais,  dans  une 
de  ses  lettres.  Cette  femme,  pleine  de  foi,  se  jette  à  terre 
devant  le  Saint-Sacrement  qui  passait  :  elle  se  releva, 
suivit  la  procession  à  pied,  et  revint  de  même,  et  elle  se 
trouva  guérie  de  tous  ses  maux  ;  tout  Paris  y  court.  C'est 
une  femme  simple,  de  bon  sens,  femme  d'un  ouvrier  en 
V.  6 


(i2  Clair  ambault-Aîaurepas. 

Afin  que,  mutuellement, 
Nous  nous  donnions  la  comédie^. 


SUR   UN   SERMON   DU    CURE   DE    SAIXT-PAUL' 

Ce  curé  si  vanté, 
Dont  la  figure  austère 
Convertit  mainte  beauté, 
L'autre  jour,  dans  sa  chaire. 


cabinets,  rue  de  Charonne,  nommé  La  Fosse.  »  Le  Joîij-- 
nal  de  Barbier  fournit  d'amples  détails  sur  ce  miracle. 
(Juin  1725.) 

1.  Voltaire  qui  avait  été  témoin  du  miracle  du  fau- 
bourg Saint-Antoine,  et  fut  interrogé  lors  de  l'enquête 
dressée  par  l'autorité  ecclésiastique,  nous  apprend  à 
quelle  occasion  il  composa  ce  quatrain,  dans  une  lettre  à 
la  présidente  de  Dernières.  «  Je  sers  Dieu  et  le  diable 
assez  passablement,  dit-il  :  j'ai  dans  le  monde  un  petit  vernis 
de  dévotion  que  le  miracle  du  faubourg  Saint- Antoine  m'a 
donnée.  M.  le  cardinal  de  Noailles  a  fait  un  beau  mande- 
ment à  l'occasion  du  miracle,  et  pour  comble  d'honneur 
ou  de  ridicule,  je  suis  cité  dans  ce  mandement.  On 
m'invite  en  cérémonie  à  assister  au  Te  Deiim,  qui  sera 
chanté  à  Notre-Dame  en  actions  de  grâces  de  la  guérison 
de  M""''  La  Fosse.  M.  l'abbé  Couët,  grand-vicaire  de  Son 
Eminence,  m'a  envoyé  aujourd'hui  le  mandement,  je  lui 
ai  envoyé  une  Marianne  avec  ces  petits  vers.  » 

2.  Sur  M.  Guéret,  curé  de  Saint-Paul,  à  l'occasion  des 
conférences  spirituelles  qu'il  fait  tous  les  soirs  à  six  heures 
dans  son  église,  où  une  infinité  de  personnes  de  tous 
sexes  et  conditions  se  trouvent,  et  où  l'on  prétend  qu'il 
s'est  donné  des  rendez-vous  et  fait  des  choses  contre  la 
bienséance.  (M.) 


Année    1^25. 


Chacun  étant  bien  posté, 

Prêchait  la  chasteté. 

Au  miheu  du  sermon, 

Voyant  que  le  démon 

Se  glissait  à  tâton, 
Et  qu'il  fourrageait  l'auditoire 
Il  dit  ces  mots  : 

Tremblez,  gens  indévots, 

Montrez-moi  vos  bras  hauts.  - 
Hélas  !  ils  sont  tous,  il  faut  croire, 
Sourds  et  manchots. 


ANNEE    1726 


LE  PASSÉ  ET  LE  PRÉSENT 


Dans  mon  enfance, 
Nul  ministre  chétif 
Nul  conseil  incisif, 
Nul  Parlement  captif. 
Nul  archevêque  juif 
Ne  se  voyaient  en  France. 
Aujourd'hui  ce  n'est  plus  cela  : 
Ministre  qui  lorgne, 
Un  conseil  qui  grogne 
Un  pontife  qui  rogne, 
Parlement  charogne. 
Et  le  tout  va 
Cahin  caha. 

Dans  mon  enfance, 
L'efficace  régnait, 
.  La  grâce  dominait, 

V. 


66  Clairainhault-Maurepas. 

En  elle  on  espérait, 
Et  Dieu  chacun  craignait, 
Respectant  son  essence. 
A  présent  ce  n'est  plus  cela  : 
La  loi  catholique, 
Mêlée  d'hérétique, 
Est  jésuitique, 
Même  pélagique. 
Et  la  foi  va 
Cahin  caha. 

Dans  ma  jeunesse. 
On  avait  de  l'argent. 
Le  peuple  était  content. 
Un  monarque  puissant, 
Un  ministre  prudent, 
Conservaient  nos  richesses. 
Aujourd'hui  ce  n'est  plus  cela  : 
De  Prie  est  habile, 
La  reine  docile. 
Le  roi  trop  facile, 
Le  Duc  imbécile 
Et  l'État  va 
Cahin  caha. 

Dans  ma  jeunesse, 
La  vertu  dominait, 
La  grâce  triomphait. 
L'homme  reconnaissait 
Que  sans  elle  il  n'était 


X 


Année    lyjû.  6"/ 


Qu'impuissance  et  faiblesse. 
Aujourd'hui  ce  n'est  plus  cela  : 
A  l'homme  crédule, 
Rome  sans  scrupule, 
Dore  la  pilule, 
Et  grâce  à  la  bulle 
Au  ciel  on  va 
Cahin  caha. 

Dans  ma  jeunesse 
J'allais  à  l'Opéra  ; 
Quel  plaisir  j'avais  là  ! 
Les  danseurs,  les  acteurs 
Charmaient  les  spectateurs 
Par  leur  délicatesse. 
Aujourd'hui  ce  n'est  plus  cela  : 
Blondy^  bat  de  l'aile, 
Thévenard  ^  chancelle, 
Disgrâce  cruelle, 
Atys^  est  femelle, 
Et  tout  y  va 
Cahin  caha. 

1.  Blondy,  l'un  des  plus  célèbres  danseurs  de  l'Opéra  au 
XVIII*  siècle,  compositeur  des  ballets  de  Louis  XIV.  Il 
succéda  en  avril  1725  à  Pécourt,  pour  la  composition  des 
ballets  de  l'Académie  royale  de  musique. 

2.  Gabriel-Vincent  Thévenard  était  basse-taille  de 
l'Opéra,  où  il  avait  été  reçu  en  1687  et  qu'il  quitta  en  1727- 

3.  Opéra  de  Quinault,  avec  musique  de  Lulli,  repris 
en  1725.  Fuselier  en  fit  une  parodie  en  1726  pour  la  Foire. 


68  Clairamhault-Alaurepas. 


LES 

PORTRAITS  DE  LA  COUR 


Reine,  souffrez  qu'un  bon  François 

Qui  veut  vous  être  utile, 
Pour  vous  faire  entendre  sa  voix 

Emprunte  un  vaudeville, 
Et  par  une  exacte  chanson, 
La  faridondaine,  la  faridondon, 
Vous  fasse  les  portraits  d'ici,  biribi, 
A  la  façon  de  Barbari,  mon  ami. 

Bourbon,  quoique  saisi  d'effroi, 

Vous  maîtrise  et  vous  brave  ; 
Vous  vous  croyez  femme  du  roi, 
Vous  n'êtes  qu'une  esclave, 
Et  dans  votre  cour  en  prison; 
On  y  parle  de  votre  esprit, 

Poltron,  entêté,  violent. 
Et  de  richesse  avide, 

Joignant  un  cœur  dur  et  méchant 
Avec  l'esprit  stupide. 

Voilà  le  portrait  de  Bourbon, 

Tel  qu'on  le  dépeint  à  Paris, 


Année   iy26.  69 


Pour  son  favori  le  soldat, 
Auteur  du  cinquantième^, 
C'est  un  insolent  scélérat, 
Un  esprit  à  système. 
Plus  fou  s'il  se  peut  que  fripon , 
Traitez-le,  et  ses  frères  aussi. 

En  écartant  d'auprès  de  vous 
Ce  conseiller  sinistre , 
Regarderez-vous  sans  courroux 

La  p du  ministre, 

Vous,  pleine  de  religion, 
Prierez-vous  Dieu  avec  la  Prie^  , 

C'est  la  fille  d'un  fugitif 
Qui  craignait  la  potence, 
L'esprit  étourdi,  décisif, 
Fourbe  et  plein  d'impudence, 
Des  Anglais  prenant  pension  ^ 
Pour  conduire  cet  Etat-ci; 


1.  Pâris-Duvernay.  (M.) 

2.  «  M"'*'  la  marquise  de  Prie  qui  est  une  des  dames  du 
palais,  qui  est  aimable  et  de  beaucoup  d'esprit,  s'est 
emparée  de  celui  de  la  reine.  Elle  lui  faisait  des  caresses 
infinies  ;  elle  l'a  même  brouillée  avec  les  autres  dames.  » 
[Jourtial  de  Barbier.) 

3.  «  La  de  Prie,  en  attendant  les  contributions  qu'elle 
devait  tirer  de  France,  s'assura  de  la  pension  de  quarante 
mille  livres  sterling  que  l'Angleterre  donnait  au  cardinal 
Dubois  pour  les  sacrifices  que  nous  faisions  à  cette  cou- 
ronne. »  [Duclos) 


70  Clairamhault-Maurepas. 

Reine,  par  un  grand  coup  d'éclat 
Qu'on  vous  connaisse  en  France, 
Préférez  le  bien  de  l'État 
A  la  reconnaissance  ; 
Que  Duvernay,  la  Prie,  Bourbon 
La  faridondaine,  la  faridondon, 
Partent  tous  trois  pour  Chantilty,  biribi, 
A  la  façon  de  Barbari,  mon  ami. 


LES   DEUX  MINISTRES 


GÉMIS,  France,  gémis,  pleure  ta  destinée. 
A  de  cruels  malheurs  sans  cesse  abandonnée, 
En  perdant  ton  grand  roi,  tu  perdis  ton  appui; 
Celui  qui  lui  succède  et  qui  règne  aujourd'hui, 
Est  livré  par  deux  fois  à  d'odieux  ministres. 
Le  premier,  n'écoutant  que  des  conseils  sinistres*. 
D'un  projet  effréné  te  fit  sentir  l'horreur; 
Du  faux  appât  du  gain  colora  sa  noirceur 
Et,  voulant  absorber  tous  les  biens  de  nos  pères, 
Pour  des  réalités  nous  donna  des  chimères. 
Son  cœur  ambitieux,  qui  nageait  dans  l'orgueil. 
De  toutes  les  vertus  fut  le  funeste  écueil, 

I.  M.  le  duc  d'Orléans  Rcgent.  (M.) 


Année    1^26. 


Et,  foulant  à  ses  pieds  le  droit  de  la  nature, 
Des  forfaits  les  plus  noirs  sa  vie  fut  la  peinture. 
Il  est  mort  satisfait  et  tranquille  au  dehors, 
Sans  crainte,  sans  effroi,  sans  marque  de  remords. 
Le  ciel,  tranchant  le  cours  de  son  dessein  perfide,. 
Arrêta  les  horreurs  d'un  affreux  parricide. 
France,  combien  de  fois  as-tu  pâli  d'effroi, 
En  voyant  le  danger  qui  menaçait  ton  roi  ! 
Heureuse  si  tu  peux  en  perdre  la  mémoire. 
De  ton  premier  tyran  telle  est  l'affreuse  histoire. 
Le  second  ^ ,  moins  fertile  en  projets  captieux, 
Beaucoup  moins  éclairé,  voyant  par  d'autres  yeux,. 
L'abondance  réduit  par  son  âme  insensée 
Aux  avares  désirs  d'une  femme  effrontée  ^. 
Ton  peuple  demi-mort  et  pressé  par  la  faim  ^, 
N'était  qu'un  faible  essai  préparé  par  sa  main. 
Son  avide  fureur  se  nourrit  de  ses  larmes. 
Vois  tes  enfants  craintifs  au  milieu  des  alarmes 
Attester  vainement,  en  réclamant  leurs  droits. 
Le  serment  solennel  du  sacre  de  tes  rois^; 
Trop  légitimes  droits  qu'efface  l'injustice. 
Les  lois  n'ont  plus  de  force  oià  règne  l'avarice. 
L'audace  d'une  femme  élude  les  serments. 
Convertit  ton  sang  même  en  de  vains  ornements. 


1.  i\I.  le  Duc.  (xM.) 

2.  M«  de  Prie.  (M.) 

3.  On  entend  parler  de  la  cherté  du  pain  pendant  les 
mois  de  juillet  et  août  1725,  (M.) 

4.  Le  roi  à  son  sacre  jure  entre  autres  choses  de  ne  mettre 
jamais  aucun  impôt  sur  le  pain.  (M.) 


jz  Clair  ambault'  AI  au  repas. 

Et,  bravant  l'infamie  en  imitant  sa  mère, 
Vend  jusqu'au  déshonneur  de  sa  flamme  adultère. 
Que  dis-je?  c'était  peu  qu'en  proie  à  sa  fureur, 
Elle  suivît  les  pas  d'un  père  sans  honneur  ^ 
Un  malheureux  rebut  des  gardes  de  tes  princes^ 
Par  des  maux  imprévus  accable  les  provinces; 
Vil  artisan  d'impôts,  il  est  sejl  écouté. 
Triste  choix  d'une  infâme  et  d'un  prince  hébété. 
Jouissant  autrefois  d'une  heureuse  abondance, 
Le  laboureur,  charmé,  flatté  par  l'espérance. 
Ornant  avec  plaisir  ses  fertiles  guérets. 
Cultivait  en  repos  les  trésors  de  Cérès. 
Ses  troupeaux  bondissants  au  milieu  de  la  plaine, 
Du  zéphir  amoureux  sentaient  la  douce  haleine  : 
Tout  croissait  à  l'envi  dans  les  champs  fortunés  ; 
Mais,  depuis  que  des  cœurs  au  crime  accoutumés. 
Augmentant  tous  les  jours  la  misère  publique. 
Exercent  les  horreurs  d'un  peuple  tyrannique. 
Depuis  qu'ils  ont  osé  combler  tous  leurs  forfaits 
Par  un  subside  affreux  au  milieu  de  la  paix^, 
N'espère  plus  revoir  tes  campagnes  fertiles. 
Déjà  le  désespoir  accourant  dans  les  villes 
D'un  déluge  de  maux  te  fait  sentir  le  poids. 
Thémis  de  son  Sénat  emprunte  en  vain  la  voix. 
Rien  ne  peut  arrêter  leur  avide  licence 
Et  l'on  n'écoute  point  ses  sages  remontrances. 


1.  M.  Bertheîot  de  Pléneuf.  (M. 

2.  Pâris-Duvernay.  (M.) 

3.  Le  cinquantième.  (M.) 


Année    1^26.  73 


Tu  croyais,  mais  en  vain,  qu'un  hymen  glorieux 

Te  pourrait  amener  un  siècle  plus  heureux. 

Trop  inutile  espoir;  une  indigne  alliance 

Souille  le  sang  des  rois,  auteurs  de  ta  naissance. 

Mais  quoi  !  pour  te  venger  ton  sort  est  dans  ta  main. 

Enfonce  ton  épée  au  sein  d'un  inhumain; 

Perce,  délivre-toi  de  ce  Cyclope  horrible^; 

Et  donne  à  l'avenir  un  exemple  terrible. 

En  livrant  aux  bourreaux  le  conseil  malheureux 

Qui  te  fait  éprouver  un  sort  si  douloureux. 


LA   DISGRACE 
DU   DUC    DE    BOURBON 


Or,  écoutez,  petits  et  grands, 
L'histoire  d'un  événement 
Qui  a  surpris  toute  la  France 
Quand  on  a  vu  tourner  la  chance 
Contre  un  ministre  trop  méchant 
Qui  perdait  les  honnêtes  gens. 


I-  On  a  déjà  vu  que  le  duc  de  Bourbon  était  borgne  ; 
de  là  ce  surnom  de  Cyclope  qui  lui  est  fréquemment 
appliqué. 


74  Clairambault-  M  aurepas. 

Ce  fut  un  beau  jour  de  mardi 
Que  notre  jeune  roi  Louis 
Dit  à  Charost,  son  capitaine  : 
Monsieur,  prenez  tantôt  la  peine, 
Tenant  en  main  votre  bâton', 
D'arrêter  le  duc  de  Bourbon. 

Ayant  dit  ces  mots  en  secret, 
Le  roi  partit  pour  Rambouillet, 
Pendant  que  le  premier  ministre, 
Ne  prévoyant  rien  de  sinistre, 
Assis  dedans  un  beau  fauteuil, 
Travaillait  avec  de  Breteuil. 

En  cet  instant  voici  Charost 
Qui,  d'un  air  modeste  et  dévot. 
Se  fait  annoncer  à  l'Altesse 
Pour  affaire,  dit-il,  qui  presse. 
On  le  reçoit  en  rechignant. 
Mais  comme  importun  seulement. 

Ce  fut  bien  pis  quand  il  eut  lu 
L'ordre  du  roi  très  absolu. 


I.  «  Le  II  juin,  le  roi  ayant  invité  M.  le  Duc  à  venir 
coucher  à  la  maison  de  plaisance  de  Rambouillet  et  étant 
parti,  disait-il  pour  l'attendre,  le  duc  de  Charost,  capitaine 
des  gardes,  vint  arrêter  ce  prince  dans  son  appartement; 
il  le  mit  entre  les  mains  d'un  exempt  qui  le  conduisit  à 
Chantilly,  séjour  de  ses  pères  et  son  exil.  Pour  M'"*^  de  Prie, 
elle  fut  envoyée  au  fond  de  la  Normandie,  où  elle  mourut 
bientôt  dans  les  convulsions  du  désespoir.  »  (VOLTAIRE.) 


Année    1^26.  75 


Cornes  lui  vinrent  à  la  tête, 
Ne  s'attendant  à  telle  fête  ; 
Il  fallut  pourtant  obéir, 
Et  sans  aucun  délai  partir. 

Lorsque  sa  maudite  catin 
Apprit  le  changement  soudain, 
Pénétrée  d'ire  et  de  rage, 
Aussitôt  elle  déménage 
Bijoux,  perles  et  diamants, 
Et  prit  congé  de  ses  amants. 

Dont  le  nombre  n'est  pas  petit; 
Car  la  gueuse  a  bon  appétit. 
A  Chantilly,  en  diligence, 
L'esprit  rempli  de  vengeance. 
Elle  s'achemine  à  grands  pas. 
Méditant  sur  ce  triste  cas. 

Le  Cyclope  l'apercevant 
L'embrasse  très  étroitement. 
Puis,  en  jurant  de  bon  courage, 
Lui  promet  de  faire  la  rage 
Si  jamais  il  a  le  dessus 
Contre  leur  ennemi  Fréjus'. 


I.  L'abbé  de  Fleury,  évêque  de  Fréjus,  était  très  bien 
en  cour.  Il  eut  une  dispute  avec  M.  le  Duc,  qui  tâcha  de 
le  faire  exiler,  et  au  contraire  ce  fut  lui  qui  le  fut  à  Chan- 
tilly. (M.) 


76  Clairambault-Alaurepas. 

Le  lendemain  de  bon  matin, 
Xouvelle  vint  pour  le  certain, 
Que  le  roi  redonne  la  guerre 
Au  sieur  Le  Blanc,  son  adversaire, 
Et  que  les  autres  exilés 
Vont  tretous  être  rappelés  *. 

Que  les  quatre  frères  Paris 
Étaient  déjà  du  moins  bannis', 
Et  qu'enfin  toute  la  séquelle 
Dont  il  avait  pris  la  querelle. 
Risquait  la  corde  ou  le  carcan 
Pour  apaiser  les  mécontents. 

Tout  cela  n'était  encor  rien. 
L'on  tenait  assez  bon  maintien 
Jusques  à  ce  que  la  de  Prie 
Fut  contrainte,  toute  en  furie. 
De  faire  Gille  et  décamper 
Pour  aller  en  exil  pleurer. 


1.  «  Dès  que  ]\L  le  Duc  fut  arrêté,  on  envoya  ordre  à 
M.  Le  Blanc  de  revenir,  et  permission  à  M.  de  Belle-Isie 
pour  son  retour...  M.  Dodun  et  M.  de  Breteuil  ont  donné 
la  démission  de  leurs  charges,  et  se  sont  conduits  avec 
esprit,  fermeté  et  beaucoup  de  décence.  M,  Des  Forts  est 
contrôleur  général.  »  [Corresp.  de  Marais.) 

2.  «  Les  quatre  frères  Paris,  surtout  Duvernay,  qui  était 
le  conseil  de  ^L  le  Duc,  sont  exilés  chacun  d'un  côté  ;  on 
dit  à  l'exception  de  Pâris-Montmartel,  garde  du  trésor 
royal.  On  saura  cela  plus  au  juste.  Ils  doivent  être  partis 
tous  quatre  cette  nuit.  »  {Journal  de  Barbier^  13.) 


Année    ij2b.  J'J 

A  ce  coup,  le  Cyclope  outré, 
Frappant  du  poing  son  œil  crevé, 
Maudit  cent  fois  le  ministère, 
Ne  cessant  de  pleurer  et  braire 
Sur  le  départ  de  sa  catin, 
Qu'on  chasse  comme  mauvais  train. 

Or,  prions  le  doux  Rédempteur 
Qu'il  change  de  ce  duc  le  cœur, 
Afin  qu'il  ait  repentance 
D'avoir  tant  fait  de  violence 
Pour  une  gueuse  et  un  fripon 
Oui  devraient  être  à  Montfaucon. 


LE 

MINISTÈRE  DE  M.  LE  DUC 


Mon  venin  jadis  s'écoula 

Sur  un  tyran  des  plus  horribles  \ 

Pour  un  second  Caracalla 

Mon  venin  jadis  s'écoula, 

Ses  noirceurs  ma  plume  étala, 


I.  Cf.  tome  IV,  p.  252,  la  pièce  qui  a  pour  iiixQlQ  Cours 
de  la  Régence. 


yS  Clair  amh  auït-Maurepas. 

Elle  rendit  chacun  sensible  ; 

Mon  venin  jadis  s'écoula 

Sur  un  tyran  des  plus  horribles. 

Sur  un  monstre  né  de  l'Etna, 
C}'clope  cruel  et  terrible, 
Qui,  depuis  peu,  nous  opprima, 
Comme  un  monstre  né  de  l'Etna, 
Du  même  feu  qui  m'anima, 
Soufflons  des  traits  inextinguibles. 

Quoique  petit-fils  d'un  héros 
Prudent,  valeureux,  invincible, 
Tu  croupis  dans  un  vil  repos. 
Quoique  petit-fils  d'un  héros 
L'esprit  stupide  et  peu  dispos. 
Avec  la  gloire  incompatible. 

Afin  d'assouvir  ton  dessein. 
Ivre  d'une  humeur  jalouse, 
Armé  d'un  poison  assassin. 
Afin  d'assouvir  ton  dessein 
Tu  consumes  le  chaste  sein 
De  Conti,  cette  jeune  épouse^. 

Au  trépas  du  Néron  françois 
Reconnu  ministre  de  France. 


I.  On  dit  que  M.  le  Duc  empoisonna  M^'e  de  Conti, 
sa  première  femme   (M.) 


Année    1^26.  79 


Après  les  tragiques  abois 
Du  trépas  du  Néron  françois 
Te  voyant  seul  maître  des  lois 
Tu  détruisis  la  confiance. 

Tu  place  au  ministériat 

Un  citoyen  d'une  âme  traître, 

Un  déserteur,  un  scélérat. 

Tu  place  au  ministériat 

Cette  âme  double;  ce  forçat 

De  tous  nos  trésors  se  rend  maître. 

Ton  devancier  n'a  rien  laissé 
Et  d'un  chacun  la  caisse  est  vide, 
En  sangsue  il  nous  a  sucé  : 
Ton  devancier  n'a  rien  laissé  ; 
Un  autre  chemin  t'est  tracé 
Dont  ton  âme  paraît  avide. 

Tu  nous  attaques  par  la  faim, 
Trop  insatiable  Tantale, 
Tu  nous  empoisonnes  le  pain, 
Tu  nous  attaques  par  la  faim  ; 
D'Ombreval,  cet  homme  inhumain. 
S'est  rendu  chef  de  la  cabale. 

Tous  tes  goulus  prédécesseurs, 
Quoique  pleins  de  noires  envies 
Du  pillage  tous  assesseurs, 
Tous  tes  goulus  prédécesseurs. 


8o  C lairamb  aul t-AIaurepas. 

Par  de  si  terribles  noirceurs, 
N'attaquèrent  jamais  nos  vies. 

Du  peuple  écoute  les  clameurs, 
Vois  le  trépas  qui  l'environne  ; 
L'un  trébuche,  l'autre  se  meurt  ; 
Du  peuple  écoute  les  clameurs  ; 
Cesse  tes  injustes  rigueurs, 
Leur  tendresse  encor  te  pardonne. 

Qu'entends-je,  ô  ciel  !  est-il  certain 
Que  tout  le  mal  qui  nous  accable 

Vient  des  ressorts  de  ta  p .'* 

Qu'entends-je,  ô  ciel  !  est-il  certain  ? 
Cette  élève  de  l'Arétin, 
Dans  la  luxure  infatigable. 

Quelles  troupes  sont  en  ces  lieux*  ? 
Veut-on  nous  empêcher  de  vivre  ? 
Où  vont  ces  soldats  furieux, 
Quelles  troupes  sont  en  ces  lieux  ? 
Combien  ce  ministre  est  affreux  ! 
Au  plus  cruel  sort  il  nous  livre. 

Eh  quoi  !  même  pour  de  l'argent 
On  refuse  la  subsistance. 
Le  boulanger  est  négligent. 

I.  Cette  année,  les  soldats  aux  gardes  étaient  comman- 
dés pour  aller  dans  les  marchés  de  Paris,  crainte  que  le 
peuple  ne  se  soulevât.  (M.) 


Année    1^26. 


Eh  quoi  donc  !  au  son  de  l'argent  ! 
Qui  peut  donc  le  rendre  obligeant, 
S'il  est  sourd  à  notre  finance  ? 

Voudrais-tu  nous  anéantir  ? 
Bourreau,  poursuis,  finis,  achève  ; 
Partout  on  entend  retentir  : 
Voudrais-tu  nous  anéantir  ? 
Hélas  !  qu'en  puis-je  pressentir  ? 
Je  vois  qu'un  haut  gibet  s'élève. 

Avec  un  funeste  concours 

Quels  innocents  vont  donc  s'}^  rendre  ? 

Plein  de  fureur  un  peuple  y  court 

Avec  un  funeste  concours. 

Pour  vouloir  prolonger  nos  jours, 

Barbare,  eh  quoi  !  tu  nous  fais  pendre*  ? 

Tu  viens  de  choisir  pour  ton  roi. 
Cœur  lâche,  une  princesse  obscure; 
Une  reine  contre  la  loi, 
Tu  viens  de  choisir  pour  ton  roi, 
Mais  un  chacun  se  rit  de  toi, 
Voyant  son  âme  chaste  et  pure. 

Ta  cruelle  brutalité 
Pour  avilir  le  diadème 

I.  Deux  manœu\Tes  qui  furent  pendus  à  la  porte 
Saint-Antoine,  pour  s'être  récriés  et  avoir  causé  une 
émeute  dans  le  faubourg,  au  sujet  du  prix  du  pain,  (M.) 


ClairambauIt-AIaurep, 


La  prit  sans  biens  et  sans  beauté, 
Ta  cruelle  brutalité  ; 
Tu  croyais  t'avoir  attiré 
Par  là  le  pouvoir  suprême. 

Tu  t'es  flatté  d'un  espoir  vain, 
Est-il  personne  qui  n'en  rie  ? 
A  présent  ton  pouvoir  est  vain  ; 
Tu  t'es  flatté  d'un  espoir  vain. 
Tu  te  dépite  et  jure  en  vain, 
La  puissance  enfin  t'est  ravie. 

L^n  saint  prélat  t'avait  déplu, 
Sa  douceur  te  faisait  ombrage, 
Ta  hauteur  avait  prévalu  *, 
Un  saint  prélat  t'avait  déplu; 

I.  M.  le  Duc  et  sa  maîtresse,  jaloux  de  l'influence  de 
Fleury,  avaient  intrigxié  pour  l'éloigner,  et  l'on  put  croire 
un  instant  qu'ils  avaient  réussi,  lorsque  l'évêque,  mécon- 
tent d'avoir  été  exclu  du  conseil  du  roi  auquel  il  assistait 
toujours,  se  fut  retiré  à  Issy.  Mais  le  roi  fut  vivement 
affecté  de  la  retraite  de  son  précepteur.  «  Il  aimait  en  lui, 
dit  Voltaire,  un  vieillard  qui,  n'ayant  rien  demandé  jusque- 
là  pour  sa  famille  inconnue  à  la  cour,  n'avait  d'autre 
intérêt  que  celui  de  son  pupille.  Fleurj^  lui  plaisait  par  la 
douceur  de  son  caractère,  par  les  agréments  de  son  esprit 
naturel  et  facile.  Il  n'y  avait  pas  jusqu'à  sa  physionomie 
douce  et  imposante  et  jusqu'au  son  de  sa  voix  qui  n'eût 
subju^é  le  roi.  M.  le  Duc,  ayant  reçu  de  la  nature  des 
qualités  contraires, inspirait  au  roi  une  secrèterépugnance.» 
Le  monarque  réclama  instamment  son  précepteur  et  M.  le 
Duc  fut  obligé  d'écrire  lui-même  à  l'évêque  pour  le  prier 
de  revenir.  Dès  lors  la  disgrâce  du  premier  ministre  parut 
inévitable,  et  ne  se  fit  pas  longtemps  attendre. 


Année    1^26.  83 


A  ta  place  il  vient  d'être  élu, 
Ta  fureur  en  grince  de  rage. 

Un  David  vient  de  t'exiler 
Comme  un  Séba  rebelle  et  traître, 
Perfide,  il  te  faut  défiler, 
Un  David  vient  de  t'exiler  ; 
Ta  rosse  il  te  faut  dételer 
Du  chariot  de  notre  maître. 

Que  vois-je,  te  voilà  parti  ? 
La  joie  éclate  dans  la  ville  ^ 
Par  la  décadence  abruti. 
Que  vois-je  ?  te  voilà  parti; 


I.  «  Le  peuple  a  été  si  content  de  ce  changement,  qu'on 
a  été  obligé  d'empêcher  qu'il  ne  fît  des  feux  de  joie  dans 
les  rues,  ce  qui  aurait  trop  insulté  la  personne  d'un 
prince  du  sang.  M.  Hérault,  lieutenant  de  police,  a  écrit 
une  lettre  à  tous  les  commissaires  des  quartiers  de  Paris 
pour  l'empêcher.  »  [Journal  de  Barbier.,  Mais  le  peuple 
se  dédommagea  par  ce  que  le  même  annaliste  appelle  des 
polissonneries  très  fines. 

La  disgrâce  de  M.  le  Duc  et  l'exil  de  sa  maîtresse  et  de 
ses  favoris  furent  en  effet  salués  par  des  placards  et  des 
jeux  de  mots  facétieux  dont  le  Recueil  Clair atjibaidt  nous 
a  conservé  quelques  échantillons.  On  y  lit  : 

Cette  afhche  posée  à  tous  les  coins  de  rue  et  sur  les  che- 
mins de  Versailles,  le  jeudi  matin  4  juillet  1726  : 

Cent pistoles  a  gagner.  Il  a  été  perdu  depuis  peu,  sur  le 
chemin  de  Paris  à  Chantilly,  une  grande  jument  de  prix 
qui  suivait  un  cheval  borgne... 

Quolibet  de  la  cour  :  La  cour  est  sans  prix. 

Gazette  1726  .•  Il  est  arrivé  un  ouragan  à  Versailles  qui 
a  fait  tomber  du  faîte   de  l'arbre  le  plus  haut,  un    oiseau 


84  Clairambault-AIaurepas. 

Tu  devrais  être  converti 

Par  un  tel  coup,  pauvre  imbécile. 

La  p qui,  d'un  air  absolu, 

Regardait  notre  sage  reine. 
Sa  politique  a  prévalu. 

La  p qui,  d'un  air  absolu, 

Et  décamper  il  a  fallu. 

Dieu  !  qu'elle  nous  sauve  de  peine. 

D'Ombreval,  ce  vil  proconsul, 
Cet  oppresseur  de  l'innocence, 
A  présent  son  pouvoir  est  nul. 
D'Ombreval,  ce  vil  proconsul. 
Il  court  au  fond  de  son  accul 
Suivant  la  royale  ordonnance 

Un  air  plus  doux  et  plus  serein 
S'écoule  jusqu'au  fond  des  âmes 
Par  le  secours  de  Barbarin, 


appelé  le  Duc.  Le  trône  est  tombé  sur  le  Dodun,  Pai-is 
et  la  Montagne  en  ont  tremblé,  le  ,roi  a  quitté  Condé,  où 
il  demeurait  depuis  trois  ans,  il  va  demeurer  à  Fleury  où 
il  fait  bâtir  des  Forts.  Le  comte  de  Charolais  s'est  perdu 
dans  une  Ile  ;  tout  est  Fleury  à  Paris;  les  trois  quarts  du 
peuple,  de  noirs  qu'ils  étaient,  sont  devenus  Blancs. 

Autre  nouvelle  :  On  écrit  d'Angleterre,  qu'en  France  il 
y  a  eu  un  orage  si  furieux  que  l'on  n'y  voit  plus  de  Paris, 
et  que  la  grêle  étant  tombée  sur  le  Dodun  l'a  fait  périr  à 
ne  jamais  s'en  relever,  et  pour  prévenir  de  pareils  ravages, 
on  a  élevé  Des  Forts.  Le  calme  étant  revenu,  le  ro)^aume 
de  France  est  devenu  si   Fleury,  qu'il  n'a  plus  de  Prie. 


Année    IJ26.  85 


Un  air  plus  doux  et  plus  serein. 

Autorisé  du  souverain, 

Il  éteint  vos  perfides  trames. 

Poursuis  par  quelque  cruauté, 
D'étendre  à  jamais  ta  mémoire. 
Rends-la  digne  d'éternité. 
Poursuis  par  quelque  cruauté, 
Mais  songe  qu'un  être  irrité 
Par  ta  mort  peut  venger  sa  gloire, 
Poursuis  par  quelque  cruauté 
D'étendre  à  jamais  ta  mémoire. 


LE   RAPPEL    DE   LE   BLANC 


Illustre  Le  Blanc,  je  respire  : 
Le  ciel  te  redonne  à  nos  vœux; 
Et  désormais  nous  pouvons  rire 
Des  projets  de  tes  envieux. 


I.  L'exil  de  ^1'"°  de  Prie  et  des  frères  Paris  eut  pour 
conséquence  immédiate  le  rappel  du  secrétaire  d'Etat  delà 
guerre,  victime  de  leurs  intrigues.  Le  jeudi  13,  «  M.  Le  Blanc 
revint  à  Paris  :  M.  de  Breteuil  porta  sa  démission  de 
secrétaire  d'État  entre  les  mains  de  M.  l'évêque  de  Fréjus, 
et  M.  Le  Blanc  est  actuellement  dans  son  ancienne  place 
avec  l'applaudissement  de  tout  Paris.  On  a  remarqué 
V.  8 


86  Clairamhault-  Mdurepas. 


Ta  probité  mal  reconnue 
N'a  rien  perdu  de  son  éclat  : 
Tel  le  soleil  perçant  la  nue 
Paraît  toujours  en  même  état. 

La  vertu  n'est  point  offusquée 
Par  un  nuage  passager  : 
Vainement  elle  est  attaquée, 

Elle  triomphe  du  danger. 

Ce  monstre  à  la  quadruple  tête 
Dont  le  pouvoir  nous  enchantait. 
Est  accablé  sous  la  tempête 
Que  son  audace  méritait. 

Ainsi  s'exprime  sans  parure 
Un  cœur  de  ton  mérite  épris, 
Qui  fait  de  la  vérité  pure 
L'objet  de  ses  faibles  écrits. 


Ministre  respectable  autant  qu'infortuné, 
Le  Blanc,  à  quel  revers  es-tu  donc  destiné  ? 

De  l'injustice  et  de  l'envie 

J'ai  vu  le  souffle  empoisonné 

qu'en  arrivant  à  Paris  toute  sa  livrée  était  neuve,  ce  qui 
fait  juger  qu'il  était  averti  de  ce  changement.  Le  juge- 
ment du  Parlement  à  son  égard  et  ce  retour-ci  le  rendent 
plus  glorieux  qu'il  n'a  jamais  été.  »  {journal  de  Barbier^ 


Année    IJ26.  87 


Attaquer  ta  gloire  et  ta  vie, 
Mais  contre  leurs  projets  ton  roi  te  sert  d'appui, 

Il  te  rappelle  auprès  de  lui, 
.   Les  cœurs  volent  sur  ton  passage 

Pour  te  rendre  le  juste  hommage 
Qu'on  doit  au  vrai  mérite  indignement  proscrit. 
Et  dans  nos  yeux  charmés,  ton  triomphe  est  écrit. 
Mais  quoi  !  le  ciel  aussi  contre  toi  se  déclare 

Traisnel  meurt  *,  la  Parque  barbare 
Commence  en  le  frappant,  à  te  percer  le  cœur. 

Que  dis-je  !  ô  mortelle  douleur  ! 

Jusqu'oii  va  sa  fureur  extrême  ? 

Elle  ose  s'en  prendre  à  toi-même  -. 
La  cruelle  déjà  vient  de  t'ouvrir  le  flanc 

Elle  lève  sur  toi  ses  plus  funestes  armes. 

Arrête  !  respecte  Le  Blanc. 


1.  Hier,  M.  de  Traisnel,  gendre  de  M.  Le  Blanc,  mou- 
rut de  la  petite  vérole  à  neuf  heures  du  matin.  Il  n'était 
arrivé  de  son  régiment  que  le  vendredi,  il  tomba  malade 
le  samedi,  et  le  voilà  mort  le  jeudi  suivant,  Il  avait  fait 
des  actions  merveilleuses  pour  son  beau-père  qui  lui,  de 
son  côté,  a  eu  une  faiblesse  dimanche  dernier,  et  a  une 
fièvre  lente  dont  on  ne  dit  pas  de  bien.  »  {Corresp.  de 
Marais,  12  juillet.) 

2.  Le  Blanc  avait  été  vivement  affecté  de  sa  disgrâce  et 
de  la  mort  inopinée  de  son  gendre,  mais  ce  n'étaient  pas 
les  seules  causes  de  ses  souffrances.  «  Il  aime  la  bonne 
chère,  nous  dit  Barbier,  il  a  trop  mangé  à  un  souper  chez 
Samuel  Bernard,  et  il  en  est  encore  incommodé.  »  Et 
ailleurs  :  «  M.  Le  Blanc  est  toujours  malade  ;  on  parle  d'un 
abcès  dans  le  foie.  Je  crois  que  son  grand  mal  est  d'avoir 
une  ancienne  vér...  Les  grands  hommes  au-dessus  du  com- 
mun ont  toujours  été  accusés  de  débauche.  » 


88  Clair  ambaul  t-Aldurep  as. 

Le  prince  ^  et  les  sujets  le  couvrent  de  leurs  larmes. 

Ah  !  si  tu  demandes  du  sang, 
Parmi  ses  ennemis  va  choisir  la  victime  : 
Pour  venger  la  vertu  tu  dois  punir  le  crime. 


EPITRE 

A    M.   LE   PELLETIER   DES    FORTS^ 


Fils  d'un  grand  magistrat^,  que  j'ai  toujours  guidé, 
Et  qu'en  tous  ses  conseils  Thémis  a  secondé  ; 
Veux-tu  bien,  Pelletier,  que  mon  cœur  véridique 
Un  moment  avec  toi  s'entretienne  et  s'explique  ? 
Je  porte  dans  mes  mains  le  destin  des  mortels  ; 

,1.  «  Il  est  étonnant  de  voir  les  attentions  du  roi  pour 
M.  Le  Blanc  ;  il  a  défendu  aux  cent  suisses  et  aux  gardes 
de  battre,  ni  quand  il  va  à  la  messe,  ni  quand  il  sort,  de 
peur  que  le  bruit  des  tambours  ne  l'incommode.  Cela  n'est 
peut-être  jamais  arrivé.  Et  il  envoie  savoir  de  ses  nou- 
velles quinze  fois  par  jour,  c'est-à-dire  à  tout  moment.  Il 
dit  que  ce  sont  les  tourments  qu'on  lui  a  fait  subir  qui 
l'ont  mis  dans  cet  état-là.  Il  lui  a  fait  défense  de  travailler, 
crainte  d'altérer  sa  santé.  »  {Jour7ial  de  Barbier) 

2.  C'est  le  Génie  de  la  finance  qui  parle  au  contrôleur 
général.  (M.) 

3.  Michel  Le  Pelletier  de  Souzy,  père  de  Des  Forts 
(1640-1725),  avait  été  avocat  du  roi  au  Châtelet,  et  con- 
seiller au  Parlement,  avant  d'entrer  dans  l'administration 
des  finances. 


Année    1^20.  89 


Leur  culte  en  tous  climats  me  dresse  des  autels  ; 
J'étends  et  rétrécis,  aux  deux  bouts  de  la  terre, 
Les  liens  du  commerce  et  les  nerfs  de  la  guerre. 
Avec  tant  de  pouvoir  je  n'ai  pu,  cependant, 
De  mon  affreux  destin  surmonter  Tascendant  ; 
Quatre  frères  tyrans,  usurpant  mon  empire, 
De  mes  propres  États  m'avaient  osé  proscrire, 
Et  contre  mes  rentiers  ayant  tendu  leurs  rets. 
Ils  enveloppaient  tout  dans  leurs  vastes  filets  : 
Mais  depuis  que  Louis,  plus  sensible  à  mes  peines. 
De  son  puissant  royaume  a  pris  en  main  les  rênes. 
De  mes  usurpateurs  le  pouvoir  consterné 
Avec  lui  dans  l'exil  aussitôt  s'est  borné. 
J'ai  rentré  dans  mes  droits,  et  mon  premier  hommage 
Dans  un  jeune  héros  reconnaît  un  roi  sage  ; 
Un  roi,  dont  l'équité  se  montrant  au  grand  jour, 
T'honore  d'un  suffrage  approuvé  par  sa  cour, 
Et  voulant  imiter  son  bisaïeul  Auguste, 
Trouve  en  toi,  de  ton  oncle  un  successeur  si  juste. 
Sur  les  nobles  sentiers  que  cet  oncle  a  battus. 
Tu  vas  nous  rappeler  ses  talents,  ses  vertus^  ; 
Ton  esprit  et  ton  cœur  en  portent  tous  les  germes. 
Et  ta  justice  encor  n'a  point  connu  de  termes. 
C'est  sur  ce  dernier  point  que  l'on  peut  augurer 


I.  Claude  Le  Pelletier,  oncle  de  Des  Forts,  avait  suc- 
cédé à  Colbert  comme  contrôleur  général.  «  C'était,  dit 
Saint-Simon,  un  homme  fort  sage  et  fort  modéré,  fort  doux 
et  obligeant,  très  modeste  et  d'une  conscience  timorée.  » 
Effrayé  par  les  embarras  financiers  que  suscitaient  les 
guerres  de  Louis  XIV,  il  résigna  ses  fonctions  en  1689. 


po  Clairamhault-Maurepas. 

Le  bonheur  qu'aux  Français  ta  main  va  procurer  ; 

Prévoir  et  détourner  l'événement  sinistre, 

C'est  remplir  dignement  l'emploi  d'un  grand  ministre; 

Mais,  sans  cesse  et  partout  rendre  à  chacun  le  sien, 

C'est  faire  plus  encor  ;  c'est  être  homme  de  bien. 

Tout  ministre  asservi  sous  cette  règle  austère, 

N'admet  point  de  tribut  qui  ne  soit  nécessaire  ; 

Il  grave  pour  toujours  dans  son  cœur  généreux, 

Qu'un  prince  est  vraiment  grand,  quand  son  peuple  est  heure 

Que  son  plus  cher  trésor  consiste  en  sa  tendresse; 

Qu'il  est  suffisamment  riche  par  sa  richesse  ; 

Qu'il  est  de  ses  sujets  père  encor  plus  que  roi  ; 

Et  c'est  l'opinion  qu'un  chacun  a  de  toi. 

Je  conviens.  Pelletier,  qu'en  ces  temps  difficiles, 

Tes  bons  desseins  d'abord  paraîtront  moins  utiles. 

La  barque  confiée  à  tes  soins  importants. 

Est  un  vaisseau  battu  par  l'orage  et  les  vents  ; 

Il  faut  le  radouber,  le  munir  d'autres  voiles, 

Et  régler  sa  manœuvre  au  cours  d'autres  étoiles. 

Mais  l'art  d'un  bon  pilote  au  danger  paraît  mieux; 

La  gloire  sans  péril  ne  frappe  point  les  yeux  : 

Son  éclat  le  plus  beau  vient  du  sein  des  obstacles, 

Et  les  difficultés  enfantent  les  miracles. 

Que  te  dirai-je  encor?  A  tes  vœux  tout  répond; 

La  France  est  un  empire  en  ressources  fécond  ; 

C'est  un  chêne  endurci  sous  le  poids  des  années; 

De  verdoyants  bourgeons  ses  branches  couronnées 

Des  aqirilons  fougueux  ne  craignent  pas  le  cours  ; 

Sa  racine  est  profonde  ;  il  doit  durer  toujours, 

Puisqu'il  a  soutenu  les  souffles  du  Système, 


Année    1^26.  91 


Et  les  vents  du  Visa,  plus  cruels  que  lui-même. 

Mais  quittons  la  figure,  et  que  la  vérité 

Montre  ici  les  attraits  de  sa  naïveté. 

Tu  connais,  Pelletier,  toute  ma  destinée  ; 

Tu  sais  par  quels  ressorts  la  finance  est  menée  ; 

Tu  sais  quel  nombre  oisif  d'inutiles  commis 

Fut  chargé  de  mes  droits  par  mes  quatre  ennemis. 

Que  ta  précision  écarte  la  vétille. 

Dont  partout  la  finance  en  ses  bureaux  fourmille  ; 

Jette  au  feu  ces  cartons  artistement  rangés. 

Où  les  chiffres  souvent  en  zéros  sont  changés  ; 

Montre  un  noble  travail,  efface  de  ta  liste 

Les  gens  gagés  pour  suivre  une  obole  à  la  piste  ; 

Garde-toi  de  donner  des  millions  entiers. 

Pour  enrichir  le  roi  de  cinq  ou  six  deniers  ; 

C'est  par  là  que  bientôt  tu  peux,  sage  économe, 

Des  fidèles  Français  rétablir  le  ro3'aume, 

Et  leur  ôter  un  joug  sur  leur  tête  jeté, 

Pour  nourrir  la  paresse  et  l'inutilité. 

Efficaces  conseils  !  déjà  par  ta  prudence 

L'ordre  et  l'arrangement  rentrent  dans  la  finance  ; 

La  matière  et  l'espèce  ont  de  justes  rapports. 

Et  ce  sang  de  l'État  engraisse  tout  le  corps  ; 

Sur  tant  de  coffres-forts  confiés  à  leur  zèle, 

La  crainte  et  le  soupçon  ne  font  plus  sentinelle  ; 

Le  commerce  attentif  en  a  saisi  les  clefs, 

La  bonne  foi  les  offre  aux  travaux  rappelés  ; 

Un  jour  clair  et  serein  succède  à  des  nuits  sombres, 

Et  le  temps  va  cacher  mes  malheurs  sous  ses  ombres. 


02  Clair  amb  aul  t-AIaurepas. 


L'AVENTURE 
DE   M.   DE   MONTEMPUIS-^ 


Question  rare  et  nouvelle 
Pour  les  savants  de  Paris  ; 
Dira-t-on  mademoiselle, 
Ou  monsieur  de  Montempuis 
Hé  !  allons,  ma  tourlourirette, 
Hé  !  allons,  ma  tourlourirou. 

Malgré  la  philosophie, 
Il  fut  tenté  l'autre  jour 
D'aller  à  la  Comédie  ^ 
Entendre  parler  d'amour. 


1.  Chanson  nouvelle  sur  l'aventure  facétieuse  et  véri- 
table du  sieur  Montempuis,  chanoine  de  Notre-Dame, 
ci-devant  recteur  de  l'Université,  et  professeur  de  philoso- 
phie au  collège  du  Plessis,  lequel  ayant  été  tenté  d'aller  à 
la  Comédie,  se  déguisa  en  fille,  et  fut  conduit  en  cet 
équipage  chez  le  lieutenant  de  police.  Décembre  1726. 
(M.)  —  Cette  aventure,  qui  fit  grand  bruit,  donna  nais- 
sance à  plusieurs  pièces  satiriques  assez  peu  différentes 
les  unes  des  autres.  Il  nous  a  paru  suffisant  d'imprimer  la 
plus  longue,  qui  est  en  même  temps  la  plus  spirituelle. 

2.  «  Cet  homme  qui  n'avait  jamais  perdu  sa  gravité, 
remarque  Barbier,  n'avait  jamais  été  au  spectacle.  Il  lui  a 
pris  envie  d'aller  à  la  Comédie,  mais  il  a  cru  être  désho- 
noré d'y  être  reconnu  soit  en  habit  long,  soit  en  manteau 


Année   1^20.  93 


Il  succombe  en  janséniste 
A  cet  attrait  séduisant  ; 
Voulez-vous  qu'il  y  résiste  ? 
Hélas  !  il  est  appelant. 


court.  Il  a  voulu  se  bien  déguiser.  »  Toutefois,  s'il  faut 
en  croire  Marais,  M.  de  Montempuis  fut  porté  à  ce  tra- 
vestissement qui  lui  devint  si  funeste  par  un  mobile  des 
moins  honorables.  Voici  en  effet  ce  que  nous  lisons  dans 
sa  Correspondance  :  «  Il  était  avare,  il  trouva  une  occa- 
sion d'aller  à  la  Comédie  pour  rien;  on  lui  donna  un 
billet  de  vingt  sous,  mais  on  se  moqua  de  lui,  et  on  lui 
dit  que  c'était  un  billet  pour  une  femme,  et  qu'il  n'avait 
qu'à  se  déguiser  en  femme  :  ce  qu'il  fit  pour  gagner  vingt 
sous  ;  vous  savez  le  reste.  Voilà  comme  on  conte  l'his- 
toire, car  il  n'est  point  fou,  ou  il  ne  l'a  été  qu'en  ce  mo- 
ment. Le  chapitre  de  Paris  dit  qu'ils  l'auraient  voulu  voir 
venir  le  lendemain  au  chœur  en  habit  d'Arlequin.  On  dit 
qu'il  volait  les  bouts  de  chandelles  dans  les  lanternes  en 
Sorbonne,  Tout  cela  est  vilain.  »  —  Et  ailleurs,  répon- 
dant aux  réflexions  de  son  ami  Bouhier,  il  ajoute  :  «  Je 
prédis  comme  vous  à  Momus  et  ses  adhérents  quelque 
mauvaise  catastrophe  ;  ils  abusent  visiblement  de  la  pro- 
tection qui  leur  a  été  donnée  contre  le  ridicule  ;  il  est 
temps  d'y  mettre  ordre.  La  chanson  contre  le  Montem- 
puis ne  tient  pas  mal  son  coin  dans  la  calomnie  ;  il  n'a 
point  été  permis  de  lui  donner  une  aventure  avec  une 
fille  qui  lui  donne  ses  habits  et  lui  son  cœur,  et  encore 
moins  de  dire  que  ses  devanciers  chez  les  nonnes  les 
mieux  closes  entraient  en  ja->-dinîers.  Voilà  M.  de  Pont- 
Château  bien  marqué  ;  il  a  été  dix  ans  jardinier  à  Port- 
Royal,  et  est  mort  en  odeur  de  sainteté.  M.  Dodart,  mé- 
decin, lui  fit  une  épitaphe  merveilleuseque  vous  trouverez 
au  Nécrologe  de  Port-Royal  ;  et  quarante  ans  après  sa  mort 
le  voilà  chanté  et  déshonoré.  Le  couplet  de  l'Université, 
fille  aînée  de  nos  rois,  que  le  recteur  a  voulu  représenter, 
est  une  plaisanterie  très  vraie,  et  à  laquelle  on  ne  pou- 
vait pas  résister.  On  attribue  cette  chanson  au  P.  Du 
Cerceau  qui  la  désavoue.  »  [Corresp.  de  Marais.) 


P4.  Clairambaul  t-AIaurepas. 

De  peur,  dit-il,  de  scandale, 
Faisons  tout  à  petit  bruit. 
Sévère  est  notre  morale. 
Mais  plus  le  jour  que  la  nuit. 

Il  faut  que  je  me  déguise 
Pour  n'être  point  reconnu  ; 
On  peut  tout  faire  à  sa  guise 
Quand  on  peut  n'être  point  vu. 

De  quelque  jeune  dévote 
Empruntons  le  cotillon  ; 
Sous  sa  coiffe  et  sa  capote 
J'aurai  l'air  émerillon. 

Une  voisine  gentille  ^ 
Attife  l'ample  recteur  : 
J'ai,  dit-il,  ma  chère  fille, 
Votre  habit,  et  vous  mon  cœur. 

Cette  robe  est  plus  légère 
Que  celle  du  rectorat. 


I.  L'épisode  de  la  voisine  fut  inventé  à  plaisir  pour 
ajouter  encore  au  ridicule  de  Montempuis.  On  lit,  en 
effet,  dans  Barbier  :  «  Il  n'a  confié  son  secret  à  per- 
sonne. Pour  cela,  il  a  trouvé  dans  un  vieux  coffre  les  ha- 
bits de  sa  grand'mère,  manteau,  jupe,  écharpe  et  cornettes 
très  hautes,  tandis  qu'on  les  porte  très  basses.  Il  s'est 
affublé  de  ces  habits  de  femme  sans  songer  à  l'extrava- 
gance de  son  habillement  par  la  différence   de  ceux  qui 


Année    IJ26.  95 


Que  ne  puis-je  me  défaire 
De  même  du  diaconat  !  — 

Ne  craignez  point  de  paraître, 
Lui  dit-elle,  sous  cet  habit  ; 
Qui  pourrait  y  reconnaître 
Un  chanoine  de  Paris  ? 

En  ceci,  moi  qui  vous  aime, 
Je  ne  trouve  point  de  mal. 
Pour  faire  plus  tôt  carême 
Avançons  le  carnaval.  — 

Il  ne  fut  pas  nécessaire 
De  le  farder  avec  art, 
Les  gens  de  morale  austère 
Ne  manquent  jamais  de  fard. 

sont  d'usage  et  de  mode.  »  La  même  assertion  se  retrouve 
dans  une  chanson  qui  diffère  par  ce  seul  détail  du  texte 
que  nous  publions  : 

Sa  grand'mère  lui  laissa 
En  mourant  sa  garniture  ; 
Prudemment  il  la  garda 
Pour  si  belle  conjoncture. 

L'habit  fait  depuis  cent  ans, 
Le  corset  et  la  ceinture. 
Les  bracelets  et  les  gants, 
Le  jupon  et  la  chaussure. 

Il  manquait  à  ces  atours 
Le  galon  et  la  broJure  ; 
Mais  jadis,  même  à  la  cour, 
On  n'avait  point  de  dorure. 


^6  Clairambault-Mdurepas. 

Dès  qu'on  vit  dans  une  loge 
Cette  nouvelle  beauté, 
Maints  petits  maîtres  délogent 
Et  volent  de  son  côté  ^. 

Chacun  jouait  de  la  prunelle, 
Tel  faisait  l'amant  transi 
Et  disait  :  Pourquoi  la  belle 
Vous  emmitoufler  ainsi  ? 

Venez-vous  ici  sous  cape 
Rire  de  tous  vos  amants  ? 
Vous  allez  à  cette  trape 
Prendre  un  tas  de  soupirants. 

Mais  la  belle  accoutumée 
Aux  arguments  irlandais^, 
Se  trouva  déconcertée 
D'entendre  parler  français. 

Peu  faite  aux  tendres  fleurettes 
Parlant  ab  hoc  et  ab  hac, 
Elle  fit  dans  ses  cornettes 
La  scène  de  Pourceaugnac. 

1.  «  Des  gens  ont  trouvé  cette  figure  extraordinaire, 
ont  descendu  au  parterre,  en  ont  averti  d'autres;  enfin  on 
a  regardé  mon  homme,  et  les  gens  du  parterre  ont  fait 
un  tapage  de  tous  les  diables,  suivant  la  louable  coutume 
quand  quelque  chose  déplaît  au  parterre.  »  {Journal  de 
Barbier) 

2.  Allusion  au  collège  des  Irlandais. 


Année    1^26.  97 


Plus  elle  fit  de  grimaces, 
Et  plus  on  voulut  savoir; 
Voici,  dit  quelqu'un,  des  traces 
De  la  barbe  et  du  rasoir. 

Lors  la  feinte  demoiselle, 
Prenant  un  ton  de  fausset, 
Dit  :  L'insulte  est  trop  cruelle. 
Il  faut  lever  le  piquet. 

Aussitôt  la  spectatrice 
Attirant  tous  les  regards, 
Devient  elle-même  une  actrice. 
On  criait  de  toutes  parts. 

Enfin  sous  l'habit  de  fille 
Est  reconnu  Montempuis. 
C'est  en  vain  qu'un  loup  s'habille 
De  la  peau  d'une  brebis. 

De  là  la  troupe  femelle 
Tire  ce  fort  argument  : 
Donc  au  plus  juste  et  fidèle 
La  grâce  manque  souvent. 

Le  chanoine  hermaphrodite 
A  la  police  est  cité  ^ 

I.  «  L'exempt   a   su  que  c'était  un  homme  déguisé  en 
femme  ;  il   a  monté    en  haut,   il  a  fait  sortir  l'homme,  l'a 
mis  dans  un  fiacre  et  l'a  conduit  chez  M.  Hérault,  lieute- 
nant  de  police,  qui  n'était  pas   alors  chez  lui.  C'est  son 
V.  9 


o8  Clairambault-Maurepas. 

Et  les  archers  de  sa  suite 
Criaient  à  la  rareté. 

Quelle  étrange  catastrophe  ! 
Chez  le  fléau  des  filous^ 
On  conduit  le  philosophe 
Dans  un  carosse  bien  doux. 

Oh  !  dit-il,  les  bons  apôtres, 
Qui  prêchent  un  état  parfait. 
Quoi  !  les  uns  après  les  autres 
Je  vous  prends  tous  sur  le  fait. 

En  vain  vous  baissez  la  tête 
Mademoiselle  de  Montempuis  ; 
Au  poil  on  connaît  la  bête, 
J'ai  fait  mon  cours  au  Plessis. 

Sans  doute  ainsi  tignonnée 
Vous  avez  représenté 

premier  secrétaire  qui  l'a  reçu  et  qui  me  l'a  dit.  Jamais 
homme  n'a  été  plus  fâché,  ni  plus  interdit  de  la  sottise 
qu'il  avait  faite.  Le  secrétaire  a  prévenu  M.  Hérault  du 
caractère  de  cet  homme,  dont  la  figure  était,  dit-on,  des 
plus  risibles.  On  le  renvoya  chez  lui,  on  lui  promit  même 
de  ne  point  dire  son  nom,  mais  tout  Paris  l'a  su...  On 
ne  dit  point  que  l'esprit  ait  tourné  à  cet  homme.  11  ré- 
pondit, et  parla  de  très  bon  sens  chez  M.  Hérault,  mais 
avec  une  confusion  extrême,  contant  son  dessein  et  l'idée 
qu'il  avait  eue  d'être  bien  caché  de  cette  manière.  Quand 
une  pareille  sottise  arrive  à  un  homme  aussi  sage,  on  peut 
bien  en  excuser  d'autres.  »  {Journal  de  Barbier^ 
I.  M.  Hérault,  lieutenant  de  police. 


Année    iy26.  99 


De  nos  rois  la  fille  aînée 
Dame  de  l'Université. 

Oh  !  que  dira  Louis-Antoine  ^ 
Quand  il  apprendra  ce  cas  ? 
C'est  lui  qui  l'a  fait  chanoine  : 
Non,  il  ne  le  croira  pas  ! 

Que  diront  les  molinistes- 
Et  leurs  commodes  docteurs  ? 
Vous  blâmez  leurs  casuistes, 
Ils  revivent  dans  vos  moeurs. 

Le  goût  des  métamorphoses 
Vous  vient  de  vos  devanciers. 
Chez  les  nonnes  les  mieux  closes. 
Ils  entraient  en  jardiniers  ■\ 

1.  Le  cardinal  de  Noailles.  (M).  —  Le  cardinal  se  montra 
peu  satisfait  du  ridicule  encouru  par  un  de  ses  chanoines, 
et  le  punit,  quoique  assez  légèrement,  de  sa  folle  équipée. 
«  On  l'a  envoyé,  décrit  Barbier,  en  vertu  d'une  lettre  de 
cachet,  dans  un  couvent  de  province.  —  Il  est  revenu  en- 
suite de  son  exil,  peu  de  temps  après,  et  est  dans  le  cloître 
Notre-Dame ,  avec  quelque  différence  néanmoins  des 
autres  chanoines.  » 

2.  Barbier  nous  apprend  que  «  les  jésuites  ont  été 
charmés  de  cette  aventure  arrivée  à  un  janséniste.  »  Peut- 
être  même  n'étaient-ils  pas  complètement  étrangers  aux  cou- 
plets railleurs  qui  furent  prodigués  à  l'imprudent  chanoine. 

3.  Richard  Mimitolo,  conte  de  La  Fontaine.  C'est  Maret 
de  Lamporechio.  (M).  —  Marais,  transcrivant  ce  couplet, 
l'accompagne  de  cette  réflexion  :  «  On  m'en  a  dit  un 
bien  mauvais  contre  Port-Royal,  qui  va  devenir  un  vau- 
deville calomnieux.  »  (Cf.  p.  93,  fin  de  la  note.) 


lOO  Clairamb  ault-Maurepas. 

L'on  a  vu  vos  solitaires 
Et  de  Paris  et  d'On^alS 
En  habit  de  mousquetaires 
Changer  l'habit  monacal. 

Pour  grossir  la  kyrielle 
Des  appelants  de  Paris, 
On  joindra  mademoiselle 
A  monsieur  de  Montempuis. 
Hé  !  allons,  ma  tourlourirette, 
Hé  !  allons,  ma  tourlourirou. 


EPIGRAMMES  DIVERSES 


SUR   LE   ROI- 

Vous  avez  l'humeur  sauvage, 
Mais  le  regard  séduisant  : 

1.  Abbaj-e  située  dans  le  Luxembourg,  de  l'ordre  de 
Cîteaux,  dont  plusieurs  moines  ont  jeté  le  froc  aux  orties, 
comme  les  chartreux  de  Paris.  (M).  —  L'abrégé  chrono- 
logique explique  ainsi  les  faits  travestis  par  le  poète  :  «  La 
vexation  qu'on  fait  aux  chartreux,  au  sujet  de  la  Consti- 
tution, en  oblige  trente  à  se  retirer  en  Hollande,  où  ils  se 
rassemblent  pour  y  vivre  selon  leur  règle.  Environ  quinze 
religieux  d'Orval  sont  obligés  de  prendre  le  même  parti, 
avec  la  permission  toutefois  de  leur  abbé,  qui  leur  donne 
secrètement  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  leur  voyage,  » 
{Sept.  1725.) 

2.  Par  la  maréchale  de  Villars.  (M.) 


Année    iy26.  loi 


Avec  un  si  beau  visage 
Serez-vous  indifférent  ? 
Si  l'amour  veut  vous  séduire 
Cédez,  ne  disputez  rien; 
On  a  fondé  votre  empire 
Bien  longtemps  après  le  sien. 


SUR   LA   REIXE 

Les  dieux  vous  ont  conduit 
Au  printemps  de  votre  âge, 

Sans  beauté. 
Quand  on  a  fait  ainsi 
L'on  a  son  pucelage 
Sans  rareté. 
Et  l'on  couche  avec  vous,  pauvre  reine,  je  gage, 
Sans  curiosité  ^ 


I.  L'auteur  de  l'épigramme  était  assurément  mal  in- 
formé, puisque  M.  le  Duc  écrivait  au  roi  Stanislas  le  len- 
demain du  mariage  :  «  Le  Roi  s'est  allé  coucher  chez  la 
Reine,  et  lui  a  donné  pendant  la  nuit  sept  preuves  de 
sa  tendresse.  C'est  le  Roi  lui-même  qui  a  envoyé  un 
homme  de  sa  confiance  pour  me  le  dire  et  me  l'a  ré- 
pété, » 

V.  9 


I02  Clairambault-Maurepas. 


SUR   LE    GOUVERNEMENT^ 

Le  Blanc  est  arrivé,  cessez,  triste  chaos; 
Paraissez,  règlements;  roi,  daignez  vous  instruire 

Pour  établir  notre  repos. 
Le  Cyclope  enfermé  rassure  votre  empire. 

Coulez,  grâces,  coulez. 

Fuyez,  ministre  odieux  ; 
D'un  hymen  trop  honteux  pour  réparer  l'injure, 
Reine,  enfante  un  Dauphin  ou  te  mets  en  clôture, 
Vivez,  Fréjus,  vivez  si  l'on  nous  paye  mieux. 


SUR   DEUX   TRAITANTS 

Dieu  est  né  entre  deux  bêtes, 
Il  est  mort  entre  deux  larrons, 

Il  est  juste  qu'à  sa  fête 
Il  ait  de  pareils  compagnons^. 


1.  Parodie  des  premiers  vers  du  prologue  des  Quatre 
Éléments.  (M.) 

2,  Ces  vers  ont  été  faits  au  sujet  de  deux  traitants  des  actes 
des  notaires  qui  ont  porté  le  dais  à  Saint-Thomas  le  jour 
de  la  fête  de  Dieu.  L'un  de  ces  deux  traitants  s'appelle 
Anguier.  (M.) 


Année    1^26.  103 


SUR 


l'archevêque  de  tours^ 


L' APOTRE  de  Touraine, 

Prêchant  un  bon  curé, 

L'honora  pour  étrennes 

D'un  discours  préparé  : 

Signez  la  bulle,  sot  ! 

C'est  ainsi  qu'il  l'exhorte, 
Et  pour  péroraison,  don,  don  : 
B...  tu  signeras,  la,  la; 

Ou  le  diable  m'emporte! 

Le  curé  de  village, 

A  ce  doux  compliment, 

Sans  changer  de  visage, 

Reprit  naïvement  : 

Dieu  nous  garde  tous  deux 

D'un  sort  si  déplorable. 
Au  moins,  sans  compagnon,  don,  don. 
Vous  seul,  mon  cher  prélat,  la,  la, 

Pourrez  aller  au  diable. 

I.  Louis-Jacques  Chapt  de  Rastignac,  archevêque  de 
Tulle,  en  1722,  et  de  Tours  en  1723,  fut  l'un  des  plus 
actifs  défenseurs  de  la  bulle  Unigenitus. 


<^^.:^%^^^^^^^^^ 


ANNEE    1727 


LES 

QUATRE  VERTUS  CARDINALES 


Du  précepteur, 
Doux,  dévot,  bénin,  pacifique. 

Du  précepteur, 
Chantons  les  vertus,  le  bon  cœur. 
Le  bien  de  la  chose  publique 
Est  l'objet  et  l'étude  unique 

Du  précepteur. 

A  sa  douceur. 
Fut-il  jamais  rien  comparable 

A  sa  douceur? 
Quand  on  bannit  le  gouverneur  \ 
Il  fuit,  il  est  inconsolable  ; 

I.  L'exil  du  maréchal  de  Villeroy,  gouverneur  du  roi.  (M.) 


io6  Clairamhault-Maurepas. 

S'il  reste,  on  en  est  redevable 
A  sa  douceur. 

D'un  air  bénin, 
Il  se  voit  barrer  la  barrette  ^, 

D'un  air  bénin. 
Sans  montrer  ni  fiel  ni  venin, 
L'obstacle  bientôt  fait  retraite  -  ; 
Puis  il  reçoit  la  sainte  emplette 

D'un  air  bénin. 

C'est  un  dévot, 
Égorge-t-on  mille  familles. 

C'est  un  dévot. 
Il  n'en  soufflera  pas  un  mot. 
Livrant  sans  pain  veuves  et  filles 
Aux  chastes  aumônes  des  drilles. 

C'est  un  dévot. 

Tout  pour  la  paix, 
Quoi  que  dise  et  veuille  la  bulle, 

Tout  pour  la  paix. 
Si  quelqu'un  ose  dire  :  Mais  ! 


1.  A  la  chute  de  M.  le  Duc,  Fleury  n'était  pas  encore 
cardinal  ;  le  ministre  avait  intrigué  à  Rome  po\ir  qu'on 
ne  lui  envoyât  pas  la  barrette.  «  Lorsqu'elle  arriva,  dit 
Voltaire,  Fleury  la  reçut  avec  la  même  simplicité  appa- 
rente qu'il  avait  reçu  la  place  de  premier  ministre,  et  qu'il 
dirigea  toutes  les  actions  de  sa  vie.  » 

2.  L'exil  de  M.  le  duc  de  Bourbon.  (M.) 


Année    I'J2J.  107 


Il  fait  la  guerre  à  l'incrédule 
Jusques  au  fond  de  sa  cellule. 
Tout  pour  la  paix. 


LE   GENIE   DE    DES  FORTS 

Du  grand  Des  Forts 
Admirons  le  rare  génie  ; 

Du  grand  Des  Forts 
Bénissons  les  heureux  efforts. 
Nous  allons  voir  notre  agonie, 
Céder  à  l'adresse  infinie 

Du  grand  Des  Forts. 

Après  six  mois 
De  méditation  profonde, 

Après  six  mois. 
Retranchons,  dit-il,  deux  de  trois  ^ 

I.  «  M.  Le  Pelletier  Des  Forts  a  fait  un  beau  présent 
aux  sujets  du  roi  pour  son  arrivée  dans  le  ministère.  Il  a 
retranché  les  rentes  viagères,  sous  prétexte  que  la  plupart 
avaient  été  constituées  en  papier,  et  même  qui  provien- 
nent des  anciennes  rentes;  on  a  fait  différentes  classes. Ce 
coup  a  fait  beaucoup  crier,  parce  que,  dans  le  dérangement 
du  système,  c'a  été  la  ressource  de  presque  tous  les  pères 
de  famille  qui  ont  distribué  des  fonds  sur  la  tête  de  leurs 
enfants  pour  avoir  du  moins  un  revenu  pour  subsister.  » 
{Jotirnal  de  Barbier) 


:o8  Clair  ambault-Maurepas, 

Il  me  faut  ma  dépense  ronde, 
Dût  périr  de  faim  tout  le  monde, 
Après  six  mois. 

On  t'attend  là. 
Écolier  en  fait  de  finance. 

On  t'attend  là. 
En  moins  de  temps  on  chassera 
L'inventeur  de  l'extravagance 
D'une  recette  sans  dépense  ; 

On  t'attend  là. 


Des  Forts,  de  son  mérite  épris. 
Va,  disant  d'un  ton  d'arrogance  : 

Sous  mes  prédécesseurs  on  n'entendait  que  cris, 
Que  murmures,  que  remontrance. 

Ces  gens-là  n'étaient  pas  au  fait  de  la  finance. 
Mais  grâce  au  ciel,  sous  moi,  la  France 
Ne  souff"re  plus  et  ne  dit  mot.  — 

Étonné  d'un  orgueil  si  cruel  et  si  sot, 

Quelqu'un  lui  dit  :  Sais-tu  pourquoi  ce  grand  silence 
Je  vais  te  l'apprendre,  maudit  bardot, 

Bourreau^  d'un  peuple  doux  autant  qu'il  est  fidèle. 
Voici  le  fait,  écoute  bien  : 


I.  L'auteur  veut  sans  doute  faire  allusion  au  Bi'evet  de 
bourreau  du  régiment  de  la  Calotte^  qui  fut  octroyé  à 
Des  Forts,  aussitôt  après  l'édit  des  rentes. 


Année    i 


J2J,  109 


Quand  on  le  tond,  le  mouton  bêle 
Quand  on  l'écorche,  il  ne  dit  rien. 


LES   AUTEURS 
DE   L'ÉDIT  DES  RENTES 


Les  Paris  étaient  des  filous, 

Messieurs,  on  vous  l'accorde, 
Mais  le  Des  Forts  est  entre  nous 

Plus  digne  de  la  corde; 
Très  dur,  très  vain,  très  ignorant. 

En  un  mot  l'on  ajoute 
Qu'il  prend  soin  du  gouvernement 

En  faisant  banqueroute.^ 

Pour  garder  Des  Forts  contrôleur. 

Faut-il  ruiner  la  ville  ? 
Fleury,  déplacez  ce  voleur, 

Vous  êtes  trop  facile  ; 
Ou  le  Visa  dont  tout  le  monde 

Encore  se  lamente 
Sera  regardé  comme  bon 

Près  de  l'édit  des  rentes^. 

I.  «  L'édit  de  la  réduction  d^s  rentes  viagères  et   l'arrêt 
V.  10 


Clair  ambault- AI  au  repas. 


Sardanapale  maréchal*, 

Dieu  de  la  maltôte, 
C'est  donc  sur  ton  avis  banal 

Que  ma  rente  l'on  m'ôte 
De  deux  sodomistes  pareils 

Le  destin  me  soulève  : 
Faut-il  voir  d'Huxelles  aux  conseils 

Et  Deschaufours  en  Grève  ^! 

Par  toi  le  nom  français  flétri, 
Rendit  Hoschtedt  insigne, 

Général  couvert  de  mépris  ^, 
Ministre  plus  indigne. 

Ainsi,  dans  les  conseils  du  roi. 
Les  avis  que  tu  donnes 

De  manquer  au  public  de  foi, 
Ne  surprennent  personne. 


portant  réduction  des  charges  employées  dans  les  États 
du  roi  ont  mis  la  consternation  dans  toutes  les  familles.  » 
{Corresp.  de  Marais.) 

1.  Le  maréchal  Du  Blé  d'Huxelles.  (M.)  —  Quelques 
lignes  de  Saint-Simon  expliquent  et  justifient  les  attaques 
du  chansonnier  contre  le  maréchal.  Il  était,  dit-il  «pares- 
seux, voluptueux  à  l'excès,  en  toutes  sortes  de  commo- 
dités, de  chère  exquise,  grande,  journalière,  en  choix  de 
compagnie,  en  débauches  grecques  dont  il  ne  prenait  pas 
la  peine  de  se  cacher,  et  accrochait  de  jeunes  officiers  qu'il 
adomestiquait,  outre  de  jeunes  valets  très  bien  faits,  et 
cela  sans  voile,  à  l'armée  et  à  Strasbourg.  » 

2.  Il  fut  brûlé  par  jugement  des  commissaires  du  con- 
seil du  24  mai  1726,  pour  crime  de  sodomie.  (M.) 

3.  Ce  couplet  vise  Tallard,  le  vaincu  de  Hochstedt. 


Année   i'j2'j.  m 


Pour  toi,  fanfaron  de  Villars, 

Que  barbouilla  de  gloire 
Un  des  plus  fortunés  hasards 

Et  jeux  de  la  victoire, 
Ton  bonheur  ne  t'exempte  pas 

De  cette  ignominie 
Qui  suit  l'avare  à  chaque  pas 

Et  qui  ternit  ta  vie. 


LE    CONCILE   D'EMBRUN^ 


Viens  au  secours  de  ton  église, 

Divin  pasteur, 
Délivre-la  de  l'entreprise 

D'un  séducteur, 

I.  «  Le  roi  ayant  permis  à  l'archevêque  d'Embrun  d'as- 
sembler un  concile  provincial  à  Embrun,  pour  y  traiter 
et  discuter  des  affaires  qui  intéressaient  la  religion  et  les 
dogmes  de  la  foi,  l'ouverture  de  ce  concile  s'étant  faite  le 
l6  août,  l'abbé  d'Hugues,  promoteur,  y  ayant  dénoncé 
l'instruction  pastorale  de  l'évêque  de  Senez,  du  28  août 
1726,  comme  contenant  des  maximes  séditieuses  et  des 
erreurs  capitales,  comme  étant  injurieuse  à  la  bulle  Uni- 
genitus,  et  comme  recommandant  la  lecture  du  li\Te  des 
réflexions  morales  du  P.  Quesnel,  défendue  par  cette  bulle 
et  par  le  corps  des  évêques  ;  et  l'évêque  de  Senez  ayant 
reconnu  cette  instruction  pastorale  pour  être  émanée  de 
lui,  et  ayant  soutenu  que  les  propositions  qu'elle  conte- 


Clairambault-Maurepas. 


D'un  vil  esclave  de  Mammon 

Qui  la  déchire, 
D'un  homme  sans  foi,  d'un  Simon, 
De  Tencin,  c'est  tout  dire  ^ 

Confonds  son  indigne  concile 

Et  ses  desseins; 
Venge  l'honneur  de  l'Évangile 

Et  de  ses  saints, 
Vois  les  pères  d'Embrun  :  grand_Dieu, 

Quel  assemblage  ! 
Allons-nous  d'Éphèse  en  ce  lieu 
Revoir  le  brigandage  -  ? 


nait  étaient  conformes  à  ses  sentiments,  desquels  il 
croyait  ne  pas  pouvoir  se  départir,  le  concile  rend,  le  20 
septembre,  une  sentence  qui  condamne  l'instruction  pas- 
torale de  Mg""  l'évêque  de  Senez,  comme  schismatique  et 
remplie  d'erreurs  ;  ordonne  que  l'évêque  qui  l'a  adoptée 
et  signée,  et  n'a  pas  voulu  la  rétracter,  sera  suspendu  de 
tout  pouvoir  et  juridiction  épiscopale.  »  {Journal  histo- 
rique du  7-ègne  de  Louis  XV.) 

1.  L'abbé  Tencin  avait  été  nommé  archevêque  d'Em- 
brun en  1724.  Il  fit  condamner  son  sufîragant,  Soanen, 
poussé  tout  à  la  fois  par  l'ambition  du  chapeau  et  par  les 
conseils  du  cardinal  Fleur}',  désireux  de  triompher  par  un 
exemple  sévère  de  la  résistance  des  prélats  jansénistes. 

Le  marquis  d'Argenson  l'appelait,  non  sans  raison,  «  le 
fléau  des  honnêtes  gens,  simoniaque,  incestueux,  mauvais 
citoyen,  déshonoré  et  honni  de  tous  ». 

2.  Les  historiens  ecclésiastiques  ont  flétri  du  nom  de 
brigandage.,  le  concile  d'Ephèse,  présidé  par  Dioscure,  qui 
proclama  l'orthodoxie  d'Eutychès,  et  déposa  l'évêque  de 
Constantinople,  Flavien,  qui  avait  fait  condamner  les 
théories  de  l'hérésiarque.  Comme  Flavien  avait  appelé  de 


Année    IJ2J.  113 

Dignes  élèves  des  écoles 

De  Loyola, 
Les  Lafitaux  ^,  les  Malissolles  - 

Vont  briller  là. 
Que  veulent  ces  dignes  prélats? 

Que  vont-ils  faire? 
Ce  qu'autrefois  firent  Judas, 
Caiphe  et  son  beau-père. 

L'un  d'eux  a  voulu  rendre  à  Rome 

Saint  Paul  suspect, 
L'autre  est  digne  neveu  d'un  homme 

Qui,  sans  respect 
Pour  les  édits  du  roi  mineur. 

Eut  l'insolence 


ce  jugement  inique  au  pape,  Dioscure,  au  dire  d'Évagrius, 
maltraita  ce  prélat  avec  une  telle  violence  qu'il  mourut 
peu  de  jours  après.  (An  449.) 

Ces  tristes  scènes  faillirent  se  renouveler  à  Embrun. 
«  Les  théologiens,  lisons-nous  dans  Marais,  ont  été  in- 
sultés, chassés  du  concile.  Le  prélat  lui-même  a  été  obligé 
d'en  sortir,  et  traité  comme  s'il  était  prévenu  de  crimes. 
En  un  mot,  dit  une  lettre  qui  vient  de  paraître,  du  29 
août,  toutes  les  lois  des  jugements  et  de  l'équité  naturelle 
ont  été  ouvertement  violées  ;  ce  sont  autant  de  titres  qui 
assureront  au  concile  d'Embrun  dans  la  postérité,  celui 
de  conciliabule  et  de  brigandage.  » 

1.  Pierre-François  Lafitau  (1685-1764),  qui  avait  joué  un 
rôle  actif  dans  la  négociation  du  chapeau  de  Dubois, 
était,  depuis  1719,  évêque  de  Sisteron.  II  a  laissé  de  nom- 
breux écrits,  dont  l'un  des  plus  utiles  aujourd'hui  est 
\ Histoire  de  la  Constitution  Unigenitus. 

2.  François  Berger  de  Malissol,  évêque  de  Gap,  de  1706 
à  1738. 

V.  10. 


114  Clairambault-AIaurepas. 

D'en  appeler  au  roi  majeur, 
Chose  inouïe  en  France  ^. 

On  met  dans  ce  complot  funeste 

Ce  grand  prélat, 
Qui  doit  aux  fureurs  de  la  peste 

Tout  son  éclat  -  ; 
Il  serait  plus  pur  et  plus  grand 

Sans  l'abbaye 
Qu'il  demanda  pour  payement 
Des  risques  de  sa  vie^. 

Tous  les  pontifes  que  la  bulle 

Fait  assembler, 
Courent  au  conciliabule 

Se  signaler 
Contre  nos  saintes  libertés 

Et  l'innocence; 
Qu'ils  vont  faire  d'iniquités, 
Sûrs  de  leur  récompense. 

1.  L'évêque  d'Apt,  Ignace  de  Foresta,  avait  publié,  en 
1717,  un  factum  intitulé  :  Appel  du  roimmeur  au  roi  ma- 
jeur de  la  déclaration  du  7  octobre.  Le  Parlement  de  Pro- 
vence condamna  cet  écrit  au  feu,  en  faisant  remarquer 
que  le  titre  était  une  attaque  au  principe  de  la  royauté, 
puisqu'il  infirmait  le  pouvoir  du  Régent. 

2.  Henri-François  de  Belzunce,  de  Castelmoron,  évêque 
de  Marseille. 

3.  Belzunce  refusa  l'évêché  de  Laon  (conférant  le  titre 
de  duc  et  pair)  et  l'archevêché  de  Bordeaux,  qui  lui  furent 
offerts  en  récompense  de  son  dévouement  ;  il  accepta,  tou- 
tefois, deux  riches  abbayes,  mais  sans  les  avoir  sollicitées. 
En  1731,  Clément  XII  le  décora  an  pallium. 


Année    1^2^.  115 


Que  tout  est  ici  canonique  ! 

Douze  brigands  ^, 
L'opprobre  du  nom  catholique 

Et  de  ce  temps, 
Sont  triés  pour  perdre  un  pasteur 

Irréprochable  -. 
Renverse,  ô  divin  Rédempteur, 
Ce  projet  exécrable  ! 

Par  une  auguste  compagnie 

Examiné, 
Tencin,  leur  chef,  pour  simonie 

Fut  condamné  'K 


1.  Les  évêques  convoqués  à  Embrun,  étaient  au  nombre 
de  quatorze  :  de  Vaccon  (Apt)  ;  de  Moncley  (Autun)  ;  Du 
Doucet  (Belley)  ;  de  Castellane  (Fréjus)  ;  Malissol  (Gap)  ; 
Berton  de  Grillon  (Glandèves)  ;  d'Anthelmi  (Grasse)  ;  de 
Caulet  (Grenoble)  ;  Belzunce  (Marseille)  ;  Lafitau  (Siste- 
ron)  ;  Alexandre  Milon  (Valence);  de  Bourchence  (Vence)  ; 
de  Villeneuve  (Viviers). 

2.  «  L'accusé,  dit  à  ce  propos  Barbier,  l'évêque  de  Senez 
est  le  P.  Soanen  de  l'Oratoire,  qui  a  prêché  toute  sa  vie 
avec  grand  éclat,  qui  a  quatre-vingts  ans,  et  qui,  dans  son 
évêché,  menait  une  vie  exemplaire,  et  en  apôtre  donnait 
tout  aux  pauvres,  et  était  continuellement  en  visite.  Voilà 
ce  qui  révolte.  »  Et  Marais  :  «  On  a  fait  une  plaisanterie 
d'un  soldat  de  la  garnison  d'Embrun,  qui  écrit  à  sa 
femme  :  Nous  sommes  toujours  à  Embrun  à  garder  le 
concile  de  Trente.  Je  ne  sais  pas  ce  qu'on  y  fait  :  On  dit 
qu'ils  sont  quinze  diables  qui  veulent  faire  peyidre  un  saint.  » 

3.  Le  Parlement  avait  condamné,  en  1721,  l'abbé  de 
Tencin,  «  comme  simoniaque  et  confidentiaire,  à  perdre  le 
prieuré  de  Marlou,  qu'il  avait  fait  unir  à  l'abbaye  de 
Vézelay,  et  qu'il  possédait  sous  le  nom  de  son  frère.  »  [Mém. 
de  Marais.) 


Clairamhault-Maurepas. 


Quel  siècle  autre  que  celui-ci 

Et  quelle  ville 
Vit  jamais  un  homme  flétri 
Président  d'un  concile? 

Toujours  Tencin  souhaita  d'être 

Pécunieux, 
Ainsi  que  Simon,  son  cher  maître  ; 

Mais,  à  ses  vœux 
Longtemps  la  fortune  parut 

Inexorable, 
Suivit  l'agiot  qui  lui  fut 
Tout  à  fait  favorable. 

Bientôt,  pénétrant  du  système 

Tous  les  projets, 
Il  en  étonna  l'auteur  même 

Par  son  progrès, 
Et  l'on  peut,  sans  crainte  de  faux, 

A  sa  science 
Imputer  la  moitié  des  maux 
Que  Law  a  faits  en  France. 

Tencin  devint  un  magnifique 

Agioteur 
Et  fit  de  Law  un  catholique 

Plein  de  ferveur; 
Law  eut  toute  la  piété 

D'un  bon  apôtre  ; 


imin  imp  Edit 


Année    l'J2'j.  117 


Tencin  vit  son  bien  augmenté 
Par  les  débris  du  nôtre. 

Jadis  tout  clerc  faisant  négoce 

Etait  proscrit 
Comme  indigne  du  sacerdoce 

De  Jésus-Christ. 
La  France,  hélas  !  au  déshonneur 

De  l'Évangile, 
Voit  un  infâme  agioteur 
Président  d'un  concile. 

Prends  pour  toi,  Tencin,  ce  que  Pierre 

Dit  à  Simon  : 
Si  tu  méprises  le  tonnerre, 

Quel  abandon  ! 
Romps,  crois-moi,  tous  les  nœuds  qu'a  faits 

Ton  injustice. 
Ou  tu  vas  tomber  pour  jamais 
Au  même  précipice. 

Te  passerai-je  sous  silence, 
Sœur  de  Tencin  ^, 


I.  Claudine-Alexandrine  Guérin,  marquise  de  Tencin 
(1681-1749),  dut  d'abord  à  ses  galanteries  et  plus  tard  à 
ses  écrits  une  grande  notoriété.  Après  avoir  embrassé  la 
vie  religieuse,  par  suite  du  mince  patrimoine  paternel,  elle 
protesta  contre  ses  vœux,  et  obtint  de  passer  comme  cha- 
noinesse  au  chapitre  de  Neuville,  près  Lyon.  Mais  elle  le 
quitta  bientôt  pour  venir  habiter  Paris,  où  l'abbé,  son 
frère,  la  mit  à   la  tête  de  sa  maison,   et  elle   se  mêla  à 


Ii8  Clair  amhault-Maurepas. 

Monstre  enrichi  par  l'impudence 

Et  le  larcin  ? 
Vestale  ^  peu  rebelle  aux  lois 

De  Cythérée, 
Combien  méritas-tu  de  fois 
D'être  vive  enterrée  ? 

Chez  toi  toujours,  vieille  Rhodope, 

Furent  reçus, 
Les  favoris  de  Calliope 

Et  de  Plutus  -  ; 

toutes  les  intrigues  de  la  Régence,  uniquement  inspirée 
par  le  désir  d'élever  son  frère  aux  plus  hautes  dignités 
ecclésiastiques.  «  Elle  reporta  sur  lui,  dit  Duclos,  toute 
l'ambition  qu'elle  aurait  eue,  si  son  sexe  la  lui  eut  per- 
mise. Je  l'ai  beaucoup  connue;  on  ne  peut  pas  avoir  plus 
d'esprit  ;  elle  avait  toujours  celui  de  la  personne  à  qui 
elle  avait  affaire.  Le  génie  des  plus  habiles  intrigantes 
s'éclipsait  devant  celui  de  la  Tencin.  Elle  était  très  jolie 
étant  jeune,  et  conserva,  dans  l'âge  avancé,  tous  les  agré- 
ments de  l'esprit.  Elle  plaisait  à  ceux  mênie  qui  n'igno- 
raient rien  de  ses  aventures.  »  La  mort  de  Dubois,  dont 
elle  avait  su  capter  la  faveur,  mit  un  terme  à  ses  intrigues 
politiques  ;  elle  se  consacra,  dès  lors,  à  ses  relations  de 
société,  et  réunit  dans  son  salon,  l'un  des  plus  brillants  du 
xviii^  siècle,  l'élite  des  gens  de  lettres  du  temps. 

1.  Elle*  avait  été  religieuse  et  fait  profession  dans  le 
monastère  de  Montfleur}-  en  Dauphiné.  Elle  obtint  un  res- 
crit  en  cour  de  Rome  pour  être  relevée  de  ses  vœux,  et 
comme  il  était  subreptice  et  rendu  sur  un  faux  exposé,  il 
ne  fut  point  fulminé.  Çsl.) 

2.  Les  plus  connus  de  ses  amants  furent,  parmi  les  écri- 
vains :  La  Motte,  Fontenelle,  Arouet  ;  et,  parmi  les  hommes 
politiques  :  le  Régent,  Dubois,  d'Argenson,  Bolingbroke, 
d'Argental  et  Destouches  Canon,  dont  elle  eut  un  fils,  qui 
fut  d'Alerabert. 


Année    1-2^.  119 


Jamais  ta  belle  âme  à  l'argent 

Ne  fut  rebelle  ^, 
Et  ce  ne  fut  que  l'indigent 
Qui  te  trouva  cruelle. 

Ecoute  une  preuve,  elle  est  vraie 

Sans  contredit; 
Tant  que  l'insensé  la  Fresnaye  - 

Eut  du  crédit, 
Tant  que  chez  lui  l'argent  roulait, 

Il  sut  te  plaire. 
N'eut-il  plus  rien,  un  pistolet 
Vint  bientôt  t'en  défaire. 

Tu  diras  sans  doute,  âme  noire, 
Qu'il  se  tua"'. 

1.  Duclos  affirme  le  contraire  :  «  Nullement  intéressée, 
elle  regardait  l'argent  comme  un  moyen  de  parvenir,  et 
non  comme  un  but  digne  de  la  satisfaire.  Elle  n'a  jamais 
joui  que  d'un  revenu  très  médiocre,  et  ne  voulait  de  ri- 
chesses que  pour  son  frère,  afin  qu'elles  pussent  aider  à 
l'ambition.  Elle  était  d'ailleurs  très  serviable,  quand  elle 
n'avait  point  d'intérêts  contraires.  » 

2.  La  Fresnaye,  conseiller  au  Grand-Conseil,  son  amant, 
qui  s'est  cassé  la  tête  d'un  coup  de  pistolet.  C'est  lui  qui 
a  été  député  du  Conseil  pour  faire  le  compliment  au  roi 
sur  son  mariage.  (M.) 

3.  Ce  La  Fresnaye,  grand  agioteur  de  son  métier  et 
personnage  peu  sympathique,  était  allé  se  tuer  chez  son 
ancienne  maîtresse,  en  laissant  un  testament  qui  faisait 
planer  sur  elle  un  soupçon  d'assassinat.  M'"*^  de  Tencin 
fut  arrêtée  et  le  Châtelet  instruisit  son  procès.  Mais  le 
Grand-Conseil,  saisi  de  l'affaire,  grâce  au  crédit  de  l'abbé, 
la  reconnut  innocente  et  condamna  la  mémoire  du  défunt. 


I20  Clairauibault-Maurepas. 

Sans  examen  je  veux  le  croire 

Que  fait  cela? 
Si,  nu  par  ta  rapacité 

Il  s'extermine 
C'est  toujours  dans  la  vérité 
Ta  main  qui  l'assassine. 

Je  connais  bien  d'autres  victimes, 

Ame  sans  foi, 
Que  vous  égorgez  par  vos  crimes 

Ton  frère  et  toi. 
Vos  noires  fourbes  font  périr 

De  saintes  filles, 
Dont  les  biens  servaient  à  nourrir 
Mille  pauvres  familles. 

Pour  Tencin,  la  pourpre  romaine 

A  des  appas  ^, 
Le  chemin  qu'il  a  pris  y  mène 

Vos  renégats. 
De  Dubois  il  a  les  vertus 

Et  l'opulence; 
11  soutient  X  Unigeiiitus, 

Il  doit  être  Eminence  -. 

1.  Voltaire,  parlant  du  cardinalat,  dit  avec  autant  d'esprit 
que  de  malice  :  «  C'est  une  qualité  étrangère  à  l'Église 
et  à  l'Etat,  que  tout  ecclésiastique  romain  à  portée  de 
l'obtenir  poursuit  avec  fureur,  que  les  papes  font  long- 
temps espérer  pour  avoir  des  créatures,  et  que  les  rois 
honorent  par  une  ancienne  coutume  qui  tient  lieu  de  rai- 
son et  même  de  politique.  » 

2.  11  devint,  en  effet,  cardinal,  en  1739. 


Année    ij2j. 

Pour  sa  sœur,  qu'elle  aille  à  Cythère  ; 

Ce  seul  endroit 
Peut  lui  fournir  le  monastère 

Qu'il  lui  faudroit; 
Elle  est  un  peu  vieille  à  présent 

Pour  chanoinesse, 
Mais  des  novices  du  couvent 
Elle  sera  maîtresse. 

Enfin  se  conclut  le  mystère 

D'iniquité  ^: 
Le  coupable  juge  un  saint  père, 

•  Quelle  équité  ! 
Droit  canon,  droit  des  gens  et  foi 

Sont  en  souffrance  ; 
Ciel,  sois  attentif  à  ma  voix 
Et  venge  l'innocence. 

Prélats,  verrez-vous  sans  vous  plaindre 

Un  saint  proscrit.'' 
Que  n'avez-vous  pas  tous  à  craindre 
Si  cet  esprit 


I,  «  Le  simoniaque,  écrit  Voltaire,  condamna  le  saint, 
lui  interdit  les  fonctions  d'évêque  et  de  prêtre,  et  le  relé- 
gua dans  un  couvent  de  bénédictins  au  milieu  des  mon- 
tagnes, où  le  condamné  pria  Dieu  pour  le  convertisseur 
jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt  quatorze  ans.  »  Soanen  pro- 
testa contre  la  condamnation  qui  l'avait  frappé,  et  inter- 
jeta appel  au  pape  et  au  futur  concile  général.  Mais  un 
ordre  du  roi  l'exila  à  l'abbaye  de  la  Chaise-Dieu,  en  Au- 
vergne, où  il  mourut  en  1740. 


22  Clairambaul  t-AIaurepas. 

D'injustice  et  d'iniquité 

Vous  tyrannise  ; 
Résistez  avec  fermeté 

Et  défendez  l'Église  *. 


L'EGLISE  ROMAINE* 


Après  que  l'Église  romaine 

Se  vit  maîtresse  souveraine  ' 

De  la  demeure  des  Césars, 
Par  leur  aveuglement  pour  ses  fourbes  sacrées 
Elle  crut  ajouter  à  ses  riches  contrées 
Tout  ce  qu'ils  possédaient  par  le  secours  de  Mars. 

1 .  Les  jansénistes  ne  manquèrent  pas  de  suivre  ce  con- 
seil ;  il  parut  un  mémoire  suivi  d'une  liste  de  plus  de 
neuf  cents  personnes,  adhérant  à  la  cause  de  Soanen; 
douze  évéques  écrivirent  au  roi  en  sa  faveur  ;  le  cardinal 
de  Noailles,  lui-même,  forma  opposition  aux  actes  du 
concile,  et  adressa  des  remontrances  au  roi.  Mais  toutes 
ces  protestations  se  heurtèrent  contre  l'inflexible  volonté 
de  Fleury,  le  principal  auteur  de  la  condamnation  de 
Soanen. 

2.  D'après  l'avocat  Barbier  cette  pièce  serait  de  Voltaire. 
Marais  est  d'un  avis  tout  différent,  «Il  paraît,  écrit-il, une 
ode  assez  poétique  qu'on  attribue  à  Voltaire,  mais  elle 
n'est  pas  de  lui,  et  je  ne  crois  pas  que  dans  l'état  patient 
où  il  est,  il  voulût  attaquer  la  société  et'le  ministre.  » 
Mais  les  annotations  de  tous  les  J^ec.  mss.  confirment  l'as- 
sertion de  Barbier. 


Année    i'j2'j.  123 


Alors  en  luxe  monarchique 

De  l'indigence  apostolique 

On  vit  l'énorme  changement; 
Et  foulant  à  ses  pieds  tous  les  rois  de  la  terre 
On  vit  les  cheveux  blancs  du  successeur  de  Pierre 
D'une  triple  couronne  emprunter  l'ornement. 

Soudain  sa  cour  fut  décorée 
D'une  vaine  pourpre,  ignorée 
Des  premiers  disciples  du  Christ; 
Et  ceux  qui  jusqu'alors  avaient  été  ses  frères 
Eurent  la  lâcheté  d'être  ses  tributaires 
Par  l'appât  décevant  que  Rome  leur  offrit. 

La  seule  église  gallicane 
De  ce  rang  honteux  et  profane 
Défendit  toujours  ses  autels  : 
Et  l'inutilité  des  foudres  ridicules 
Que  lancèrent  contre  elle  un  Boniface,  un  Jules  ^ 
Fit  voir  leur  imposture  au  reste  des  mortels. 

Le  Parlement  et  la  Sorbonne 
Furent  une  double  colonne 
Pour  la  mère  des  vrais  chrétiens; 
Que  de  doutes  levés  par  ces  vivants  oracles  ! 
Combien  le  Vatican,  jaloux  de  ses  miracles, 
Vit-il  leurs  jugements  mieux  reçus  que  les  siens  ! 

I.  Boniface  VIII,  célèbre  par  ses  démêlés  avec  Philippe 
le  Bel,  et  Jules  II  qui,  sous  Louis  XII,  mit  la  France  en 
interdit. 


124  Clairambault-AIaurepas. 

C'est  alors  qu'écumant  de  rage 

Le  roi  de  l'infernal  rivage 

Fit  éclater  son  désespoir. 
Quoi  !  dit-il,  l'hérésie  est  partout  triomphante  ! 
Rome  de  ce  poison  n'est  même  pas  exempte, 
Et  dans  la  seule  France  on  brave  mon  pouvoir. 

Je  veux,  pour  punir  ce  grand  zèle, 
Emprunter  des  armes  contre  elle 
Chez  ses  plus  cruels  ennemis. 
Et  qu'aux  enfers  armés,  le  sein  de  l'Ibérie 
Prête  le  seul  fléau  vengeur  de  sa  patrie 
Par  qui  je  puis  ternir  la  pureté  des  lys. 

Il  dit  et,  plus  prompt  à  la  vue 
Que  l'éclair  qui  part  de  la  nue. 
Il  franchit  ces  monts  sourcilleux 
Oui  de  deux  grands  Etats  réciproques  frontières 
Semblent  pour  mettre  entre  eux  d'éternelles  barrières, 
Elever  jusqu'au  ciel  leurs  sommets  orgueilleux. 

Bientôt  il  aperçoit  Ignace 
Qui  d'un  Maure  suivait  la  trace 
A  travers  les  monts  et  les  bois; 
De  la  mère  de  Dieu  chevalier  chimérique 
Contre  le  mécréant  sa  valeur  fanatique 
Veut  par  un  coup  de  lance  en  soutenir  les  droits. 

L'habile  tyran  du  Cocyte, 
Arrêtant  sa  vaine  poursuite, 


Année    IJ2J.  125 


Lui  promet  de  plus  grands  exploits; 
Et  pour  le  couronner  d'une  gloire  immortelle 
Il  lui  dicte  le  plan  d'une  secte  nouvelle 
Qui  doit  marcher  un  jour  sur  la  tête  des  rois. 

L'effet  répond  à  la  promesse; 
Des  disciples  de  toute  espèce 
Viennent  se  ranger  sous  sa  loi. 
De  la  terre  bientôt  ils  couvrent  la  surface 
Et  leurs  dogmes  nouveaux  au  sujet  de  la  grâce 
Corrigent  l'Evangile  et  réforment  la  foi. 

Les  lys  ennemis  des  impies 
Crurent  terrasser  ces  harpies 
Par  des  jugements  rigoureux  : 
Mais  nos  rois  dont  bientôt  ils  se  rendent  les  maîtres, 
Loin  de  venger  sur  eux  le  sang  de  leurs  ancêtres, 
Du  soin  de  leur  salut  se  reposent  sur  eux. 

La  foi  commence  à  disparaître, 
L'exemple  du  souverain  maître 
Entraîne  bientôt  tous  les  cœurs  : 
Et  c'est  par  le  canal  de  ces  nouveaux  arbitres 
Qu'on  voit  les  dignités,  les  honneurs  et  les  titres 
N'être  plus  dispensés  qu'à  leurs  adulateurs. 

D'Augustin  traité  d'anathème, 
De  l'apôtre  des  Gentils  même. 
Ils  condamnent  les  saints  écrits; 
Et  du  siège  de  Rome  une  bulle  émanée 

V.  II. 


126  C lairamhault-  Al  aurepas. 

Traitant  l'amour  de  Dieu  de  vaine  et  d'erronée, 
De  ce  premier  précepte  affranchit  les  esprits. 

Xos  prélats  lâches  et  perfides 

De  la  pourpre  romaine  avides 

Reçoivent  ce  dogme  inconnu, 

Et  le  seul  Molina,  docteur  de  l'Evangile, 

Ouvre  un  chemin  au  ciel  plus  court  et  plus  facile 

Que  celui  qu'au  vieux  temps  nos  pères  ont  tenu. 

Quatre  seuls  pasteurs  dans  la  France 
De  ce  venin  par  leur  constance 
Avaient  garanti  leurs  troupeaux. 
Mais  la  société  ne  veut  point  qu'on  la  brave 
Lafitau  son  élève,  et  Tencin  son  esclave, 
Juges  de  ces  martyrs,  vont  être  leurs  bourreaux. 

Je  vois  un  vieillard  vénérable 

De  la  cabale  impitoyable 

Subir  les  arrêts  inhumains  ^. 
Et  par  un  jugement  qui  flétrit  sa  mémoire 
Emporter  dans  l'exil  le  renom  et  la  gloire 
D'être  mieux  que  Brutus  le  dernier  des  Romains. 

Grand  Dieu,  c'est  toi  que  l'on  insulte; 
Les  ennemis  de  ton  vrai  culte 
N'en  veulent  pas  demeurer  là. 


I.  Allusion  à  Soanen,  condamné  par  le  concile  d'Embrun, 
à  l'occasion  duquel  fut  composée  cette  ode. 


Année    l'J2'J.  12"/ 


Tu  ne  peux  rétablir  ton  pouvoir  sur  la  terre 
Qu'en  les  précipitant  par  un  coup  de  tonnerre 
Dans  le  fond  du  Tartare  aux  pieds  de  Loyola. 

Oint  du  Seigneur,  jeune  monarque 
Que  des  embûches  de  la  Parque 
Sa  main  a  sauvé  tant  de  fois  ; 
Si  tu  veux  prévenir  des  effets  plus  sinistres, 
Ne  mets  plus  désormais  au  rang  de  tes  ministres 
Ceux  qui  sont  plus  soumis  à  Rome  qu'à  leurs  rois. 


LE   COCHE 


Jadis  était  un  coche  bien  monté 
Qui,  franchissant  le  sommet  du  Parnasse, 
Vous  menait  droit  à  l'immortalité. 
Quarante  en  tout  y  pouvaient  avoir  place, 


I. Cette  pièce  allégorique  est  du  poète  Roy, «Il compare 
l'Académie  à  un  coc/ie  dont  Momus  a  pris  le  bail  ;  Momus 
mène  le  coche  comme  un  fou,  il  verse  et  on  ramasse  le 
corbillard  et  le  panier  ;  il  y  a  des  portraits  satiriques  et 
trop  satiriques.  On  y  parle  d'un  habit  de  vieux  velours 
tanné  donné  par  une  sibylle,  au  vieux  syndic  des  bourgeois 
de  Cythere,  et  cette  sibylle  est  M"*  de  Tencin,  et  non  la 
marquise  de  Lambert,  comme  on  l'a  marqué  à  la  marge.  » 
[Corresp,  de  Marais.) 


128  C  l  air  amb  ault-Maurepas. 

Mais  à  quel  prix?  Chacun  payait  pour  soi 
En  bonne  espèce,  en  rime  bien  sonnante, 
Prose  de  poids,  pièce  de  bon  aloi, 
Le  tout  suivant  la  taxe  et  la  patente 
Du  dieu  Phébus  qui  jusqu'aux  derniers  temps 
Sans  embourber,  sans  mauvaise  aventure, 
Sut  équiper  et  mener  la  voiture. 
En  est-il  las?  des  soins  plus  importants 
L'occupent-ils  ?  ou  les  dieux  par  malice 
Ont-ils  commis  Momus  à  l'exercice? 
Quoi  qu'il  en  soit,  Momus  a  pris  le  bail 
Et  s'est  chargé  de  tout  cet  attirail. 
Le  nouveau  maître  établit  lois  bizarres. 
Fait  bon  marché  des  places,  prend  des  arrhes 
De  tous  venants,  pâlots  et  tonsurés 
Et  gros  commis,  et  robins  désœuvrés, 
Et  les  amis  de  leurs  amis  encore, 
"     Même  histrions,  tout  est  bon,  tout  l'honore. 
Qu'apportent-ils  ?  des  pièces  de  billon , 
Nulle  monnaie  au  vrai  coin  d'Apollon , 
Crédit  aux  uns,  aux  autres  pleine  grâce. 
Le  corbillard  est-il  plein  ?  il  entasse 
Dans  le  panier  leurs  apprentis  rimeurs, 
Petits  goujats,  timbrés  de  leurs  couleurs, 
Auteurs  forains,  avec  l'espoir  très  proche 
D'être  à  leur  tour  introduits  dans  le  coche. 
Les  voilà  donc  en  route  avec  ballots, 
Et  leur  bon  guide  agitant  les  grelots 
De  sa  marotte.  On  roule  ;  mais  leur  joie 
Ne  dure  guère,  et  dès  le  premier  pas 


Année    Ij2j.  i2^ 


Le  vrai  chemin  se  perd  ou  se  fourvoie. 
On  suit  sentier  qu'Apollon  ne  prit  pas; 
Entre  rochers  l'on  marche,  l'on  tournoie. 
Au  premier  choc  l'essieu  vole  en  éclats, 
La  masse  plie  ,  et  nos  gens  sont  à  bas. 
Qui  me  rendra  tous  les  cris  lamentables 
Les  jurements  de  ce  peuple  embourbé 
Sous  son  Homère,  et  son  livre  de  Fables, 
Bagage  lourd,  Houdart  ^  a  succombé. 
A  l'aide,  à  moi  !  criait  le  bon  aveugle. 
Le  commis  borgne  ^  à  ses  oreilles  beugle; 
Maudit  le  jour  qu'il  quitta  son  comptoir 
Pour  s'embarquer  dans  l'ambulant  manoir  ! 
Le  vieux  syndic  des  bourgeois  de  Cj'thère  -^ 
S'évertuant  pour  sortir  de  l'ornière. 
Pleure  un  habit  de  vieux  velours  tanné 
Qu'une  sibylle  "^  au  cancre  avait  donné. 
Eh  !  dégagez  l'esprit  de  la  matière. 
Disait  un  autre  ^  ;  à  ce  style  inconnu 


1.  Houdart  de  la  Motte.  (M.) 

2.  M.  Mallet,  commis  de  M.  Desmarets.  Çsl.) 

3.  Fontenelle. 

4.  M'"'^  de  Lambert.  (M.)  —  L'on  a  vu  ci-dessus  que  Ma- 
rais conteste  l'exactitude  de  cette  application,  et  c'est  avec 
raison  qu'il  indique  M"**^  de  Tencin,  puisqu'elle  envoyait, 
au  nouvel  an,  deux  aunes  de  velours  à  tous  les  gens  de 
lettres  admis  dans  sa  société. 

5.  Houteville  (M.)  —  François  Houteville,  littérateur 
français  (1686-1742),  avait  quitté  la  congrégation  de  l'Ora- 
toire pour  devenir  secrétaire  du  cardinal  Dubois  dont  la 
protection  le  fit  entrer  à  l'Académie.  Il  en  fut  nommé 
secrétaire  perpétuel  en   1752.   D'après   Marais  «  on  ne  le 


I-20  Clairamh  ault-AîaUi 


epas. 


Qui  n'était  pas  entendu  du  vulgaire, 
A  son  secours,  hélas  !  qui  fût  venu  ? 
Certain  farceur  ^  voulut  faire  l'ingambe  : 
Les  brodequins  lui  blessèrent  la  jambe. 
C'est  cet  acteur  chez  les  Suisses  prôné 
Et  de  la  farce  encore  enfariné. 
Vous  êtes  là,  petit  pharmacopole  -  ; 
Chez  votre  père  aviez  pris  une  fiole 
Qui  se  cassant  vous  effleura  la  peau, 
Mais  avez- vous  besoin  d'être  si  beau  ^  ? 
L'affaire  est  faite,  oubliez  le  service 
Et  retournez  à  votre  bénéfice*. 
Détaillerai-je  ici  par  le  menu 

croyait  pas  sujet  académique,  depuis  son  livre  de  la  J^e/t- 
gion  prouvée  par  les  faits,  dont  le  stj'le  est  de  mauvais  goût, 
et  d'un  véritable  précieux.  » 

1.  Cardinal  dit  Destouches,  qui  a  été  comédien  en 
Suisse,  où  il  fut  ensuite  secrétaire  de  M.  de  Puysieux, 
ambassadeur  de  France.  (M.) 

2.  L'abbé  Alary,  fils  d'un  apothicaire.  (M.)  —  Pierre 
Joseph  Alary,  littérateur  français,  membre  de  lAcadémie 
(1689-1770),  avait  été  employé,  sous  la  direction  de  Fleury, 
à  l'éducation  de  Louis  XV.  C'est  chez  lui  que  se  réunit 
pendant  quelque  temps  la  société  politique  connue  sous  le 

nom  de  Club  de  l'entresol^  dont  le  marquis  dArgenson,  l'un 
des  membres,  a  dit  que  «c'était  un  café  d'honnêtes  gens»- 

3.  Le  trait  est  malin  ;  aussi  le  poète  a-t-il  été  exilé  à 
Tours  par  les  intrigues  dès  parties  intéressées,  (M.)  -- 
«  Roy  a  été  arrêté,  mis  à  Saint-Lazare  pendant  quelques 
jours,  puis  à  la  prière  de  sa  famille,  on  l'a  exilé  à  cinquante 
lieues  d'ici,  où  il  va  faire  des  Tristes  et  des  Élégies  qui  ne 
ressembleront  point  à  celles  d'Ovide.  Voilà  bien  du  monde 
vengé,  et    l'Académie   honoraire.  »   {Corresp.  de  Marais.) 

4.  Le  prieuré  de  Gournaj^-sur-Marne,  dont  il  était  titu- 
laire. 


Année    i'J2j. 


De  chacun  d'eux  les  bosses,  les  blessures, 
Tel  que  Virgile  étale  en  ses  peintures 
Les  coups  portés  aux  soldats  de  Turnus? 
Mon  cher  lecteur,  à  tes  yeux  je  dérobe 
Masques  plus  laids  que  n'était  Deïphobe  ; 
Mais  que  fait-on  de  messieurs  du  panier? 
On  les  entend  leurs  maîtres  renier. 
Jurez,  leur  dit  Momus,  cela  console; 
Puis  en  sifflant  dans  les  airs  il  s'envole. 


LES    REGRETS 
DE   MADAME   DE   PRIE^ 


Du  noir  Styx  j'ai  passé  l'onde, 
Il  n'est  plus  d'espoir  de  retour, 
Mon  exil  est  dans  l'autre  monde. 
Je  ne  reverrai  plus  le  jour. 
En  esclave  de  la  fortune, 
Malgré  sa  lenteur  importune, 

I.  Prosopopée  sur  la  mort  de  la  marquise  de  Prie.  (M.) 
Le  7  octobre  1727,  elle  s'empoisonna  à  Courbépine,  près 
Bernay,  où  elle  était  exilée.  Il  faut  croire  aussi,  comme  le 
dit  spirituellement  l'abbé  Legendre,  «  qu'elle  creva  de  dépit 
et  de  rage  de  se  voir  dame  à  poulets  d'Inde,  après  avoir 
régné  trois  ans.  » 


i:î2 


Clairambault-jMaureva. 


Je  la  forçai  de  m'obéir. 
Hélas  !  que  j'étais  malheureuse 
D'être  à  ses  yeux  officieuse, 
Sous  le  vain  espoir  d'en  jouir  ! 

Que  l'on  est  fortuné  lorsque  l'on  s'en  délivre  ! 
Qui  n'a  pas  le  temps  de  bien  vivre 

Trouve  mal  aisément  celui  de  bien  mourir. 
J'étais  dans  cette  erreur  mortelle, 
Quand  la  faveur  me  parut  belle. 

Jamais  un  temps  si  court  ne  fit  un  sort  si  beau. 

Jamais  fortune  aussi  ne  fut  si  tôt  détruite. 
Ah  !  que  la  distance  est  petite 

Du  faîte  des  grandeurs  à  l'horreur  du  tombeau  ^. 


I.    Les  quatre  derniers  vers  ont  été  empruntés  à  une 
épitaphe  de  M"*^  de  Fontanges. 


ANNÉE    172 


LA   CONSULTATION 
DES  AVOCATS  DE  PARIS  ^ 

Du  fameux  concile  d'Embrun 
Que  faut-il  que  l'on  pense  ? 

Tous  les  évêques  en  commun 
En  ont  pris  la  défense. 

I.  Au  mois  de  juillet  1727,  lorsqu'il  fut  question  d'un 
concile  provincial  auquel  devait  être  déférée  V Instruction 
pastorale  de  Soanen,  vingt  avocats  de  Paris  signèrent  une 
consultation  qui  reconnaissait  à  l'évêque  de  Senez  le 
droit  de  récuser  les  évêques  nommés  pour  le  juger.  Après 
le  concile,  cinquante  avocats  rédigèrent  une  nouvelle 
consultation  qui  fut  rendue  publique  en  janvier  1728, 
malgré  les  efforts  du  lieutenant  de  police  Hérault,  pour 
en  empêcher  l'impression.  «  C'est  un  bel  ouvrage,  disait 
Barbier  ;  il  prouve  l'incompétence  du  concile  d'Embrun 
dans  la  forme,  la  nécessité  d'un  concile  général  ;  mais  il 
entre  aussi  dans  la  matière,  au  sujet  de  la  constitution  de 
la  paix  de  Clément  IX,  du  formulaire  d'Alexandre  VII, 
au  sujet  du  livre  de  Jansénius  et  des  cinq  propositions 
condaijtnées.  Il  attaque  le  pape,  les  évêques  d'à  présent, 
déchire  M.   l'archevêque  d'Embrun,  président  du  concile, 


134  Clairambault-Maurepas. 

Mais  c'est  bien  affaire  aux  prélats. 

Ecoutons  plutôt  sur  cela 
Les  avocats,  les  avocats, 
Les  avocats  de  France  ^. 

Jadis,  pour  affermir  la  foi, 
Les  Pères  en  concile, 

Du  Saint-Esprit  prenant  la  loi, 
Consultaient  l'Evangile. 

Ce  n'est  plus  la  bonne  façon  ; 

L'Esprit  saint  doit  prendre  leçon 
Des  avocats  de  France. 

Quand  d'un  fatal  schisme  autrefois 

L'église  menacée, 
Par  le  concours  de  trois  cents  voix 

Combattait  à  Xicée  -, 


au  sujet  d'un  procès  qu'il  a  eu  pour  un  bénéfice...  C'est 
encore  une  fois  un  bel  ouvrage,  où  les  principes  pour  les 
lois  de  l'Etat  et  les  libertés  de  l'Eglise  gallicane  sont  bien 
établis;  mais  il  est  visible  que  c'est  moins  une  consultation 
qu'un  libelle  fait  volontairement  par  ces  avocats,  par  cha- 
leur de  parti.  » 

1.  «  On  a  fait  sur  MM.  les  avocats  qui  ont  signé  (on 
n'en  comptait  que  trente  au  lieu  de  cinquante)  une  chan- 
son assez  jolie  pour  se  moquer  d'eux,  de  ce  qu'ils  parlent 
du  dogme,  »  remarque  Barbier  en  transcrivant  cette  pièce 
dans  son  journal.  Le  P.  du  Cerceau  en  était  probable- 
ment l'auteur. 

2.  Le  premier  concile  œcuménique  de  Nicée  (an  325), 
auquel  assistèrent  plus  de  trois  cents  évêques,  fut  convo- 
qué pour  condamner  l'hérésie  d'Arius  et  rédigea  le  Sym- 
bole qui  porte  son  nom. 


Année    1^28,  135 


Pour  terminer  tous  leurs  débats, 
Que  ne  fit-on  juger  le  cas 
Aux  avocats  de  France? 

Que  de  troubles  ne  vit-on  pas 

Au  concile  d'Ephèse  ! 
Il  fallut  livrer  cent  combats 

Pour  proscrire  une  thèse. 
Mais  fallait-il  tant  de  fracas  ! 
Pourquoi  ne  consultait-on  pas 

Les  avocats  de  France  ? 

Des  conciles  dans  tous  les  temps 
On  sait  assez  les  formes; 

Leurs  canons  et  leurs  règlements 
Font  des  livres  énormes. 

Mais  qu'a-t'on  besoin  de  canons, 

Pour  moi,  je  m'en  tiens  aux  factums 
Des  avocats  de  France. 

Peut-on,  sans  le  Code  et  la  Loi, 

Condamner  une  secte  ? 
Juge-t'on  d'un  dogme  de  foi 

Sans  lire  les  Pandectes? 
Ah  !  réprimons  ces  attentats  ; 
Mais  j'en  appelle  avec  Cujas 
Aux  avocats  de  France. 

Saint  Augustin  et  Saint  Thomas 
Ont  dit  de  bonnes  choses  ; 


136  Clairambault-AIaurepas. 

Mais  c'est  au  corps  des  avocats 

A  leur  prêter  ses  gloses. 
Honneur  aux  docteurs,  aux  prélats  ! 
Mais  qu'on  ne  les  compare  pas 
Aux  avocats  de  France. 

Du  troupeau  soyez  les  pasteurs, 
Dit  Jésus  aux  apôtres  ; 

Mais  vous  n'êtes  pas  seuls  docteurs, 
Mon  Église  en  a  d'autres. 
Ne  liez  et  ne  déliez 

Qu'avant  vous  ne  consultiez 
Les  avocats  de  France. 

Les  avocats  italiens. 
Du  Nord  et  d'Allemagne 
Ne  sont  pas  théologiens, 
Non  plus  que  ceux  d'Espagne. 
Ils  croient  aux  dogmes  de  foi, 
Mais,  d'en  décider  c'est  l'emploi 
Des  avocats  de  France. 

Grands  avocats,  zélés  docteurs 
De  l'Eglise  nouvelle. 

Des  conciles  vrais  directeurs, 
Assurez  votre  zèle  ; 

En  paradis,  n'en  doutez  pas. 

Saint  Pierre  vous  tend  les  bras, 
Grands  avocats  de  France. 


Année    I/2S.  137 


Avec  de  si  fidèles  chiens 

Troupeau,  soyez  tranquille  ; 

Ils  mordent  même  vos  gardiens 
Dans  l'excès  de  leur  bile. 

Dieu  sait  comment  fuiront  les  loups 

Entendant  aboyer  pour  vous 
Les  avocats  de  France, 

Ne  prenez  point  ceci  pour  vous, 

Avocats  que  j'estime, 
De  vous  confondre  avec  des  fous 

Je  me  ferais  un  crime. 
Je  ne  connais  que  les  Aubrys  ^ 
Et  trente  avocats  de  Paris 
Pour  avocats,  pour  avocats, 
Pour  avocats  de  France. 


I.  «  C'est  Aubry,  grand  avocat  plaidant,  âgé  de  qua- 
rante-deux ou  trois  ans,  qui  a  fait  et  rédigé  la  consultation. 
M.  l'évêque  de  Senez  lui  a  envoyé,  en  conséquence,  les 
conciles  du  P.  Labbe,  en  dix-neuf  volumes,  ce  qui  vaut 
bien  sept  à  huit  cents  livres.  L'on  conçoit  qu'il  a  eu  des 
mémoires  sur  le  dogme  et  les  faits  particuliers  par  les  plus 
zélés  jansénistes.  »  [Joiirn.  de  Barbier ?j 


^8  Clair  amb  ault-Aîaurepas, 


REMERCIMENT   DES   JANSENISTES 


AVOCATS   DE   PARIS  ^ 


Chantons,  chantons  des  avocats 

La  gloire  non  pareille, 
Contre  nos  seigneurs  les  prélats, 

Leur  plume  fait  merveille. 
En  vain  Rome  dans  son  courroux 

Proscrit  notre  Evangile, 
Trente  avocats  sont  plus  pour  nous 

Qu'un  pape  et  qu'un  concile. 

Nous  avons  des  prélats,  des  rois 

Balancé  la  puissance  ; 
Mais  trente  avocats  par  leur  poids 

Font  pencher  la  balance. 
Partout,  quoiqu'on  lève  le  bras 

Pour  nous  réduire  en  poudre, 
Il  ne  faut  que  trente  avocats 

Pour  écarter  la  foudre. 

I,  Par  le  P.  du  Cerceau,  (M.)  —  Le  nom  de  l'auteur 
suffit  pour  indiquer  le  caractère  de  la  pièce  ;  comme  la 
précédente,  c'est  une  raillerie  fine  et  judicieuse  de  la  con- 
sultation des  avocats. 


Année    i'j28.  139 


Qu'on  n'écoute  donc  plus  sans  choix 

Des  pasteurs  le  suffrage, 
Un  factum  sur  toutes  leurs  voix 

Remporte  l'avantage. 
Esprit  saint,  malgré  ton  pouvoir, 

Ta  sentence  est  informe. 
S'il  plaît  aux  avocats  d'y  voir 

Un  défaut  dans  la  forme. 

Colbert  et  Caylus,  à  présent, 

Vous  n'avez  qu'à  vous  taire  ; 
Sans  vous  nous  pouvons  sûrement 

Nous  bien  tirer  d'affaire. 
Vous  avez  en  braves  soldats 

Commencé  la  défaite. 
Mais  il  fallait  trente  avocats 

Pour  la  rendre  complète. 

Vos  savantes  instructions 
Ne  sont  plus  à  la  mode. 

On  va  dans  les  décisions 

Suivre  une  autre  méthode. 

Il  ne  faut  dans  tous  les  Etats 
Pour  prévenir  le  schisme, 

Que  faire  par  trente  avocats 
Signer  un  catéchisme. 


Sur  ce  modèle  apparemment. 
Au  ciel  comme  sur  terre, 
On  aura  fait  un  changement 


140  Cla  irambaul t-Alaurepas. 

A  l'égard  de  Saint  Pierre  ; 
Quand  nos  élus  arriveront, 

S'il  leur  ferme  la  porte, 
Trente  avocats  s'y  trouveront 

Pour  leur  prêter  main-forte. 

Admirons  la  simplicité 

Des  anciens  hérétiques; 
Que  leur  en  aurait-il  coûté 

Pour  être  catholiques  ? 
Bonnes  gens,  ne  pouviez-vous  pas, 

Sans  autre  procédure. 
Citer  pour  vous  des  avocats 

Au  lieu  de  l'Ecriture? 

Poursuivez  donc  vos  ennemis, 

Arbitres  de  l'Église, 
Aujourd'hui  tout  vous  est  permis  ; 

Et,  quoi  que  l'on  en  dise, 
Comme  Normand  ^,  en  plein  Sénat, 

Bernez  le  premier  ordre, 
Et  faites  voir  qu'un  avocat 

Sait  aboyer  et  mordre. 

Des  frères  tailleurs,  des  nonnains 

Et  des  maîtres  d'école. 
Même  à  leur  tour  des  médecins 

Ont  bien  joué  leur  rôle  ; 

I.  L'un  des  avocats  qui  avaient  signé  la  consultation. 


Année    1^28.  141 


Mais  au  public  ne  voulant  pas 
Laisser  reprendre  haleine, 

Nous  députons  trente  avocats 
Pour  amuser  la  scène. 


PORTRAIT 


M.  BOUYN   D'ANGERVILLIERS 


Nous  avons  dans  le  ministère^ 
Un  homme  savant  dans  la  guerre, 
C'est  le  brutal  d'Angervilliers  ; 
Il  brouillera  toute  la  France, 
Et  l'on  verra  Le  Pelletier 
Rafler  avec  soin  la  finance. 

Mais,  Dieu  !  que  vois-je  ?  l'invalide. 
Dans  le  désespoir  qui  le  guide, 

I.  «  M.  Le  Blanc  mourut  en  1728.  M.  d'Angervilliers, 
intendant  de  Paris,  et  qui  l'avait  été  longtemps  de  la 
province  d'Alsace,  prit  sa  place.  M.  d'Angervilliers,  fils  ou 
petit-fils  d'un  fameux  partisan  qui  vivait  sous  le  minis- 
tère de  M.  Colbert,  descendu  lui-même  d'un  médecin  et 
botaniste  célèbre,  a  des  talents,  de  l'esprit,  des  défauts  et 
surtout  des  ridicules.  »  {Mém.  du  marquis  d'Argenson.) 


[42  Clair  amhault-AIaurepas. 

Suivre  Le  Blanc  jusqu'au  tombeau  ^, 
Pleurer  ce  maître  doux  et  sage, 
Et  leur  digne  et  nouveau  bourreau 
Frémir  de  l'excès  de  leur  rage. 

Braves  héros,  fils  de  Bellone, 
Que  la  crainte  ne  vous  étonne; 
Animés  d'une  juste  ardeur 
Pour  vous  rendre  le  ciel  propice, 
Plongeant  un  couteau  dans  son  cœur. 
Offrez  au  mort  un  sacrifice. 


On  peut  bien,  sans  être  indiscret, 
Tracer  à  vos  yeux  le  portrait 
D'un  ministre  dont  l'indécence 
Compose  un  fat  assez  complet. 
Son  sourire  est  une  faveur; 
Quand,  d'un  air  bourgeois  et  moqueur, 
Il  vous  dit  une  impertinence, 
Il  croit  vous  faire  honneur. 

Dans  son  métier  fort  ignorant, 
Comme  dans  l'art  de  courtisan, 
On  le  voit  superbe  ou  rampant. 
Et  toujours  fort  mauvais  plaisant. 


I.  Le  Blanc  mourut  le  19  mai,   «  fort    regretté  de  tout 
le  monde,  »  dit  Barbier. 


Année   1^28.  143 


Quoiqu'à  l'âge  de  soixante  ans 
Il  courût  la  brune  et  la  blonde, 

Malgré  son  poil  roux  et  blanc, 
Il  voulait  subjuguer  le  monde. 

Mais  pour  le  présent 
Villars  ^  fixe  cet  inconstant. 
On  peut  bien,  sans  être  indiscret, 
Tracer  à  vos  yeux  le  portrait 
D'un  ministre  dont  l'indécence 
Compose  un  fat  assez  complet. 


LE   CHAT   DE   PETITPIED 

Tapin^,  toi  qui  comme  un  vautour 

Fonds  sur  les  jansénistes, 
En  vain  tu  devances  le  jour. 

Pour  en  suivre  les  pistes  ; 
Petitpied,  sur  ton  compliment, 

Déloge  sans  trompette 
Et  te  laisse  très  poliment 

Son  chat  pour  amusette. 

1.  La  maréchale  de  Villars. 

2.  Tapin,  exempt  de  police,  s'était  chargé  d'arrêter 
l'abbé  Petitpied,  grand  janséniste,  lequel  en  eut  avis.  Il 
quitta  sa  chambre  et  y  laissa  son  chat  qui  jouait  avec  du 
papier  lorsque  l'exempt  écoutait  à  la  porte  et  croyait  que 
c'était  l'abbé.  (M.) 


144  Clairambaul  t-AIaurepas. 

Ce  rossignol  toujours  caché 

De  crainte  du  grillage, 
Au  molinisme  très  fâché 

Échappe  de  la  cage*, 
Pouvant  user  plus  prudemment 

Son  caustique  langage  ; 
Ainsi,  jésuites,  à  présent, 

Craignez-en  le  ramage. 


Le  chat  de  Petitpied  -  doit  avoir  une  place 

Dans  l'Histoire  des  chats  ^  qu'on  vient  de  mettre  au  jour  ; 

Rien  ne  peut  mieux  prouver  qu'il  sort  de  bonne  race 

Que  d'avoir  à  Tapin  joué  le  plaisant  tour, 

Qui  lui  fait,  s'amusant  d'un  joli  badinage, 

Échapper  cet  oiseau  dont  on  craint  le  ramage. 

1.  «  On  parle  d'une  estampe  où  est  une  cage,  au  haut  de 
laquelle  il  y  a  un  trou  d'où  sort  un  petit  oiseau,  et  au  bas 
un  chat  avec  un  homme  représentant  AI.  Hérault,  et  avec 
cette  inscription  :  Les  petits  pieds  ne  so7it  pas  pour  vous.  » 
{Corresp.  de  Marais.) 

2.  Ce  jeune  chat  appartient  à  M.  de  Chatigny,  qui 
demeure  dans  la  même  maison  que  M.  Petitpied.  (M.) 

3.  Paradis  de  Montcrif  avait  publié  son  Histoire  des 
chats,  en  1727. 


Année    1^28.  145 


LES   TALENTS 
DU    CARDINAL  FLEURY^ 


Un  envieux  m'avait  mis  en  malaise, 

En  m'ayant  exilé 
De  mon  réduit,  trop  heureux  et  trop  aise. 

L^n  roi  m'a  rappelé, 
Et  j'ai  chassé  qui  m'a  donné  la  chasse; 
Car  j'ai  pris  sa  place, 

Moi. 
Car  j'ai  pris  sa  place. 

I.  Il  est  intéressant  de  transcrire  en  regard  de  ce  por- 
trait railleur  quelques  traits  de  celui  que  nous  a  laissé  un 
contemporain  judicieux,  le  marquis  d'Argenson,  que  l'on 
taxera  peut-être  d'indulgence  dans  ses  appréciations.  «Nous 
avons  en  France,  dit-il,  un  premier  ministre  qui  possède  une 
partie  des  vertus  de  AL  de  Sully.  Ses  principales  qualités 
paraissent  cependant  n'être  que  dans  un  degré  inférieur  ; 
mais  peut-être  cette  différence  est  elle  uniquement  due  à 
celle  de  leur  état  et  des  circonstances  dans   lesquelles   ils 

se  sont  trouvés On  lui   refuse   un  vaste  génie  ;  mais 

nous  sommes  dans  un  temps  où  l'on  peut  se  passer  de  ceux 
de  cette  trempe.  Du  moins  ne  peut-on  lui  refuser  l'esprit 
aimable,  un  grand  usage  du  monde  et  de  la  cour,  de 
l'aménité,  de  la  politesse,  même  une  galanterie  décente  et 
qui  ne  contrarie  aucun  des  caractères  graves  dont  il  est 
revêtu.  Ses  qualités  ministérielles  sont  la  justesse  d'esprit^ 
la  solidité  dans  les  vues  et  les  intentions,  la  franchise  et 
la  bonne  foi  vis-à-vis  des  étrangers,  une  politique  assez 
V.  ij 


146  Clairamhault'Maurepas. 

En  me  biglant,  il  me  fit  la  grimace 

Lorsqu'il  me  renvoya; 
Mais  d'un  air  gai  je  lui  ris  avec  grâce 

Lorsqu'on  me  rappela. 
En  fin  renard  j'ai  su  lui  faire  nique; 
Je  suis  politique. 

Loin  de  la  cour  j'ai  su  bannir  le  crime 

En  chassant  les  p 

Par  ce  grand  coup,  j'ai  mérité  l'estime 

Des  doux  et  des  mutins. 
Comme  jadis  une  habile  Éminence, 
Je  conduis  la  France. 

Sans  consulter  ni  blonde  ni  brunette, 

En  politique  fin, 
On  m'a  doué  d'une  noble  barrette  : 

Prédisant  un  Dauphin, 
Par  action,  par  jeûne  et  par  prière. 
J'aide  à  le  faire. 

Du  roi  Louis,  pour  détruire  les  craintes 
Qu'il  a  sur  ce  point-là, 

adroite,  mais  qui  n'est  point  traîtresse.  Il  sait  se  démêler 
des  pièges  que  lui  tendent  les  courtisans,  sans  user  de 
moyens  perfides  et  machiavelistes.il  a  soin  de  ne  hasarder 
aucune  dépense  mal  à  propos,  mais  surtout  de  ne  point 
mettre  la  nation  en  frais  pour  courir  après  des  idées  chi- 
mériques... Enfin  ce  ministre  me  semble  fait  pour  assurer 
le  bonheur  dont  nous  jouissons  sans  'l'altérer  ;  et  c'est  tout 
ce  que  nous  pouvons  désirer.  » 


Année    l'^28.  147 


Le  jour,  je  prie  et  les  saints  et  les  saintes; 

Et,  sans  demeurer  là, 
Comme  aux  grands  coups  la  nuit  est  fort  propice, 
J'offre  un  sacrifice. 

Je  fais  la  loi  aux  deux  bouts  de  la  terre 

Sous  le  nom  de  mon  roi. 
Les  potentats,  de  crainte  de  la  guerre, 

Viennent  m'offrir  leur  foi; 
On  ne  peut  craindre  un  accident  sinistre, 
Je  suis  bon  ministre. 

Si  le  congrès  ^  est  toujours  en  balance, 

C'est  que  je  le  veux  bien  : 
Les  envoyés  dictés  par  ma  prudence 

N'accordent  jamais  rien  : 
Sur  chaque  point  ils  proposent  un  doute, 
Et  l'on  m'y  redoute. 

Si  Richelieu,  ce  politique  habile. 

Ministre  des  François, 
Par  son  grand  cœur  se  rendit  tout  facile 

Et  fit  partout  des  lois; 
Dans  peu,  je  veux,  et  sans  m'en  faire  accroire, 
Surpasser  sa  gloire. 


I.  Le  congrès  réuni  à  Soissons  (juin  1728),  pour  régler 
les  difficultés  politiques  qui  existaient  entre  la  France, 
l'Angleterre,  la  Hollande,  l'Espagne  et  l'Autriche.  Fleury 
le  présidait  en  qualité  de  premier  plénipotentiaire. 


148  Clair  ambault- 31  au  repas. 

S'il  augmenta  le  pouvoir  de  ses  princes 

Jusqu'au  delà  du  Rhin; 
S'il  abaissa  des  mutines  provinces 

Le  pouvoir  souverain  ; 

Pour  coup  d'essai,  la  première  campagne, 

Je  bats  l'Allemagne. 

Les  Hollandais,  l'Allemand,  l'Angleterre, 

Verront  nos  étendards. 
Comme  en  trophée  au  milieu  de  la  terre. 

Plantés  de  toutes  parts; 
Et  l'on  dira,  au  nom  du  roi  de  France, 

Vive  l'Eminence  ! 

Je  laisserai  reposer  le  Saint-Père 

Et  les  bons  Mulsulmans; 
Car  je  craindrais  qu'ils  no3'assent  la  terre 

D'une  mer  de  croyants  ; 
L'un  croit  en  Dieu  et  l'autre  au  grand  prophète, 
Je  suis  de  leur  secte. 

Je  ne  mets  point  dans  aucune  dispute 

La  Constitution. 
J'agis  ainsi  pour  que  l'on  ne  m'impute 

Nulle  division. 
Si  l'on  me  croit  khalife  ou  bien  apôtre, 
Je  suis  l'un  et  l'autre. 

Moi, 
Je  suis  l'un  et  l'autre. 


Année    1128.  149 


LA   RÉTRACTATION 


CARDINAL  DE   NOAILLES 


Enfin  Xoaille  a  succombé  •  ! 
Dagon  est  maître  de  ses  armes; 
Le  chef  d'Israël  est  tombé, 
Pleurez,  mes  yeux,  fondez  en  larmes  : 
L'arche  sainte  et  ses  chérubins 
Est  au  pouvoir  des  Philistins. 

I.  On  lit  dans  le  Journal  historique  du  règne  de  Louis  XV  : 
«  Le  cardinal  de  Noailles  par  un  mandement  (du  il  octo- 
bre) accepte  la  constitution  Unigenitus,  condamne  le 
livre  des  Réflexions  morales,  et  les  cent-une  propositions 
qui  en  ont  été  extraites,  révoque  son  instmction  pastorale  du 
14  janvier  1719,  et  tout  ce  qui  a  été  publié  en  son  nom 
de  contraire  à  la  présente  acceptation.  Cette  rétractation 
du  cardinal  de  Noailles,  que  la  cour  de  Rome  et  le  minis- 
tère de  France  négociaient  depuis  longtemps,  ne  fut  pas 
universellement  applaudie  par  le  clergé  du  royaume.  Tous 
les  appelants  et  ceux  qui  l'étaient  dans  le  cœur,  la  désap- 
prouvèrent et  en  furent  consternés.  Les  acceptants,  au 
contraire,  en  triomphèrent.  »  L'indécision  antérieure  du 
cardinal  de  Noailles  et  cette  rétractation  par  laquelle  il 
donnait  un  démenti  à  sa  vie  passée,  s'expliquent  tout  natu- 
rellement si  l'on  tient  compte  de  l'influence  que  ses  deux 
nièces,  la  maréchale  de  Gramont  et  la  duchesse  de  La 
Vallière  avaient  depuis  longtemps  prise  sur  lui.  «  C'était 
entre  ces  deux  dames  à  qui  s'emparerait  du  bonhomme, 
nous  dit  l'abbé  Legendre,  et  selon  qu'il  était  subjugué  par 
V.  J3- 


IÇO  Clairamhault-AIaurepas 

Déserteur  du  camp  des  Hébreux, 
Couët  ^,  infâme  Amalécite, 
As-tu  bien  osé,  malheureux, 
Tromper  ce  grand  Israélite, 
Et  par  un  éternel  affront 
Flétrir  les  lauriers  de  son  front  ? 

Tu  n'as  cessé  de  tourmenter 

Ce  vieillard  faible  et  sans  mémoire-, 

Pour  le  forcer  à  rétracter 

Ce  qui  l'avait  comblé  de  gloire  ; 

Ainsi  ce  qu'il  fait  aujourd'hui 

Est  de  Couët  et  non  de  lui. 

Traître,  tu  vas  mettre  au  tombeau, 
Dans  la  douleur  la  plus  amère, 
Ce  pasteur  si  cher  au  troupeau 


l'une  ou  par  l'autre,  il  disait  oui  ou  non,  faisait  ou  défai- 
sait. La  maréchale  était  constitutionnaire,  la  duchesse  était 
janséniste,  l'une  insistait  pour  qu'il  reçût  la  constitution 
purement  et  simplement,  et  l'autre  au  contraire  pour  qu'il 
ne  la  reçût  de  quelque  manière  que  ce  fût.  »  Mais  Fleury 
qui  avait  à  cœur  la  paix  de  l'Eglise  et  avait  promis  au 
pape  d'employer  ses  bons  offices  pour  obtenir  la  soumis- 
sion de  Noailles,  se  joignit  à  la  maréchale,  et  leurs 
obsessions  communes  vinrent  à  bout  de  la  résistance  du 
prélat;  il  est  vrai  que  leur  triomphe,  comme  on  le  verra 
bientôt,  fut  de  courte  durée. 

1.  Chanoine  de  Notre-Dame  et  conseil  de  l'archevêque. 
Il  fut  poignardé  par  un  de  ses  parents.  (M.) 

2.  «  Les  jansénistes  disent  que  le  cardinal  est  imbécile, 
que  l'esprit  lui  est  tombé  et  qu'on  lui  a  fait  faire  ce  qu'on 
a  voulu.  »  {Jourji.  de  Barbie}-.) 


Année    1^28.  151 


Qui  cherche  Dieu  d'un  cœur  sincère  ; 
Après  tout  le  bien  qu'il  t'a  fait 
Peux-tu  laver  un  tel  forfait  ? 

Non,  ce  mandement  concerté 
Qu'extorque  de  lui  la  cabale 
N'aura  point  cette  autorité 
Qu'eut  l'instruction  pastorale, 
Que  lui  dicta  la  vérité 
Lorsqu'elle  était  en  liberté. 

Et  toi,  Guéret^,  qui  nous  parus 
Si  zélé,  si  plein  de  courage 
Contre  la  bulle  et  ses  abus, 
Pourquoi  changes-tu  de  langage  ? 
Quel  ange  a  dessillé  tes  yeux  ? 
Est-il  de  l'enfer  ou  des  cieux? 

Guéret  et  pauvre  et  paysan^ 
Nous  disait  :  La  bulle  est  impie  ; 

1.  Curé  de  Saint-Paul  et  ci-devant  curé  de  Brie-Comte- 
Robert.  (M.) 

2.  Le  satirique  a  sans  doute  voulu  faire  allusion  à 
l'humble  cure  dont  Guéret  était  titulaire  avant  d'obtenir 
celle  de  Saint-Paul.  Marais,  qui  ne  s'est  pas  rendu  compte 
de  l'intention,  critique  le  mot  àç.  paysan  ;  «  Lecuré^  dit-il^ 
est  fils  de  M.  Guéret,  avocat,  homme  d'un  ti es  grand  mérite, 
premier  auteur  du  Journal  du  Palais...  S'il  n'était  pas 
mort  jeune,  il  eût  poussé  sa  réputation  au  plus  loin  ;  ainsi 
le  chansonnier  a  été  très  mal  informé  de  la  condition  du 
curé  de  Saint-Paul,  qui,  je  crois,  ne  vaut  pas  son  père^ 
{Corresp.  avec  Bouhier.) 


1^2  CAairambault-AIaurepas. 

Devenu  riche  et  courtisan, 
Il  l'adopte  et  la  justifie  ; 
•       Je  laisse  à  juger  au  lecteur 

Qui;  des  deux  Guéret,  est  menteur. 

La  Tour^  veut  régner  dans  un  corps 
Au  molinisme  peu  docile, 
Comme  pour  vaincre  le  plus  fort, 
Il  croit  la  bulle  très  utile, 
Quoiqu'elle  renverse  sa  foi, 
Il  veut  nous  la  donner  pour  loi. 

Mais  quel  étrange  changement  ! 
Le  grand  auteur  du  Témoignage, 
Laborde^  vient  en  ce  moment 
De  se  réunir  à  Pelage. 
Par  quel  prodige,  hélas  !  le  ciel 
Vit-il  jamais  rien  de  pareil  ? 

Peuple  que  la  bulle  proscrit, 
Mets  en  Dieu  seul  ta  confiance  ; 

1.  Le  P.  de  La  Tour,  général  de  l'Oratoire,  avait  tour- 
menté le  cardinal  de  Noailles  pour  lui  faire  accepter  la 
Constitution. 

2.  Vivien  Laborde^  prêtre  de  l'Oratoire  et  directeur  du 
séminaire  Saint-Magloire,  avait  publié,  en  1714,  le  Té- 
moignage de  la  vérité  dans  l'Église,  ouvrage  destiné  à 
prouver  l'irrégularité  de  toutes  les  mesures  prises  en 
faveur  de  la  Constitution.  Depuis  1721,  il  résidait  à  l'ar- 
chevêché et  comptait  parmi  les  conseillers  intimes  de 
Noailles  ;  il  ne  fut  donc  pas  étranger  à  sa  rétracta- 
tion. 


Année   1^28.  153 


Ne  crains  rien,  cherche  Jésus-Christ, 
Attends  et  souffre  en  patience  ; 
Dieu,  sûrement,  saura  calmer 
Tous  ces  flots  prêts  à  t' abîmer. 


O  ciel  !  que  voyons-nous  !  quel  spectacle  !  Noailles, 

A  des  loups  ravissants  abandonne  ses  ouailles. 

On  le  voit  lâchement  trahir  la  vérité 

Et  terminer  ses  jours  par  une  indignité  ^  ; 

Tandis  que  tous  chantaient  son  triomphe  et  sa  gloire, 

Il  s'est  laissé  des  mains  arracher  la  victoire. 

Trop  crédule  aux  flatteurs  qui  composent  sa  cour, 

Noailles,  pour  sa  gloire,  a  vécu  trop  d'un  jour. 

Consolons-nous;  l'Eglise,  à  jamais  invincible, 

A  plus  d'un  Athanase  à  nos  regrets  sensibles. 

Oui  :  nous  verrons  dans  peu  qu'en  vain  ses  ennemis 

Publîront  hautement  que  tout  leur  est  soumis; 

En  défenseurs  zélés  cette  mère  fertile 

Pour  un  qui  l'abandonne  en  recouvrera  mille. 

Prêts  à  braver  la  mort  contre  des  novateurs 

Qui  font  d'un  Molina  la  règle  de  nos  mœurs. 

On  verra  foudroyer  l'orgueilleux  molinisme, 

A  la  fin  reconnu  pour  seul  auteur  du  schisme. 

Assez  et  trop  longtemps  leurs  dogmes  empestés 

I.  L'on  aurait  tort  de  croire  que  le  cardinal  de  Noailles 
avait  dit  son  dernier  mot  en  publiant  son  mandement  de 
rétractation  ;  à  peine  avait-il  publié  cet  acte  qu'il  le  renia. 
(Cf.  p.  155,  note  I.) 


1^4  Clair  amhault-Alaurepas. 

Ont  flatté  le  pécheur  dans  ses  iniquités. 
Il  ne  lui  restera  que  le  remords  stérile 
D'avoir  en  vain  tenté  d'abroger  l'Évangile. 
Le  généreux  Croissy,  nouvel  Éléazar, 
Rendant  avec  respect  ce  qu'on  doit  à  César, 
Sans  céder  au  conseil  de  l'humaine  sagesse, 
Loin  de  se  démentir  par  des  traits  de  faiblesse. 
Va  laisser  un  exemple  à  la  postérité 
De  l'amour  qu'un  chrétien  doit  à  la  vérité^. 
L'apôtre  de  Senez,  à  son  devoir  fidèle, 
A  ce  digne  pasteur  servira  de  modèle. 


LES 

CONSEILLERS   DE   NOAILLES 


Fuyez  pour  jamais  de  ces  lieux  -, 
Jansénistes,  troupe  hérétique  ; 


1.  Colbert  de  Croissy,  évêque  de  Montpellier,  avait 
écrit,  au  mois  de  juin,  une  lettre  au  roi  pour  lui  représenter 
«  que  tout  le  mal  de  l'Église  venait  des  jésuites,  et  qu'en 
portant  Sa  Majesté  à  exterminer  les  jansénistes,  on  vou- 
lait lui  faire  ruiner  tout  le  bien  du  royaume.  »  {Abrégé 
chronologique) 

2.  «  Il  paraît  une  chanson  sur  l'acceptation  et  le  mande- 
ment de  notre   cardinal  ;  elle  a  plusieurs  couplets  et  plu- 


Année    1^28.  155 


Cessez  vos  complots  furieux 
Contre  l'Eglise  catholique. 
Noaille  en  pleine  liberté 
A  passé  de  notre  côté. 

Votre  cabale  allègue  en  vain 
Un  acte  extorqué  par  contrainte, 
Ecrit  et  signé  de  sa  main  ^ 


sieurs  portraits,  et  l'auteur  a  manié  assez  bien  sa  figure, 
et  même  l'expression  en  est  jolie,  et  les  vers  bien  faits,  le 
tout  sauf  la  lettre  de  cachet  et  la  Bastille.  Il  y  est  parlé 
d'un  poétereau  qui  a  fait  un  poëme  de  la  Triple  ingra- 
titude contre  le  cardinal  ministre  ;  je  ne  sais  ce  que  c'est 
et  ne  l'ai  point  vu.  »  [Corresp.  de  Marais.)  —  Pièce  en 
contre-vérités.  (M.) 

I.  Le  parti  janséniste  avait  prévu  que  le  cardinal  pour- 
rait bien  de  guerre  lasse  accepter  la  Constitution,  et  il 
avait  pris  ses  mesures  en  conséquence.  «  La  duchesse  de 
La  Vallière,  raconte  l'abbé  Legendre,  avait  eu  la  pré- 
caution de  faire  écrire  au  cardinal,  le  22  août  auparavant, 
une  déclaration  par  laquelle  il  désavouait  ce  qu'on  pour- 
rait lui  faire  faire  dans  la  suite,  par  importunité,  par  sur- 
prise ou  autrement,  en  faveur  de  la  i  Constitution.  Cette 
déclaration  fut  affichée  en  plein  midi,  à  côté  du  mande- 
ment, le  jour  même  où  il  parut  à  la  grande  porte  de  Saint- 
Paul,  »  Pour  combattre  le  mandement,  la  duchesse,  peu 
satisfaite  de  cette  négation  anticipée,  eut  recours  «  à  deux 
nouveaux  actes  qu'elle  fit  faire  au  cardinal  et  écrire  tout 
au  long  de  sa  propre  main,  l'un  du  17  décembre  1728,  l'au- 
tre du  26  février  1729,  deux  mois  avant  qu'il  mourût.  Il 
renouvelait  et  confirmait  par  le  premier  sa  protestation 
du  22  août,  et  déclarait  par  le  second  qu'encore  que  sous 
ce  nom  il  eût  paru  un  mandement  par  lequel  il  semblait 
avoir  accepté  la  bulle  Unigenitus  purement  et  simplement, 
il  voulait  que  tout  le  monde  sût  que  jamais  il  n'en  avait  eu 
la  pensée.  » 


ç6  Clairamb  ault-  Maurepas. 

Mais  écrit  et  signé  par  crainte. 
Dorsanne  ^,  par  son  grand  crédit, 
Arracha,  dit-on,  cet  écrit. 

Mais  quand  il  fit  le  mandement 
Qui  suspend  le  courroux  du  Tibre, 
On  peut  bien  dire  assurément 
Que  jamais  il  ne  fut  plus  libre  : 
Le  ministre  ayant  écarté 
Ce  qui  gênait  sa  liberté. 

Des  parents,  des  amis  zélés 

Pour  son  salut  et  pour  sa  gloire. 

Près  de  lui  s'étaient  rassemblés, 

Sans  autre  but,  comme  on  peut  croire, 

Sinon  qu'il  signât  librement 

Cet  admirable  mandement. 

Gramont  -  qui,  par  Giron  jadis 
Aux  lois  du  pur  amour  dressée, 
Regarde  jusqu'au  paradis 
D'une  âme  désintéressée, 


1.  Antoine  Dorsanne,  chanoine  et  officiai  de  l'archevêque 
de  Paris,  avait  été  l'un  des  principaux  instigateurs  de  la 
résistance  de  Noailles  à  la  Constitution.  Lorsque  le  car- 
dinal l'eut  acceptée,  il  se  sépara  de  lui  et  alla  mourir  de 
chagrin  aux  Incurables.  11  avait  rédigé  un  journal  très 
instructif  des  événements  relatifs  à  la  bulle  Unigenitus, 
depuis  1711  jusqu'en  1728,  qui  fut  publié  longtemps  après 
sa  mort. 

2.  La  maréchale  de  Gramont,  nièce  du  cardinal. 


Année    iy28.  157 


Peut-elle,  instruite  comme  elle  est, 
Être  soupçonnée  d'intérêt  ? 

Adrien^,  tantôt  financier. 
Tantôt  notre  Mars  près  de  l'Èbre, 
Et  dans  l'un  et  l'autre  métier 
Egalement  grand  et  célèbre. 
Peut-il,  vertueux  comme  il  est, 
Être  soupçonné  d'intérêt  ? 

Il  est  vrai  que  des  gens  malins 
Disent  en  tous  lieux  sans  mystère, 
Qu'il  cherche  par  divers  chemins 
Le  bâton  et  le  ministère  : 
Mais  ceux  qui  tiennent  ce  propos 
Connaissent-ils  bien  ce  héros  ? 

Pour  Chauvelin,  aussi  pieux. 
Aussi  bon  Français  que  son  père, 
Point  fourbe,  point  ambitieux, 
Et  de  Noaille  ami  sincère. 
Peut-il  bien,  chrétien  comme  il  est, 
Être  soupçonné  d'intérêt? 

Le  saint  homme,  aux  pieds  du  prélat, 
A  genoux  fondant  tout  en  larmes  : 
Sauvez,  dit-il,  la  foi,  l'État, 
Délivrez-nous  de  nos  alarmes  ; 

I.  Le  duc  de  Noailles.  (M.) 

V.  1  + 


1^8  Clairamh  ault-AIaurepas. 

U  Unjgenitîts  accepté 

Nous  mettrait  tous  en  sûreté. 

Le  chancelier  qui,  sans  ennui, 
Vivait  à  Fresne  en  solitaire, 
Et  qui,  comme  on  sait,  malgré  lui, 
Revient  à  son  poste  ordinaire^. 
Peut-il,  révéré  comme  il  l'est. 
Être  soupçonné  d'intérêt? 

Pour  le  procureur  général-. 

Ah  !  grand  Dieu,  c'est  la  vertu  même, 

Et  l'accuser  d'un  si  grand  mal, 

En  vérité,  c'est  un  blasphème  : 

Peut-il,  rigide  comme  il  est. 

Etre  soupçonné  d'intérêt? 

Quant  à  notre  Hercule  gaulois  ^ 
Oui,  conduisant  en  chef  la  barque, 
Maintient  la  liberté,  nos  lois 
Et  les  droits  de  notre  monarque, 
Voudrait-il  gêner  un  ami 
Qu'il  a  jadis  si  bien  servi  ? 


1.  Le  chancelier  d'Aguesseau  qui  vivait  exilé  à  Fresne 
depuis  le  17  février  1722,  revint  à  Paris  en  août  1727.  Un 
ordre  du  roi  le  rappela  quelques  jours  avant  l'accoiKhe- 
ment  de  la  reine. 

2.  Joly  de  Fleury.  (M.) 

S.  Le  cardinal  Fleur\\  (M.) 


Année    IJ28.  159 


Je  sais  qu'un  petit  poétreau 
Nous  l'a  dépeint  ingrat  et  traître 
Envers  Villeroy,  d'Aguesseau, 
Notre  archevêque  et  notre  maître; 
Mais^  quand  on  connaît  ses  vertus, 
On  sait  que  penser  là-dessus. 

Tels  sont  les  garants  merveilleux 
De  la  liberté  de  Noaille  ; 
A  des  témoins  si  scrupuleux 
Que  peut  opposer  la  canaille  ? 
Peut-on  prouver  plus  clairement  ? 
La  liberté  du  mandement  ? 

Ne  nous  parlez  donc  plus  d'appel, 

Ni  d'instruction  pastorale, 

Et  de  cet  écrit  solennel 

Rendu  public  par  la  cabale. 

Il  fit  tout  cela  malgré  lui. 

C'est  son  cœur  qui  parle  aujourd'hui. 

Niez-le;  bientôt  Pontchartrain ^ 
Viendra,  porteur  d'ordre  sinistre, 
A  votre  langue  mettre  un  frein 
Au  nom  du  prince  et  du  ministre; 
Deux  abbesses  d'assez  bon  nom  - 
Sont  témoins  de  sa  mission. 


T.  Le  comte  de  Maurepas. 

2.  M"'"  d'Orléans  et  de  Bourbon.  (Cf.  p.  167.) 


^o  Clairambaul  t-AIaurepas. 

Toutes  deux  l'ont  bien  mérité. 
Dire  qu'on  n'est  pas  libre  en  France  î 
Ah  !  peut-on  sans  impiété 
Pousser  jusque-là  l'insolence 
Contre  des  saints  comme  Fleury, 
Et  Chauvelin  son  favori. 


LES   INFORTUNES 


CADET  DE  GASCOGNE 


Je  suis  natif  d'une  contrée 
Où  les  infortunés  cadets, 
Munis  de  la  cape  et  l'épée, 
S'embarquent  avec  leurs  bidets. 

Nous  trouvons  la  gloire  si  belle 
Que  nous  sacrifions  pour  elle 
Nos  prés,  nos  vignes  et  nos  champs. 
Mais  pour  des  divinités  folles 


I.  Épitre  d'un  garde  du  roi  qui  a  fait  un  enfant  à  une 
fille,  lequel  est  condamné  par  Ms''  le  duc  de  Noailles,  son 
capitaine,  à  2000  liv.  (M.) 


Année   1^28. 


Sacrifier  deux  cents  pistoles, 

C'est  trop  cher  de  deux  mille  francs. 

Issu  d'un  sang  trop  économe, 
Je  ne  puis  en  si  peu  de  temps 
Compter  une  si  grosse  somme. 
Quoi  ?  monseigneur;  deux  mille  francs, 
Un  garde  du  corps  de  Gascogne  ? 
A  quoi  donc  taxer  les  exempts, 
Les  majors,  les  chefs  de  brigade  ? 
Et  si  l'on  monte  au  plus  haut  grade 
Les  frais  seraient  exorbitants. 

Le  fait  mérite  qu'on  y  pense, 
Il  est  en  tout  temps  important  : 
Tout  ce  qui  tire  à  conséquence 
Doit  être  pesé  mûrement. 

Pour  vos  ordres  rempli  de  zèle, 
C'est  faute  d'argent  que  j'appelle 
De  vos  premiers  arrangements. 
Hélas  !  faut-il,  malgré  Bellone, 
Que  le  Pactole  et  la  Garonne 
Soient  des  fleuves  si  différents. 


14. 


62  Clairambault-Maurep^ 


EPIGRAMMES    DIVERSES 

SUR  LE   ROI 

Ma  figure  est  mon  avantage, 
La  cuisine  est  mon  seul  ouvrage, 
L'on  fait  tout  et  je  ne  dis  rien.  — 
Ah  !  Louison,  je  vous  connais  bien. 


SUR   LE   CARDINAL  FLEURY 

J'ai  de  Dubois  la  naissance, 
Des  jésuites  la  manigance, 
Des  bigots  le  grave  maintien.  — 
Ah  !  Fleury,  je  vous  connais  bien. 


SUR   DES   FORTS 


J'ai  de  Cham illard  l'ignorance, 
De  Noailles  l'impertinence, 
De  Dodun  l'arrogant  maintien.  — 
Ah  !  Des  Forts,  je  vous  connais  bien. 


Année    1^2  8.  163 


SUR   CHAUVELIX  ^ 

Chauvelin  a  dit  au  roi  :  Sire, 
Pour  bien  gouverner  votre  empire 
Je  suis  capable  et  par  delà; 
Désignez-moi  cet  emploi-là. 
Le  roi  répondit  à  ce  cuistre  : 
Pour  être  mon  premier  ministre, 
Le  plaisant  robin  que  voilà  ! 
Présidez,  mais  restez-en  là. 


SUR   LE   PRINCE   DE   CONTI^ 

Pleurons,  pleurons,  mes  chers  amis, 
Pleurons  la  mort  du  grand  Conti, 
Ce  héros,  l'espoir  de  la  France, 


1.  Germain-Louis  de  Chauvelin  (1685-1762),  président  à 
mortier  au  Parlement  de  Paris,  fut  nommé  garde  des 
sceaux  en  1727  à  la  place  de  M.  d'Armenonville,  et  secré- 
taire d'État  des  Affaires  étrangères.  On  crut  qu'il  devait 
son  élévation  au  crédit  de  la  princesse  de  Carignan. 

2.  «  Nous  avons  perdu,  le  4  de  ce  mois  (mai),  M.  le 
prince  de  Conti  qui  est  mort  d'une  fluxion  de  poitrine^ 
très  regretté  de  tout  le  monde.  C'était  pour  ainsi  dire  le 
seul  prince  qui  avait  de  l'esprit  et  des  lumières,  qui  s'ap- 
pliquait aux  affaires,  et  sur  lequel  on  pouvait  compter 
dans  le  conseil.  Il  n'avait  que  trente-deux  ans.  »  [Journal 
de  Barbier.) 


64  Clair  ambaul  t-AIaurep  as. 

Expire,  et  c'est  fait  pour  jamais. 
En  qui  sera  notre  espérance 
Si  l'on  vient  à  rompre  la  paix  ? 


SUR   LE   PRIXCE   DE  LÉOX^ 

Vous  voulez,  prince  de  Léon, 
A  Brest  les  honneurs  militaires. 
Ces  honneurs  sont  dus  aux  Bourbons 
Ou  gens  distingués  dans  la  guerre  ; 
Mais  pour  vous,  prince  de  Léon, 
Ma  foi,  vous  n'en  tâterez  guère, 
Et  vous  n'aurez  d'autre  canon 
Que  celui  de  notre  derrière. 


SUR    LA   BULLE    UXIGENITUS 

Rome,  je  le  vois  bien,  il  faut  te  dire  adieu. 
Si  de  mourir  chrétien  je  veux  avoir  la  gloire  ; 


I.  M.  et  M^^^^la  princesse  de  Léon  étant  allés  à 
Brest,  tenir  les  Etats  de  Bretagne,  prétendirent  qu'on 
devait  leur  faire  les  mêmes  honneurs  qu'à  messieurs  les 
maréchaux  de  France.  Le  gouverneur  de  la  citadelle  les 
a^'ant  priés  à  dîner,  ils  demandèrent  qu'on  leur  tirât  du 
canon,  et  ce  gouverneur  ayant  représenté  qu'il  ne  pouvait 


Année   1^28.  165 


Une  bulle  déjà  me  défend  d'aimer  Dieu, 

Une  autre  pourrait  bien  me  défendre  d'y  croire  ^ 


SUR   LE   p.   DU   CERCEAU- 

Doyen  des  rimailleurs,  plus  froid  qu'un  limaçon, 

Du  Cerceau,  dans  la  chanson. 
Prend  le  sabat  d'Embrun  pour  décret  de  l'Église, 

Pour  amis,  Favier  et  Capon. 

C'est  une  bête,  si  c'est  méprise; 

Si  c'est  feinte,  c'est  un  fripon. 


SUR   LE  p.   POISSON"'. 

PÈRE  Poisson  n'en  démord  point  ; 
Il  veut  que  l'on  coupe  le  poing 


le  faire  sans  un  ordre  exprès  du  roi,  ils  ne  furent  point 
dîner  au  château.  Cela  joint  à  plusieurs  impolitesses  de 
leur  part  leur  attira  cette  chanson.  (M.) 

1.  «  Voilà  une  épigramme  de  la  façon  de  nos  jansé- 
nistes. L'auteur,  craignant  l'athéisme,  a  fait  une  pointe 
assez  athée.  —  Elle  est  de  Rousseau.  »  [Correspondance  de 
Marais.) 

2.  Par  M.  de  Laverdy.  (M.)  —  En  réponse  aux  deux 
chansons  du  P.  du  Cerceau  publiées  ci-dessus,  p.  133-141. 

3.  Cordelier  qui  avait  réfuté  la  consultation  des  avo- 
cats. 


c66  Clairamhault'Maurepas. 

Aux  avocats  qui,  sans  scrupule, 
Ont  dans  leurs  consultations 
Et  de  la  forme  et  des  canons 

Du  concile  d'Embrun  montré  le  ridicule. 

Voir  des  manchots  dans  le  barreau, 
Le  spectacle  serait  nouveau. 

Si  la  cravate  plaît  à  cette  âme  dévote, 

Aymon  ^,  si  c'est  là  sa  marotte. 

Donne-lui  sans  retard  le  brevet  du  bourreau 
Du  régiment  de  la  calotte. 


SUR   M.    HERAULT 

HÉRAULT,  la  terreur  des  écrits  -, 
En  guette  un,  dit-on,  de  brillante  capture 
Il  l'a  trouvé,  je  vous  l'assure. 
Entre  les  mains  de  tout  Paris. 


SUR   LE   CONCILE   D   EMBRUN 

Trente  curés,  trente  avocats 
De  Paris,  la  grand'ville, 

1.  Il  avait  succédé  à  M.  de  Torsac  comme  général  du 
régiment  de  la  Calotte. 

2.  La  cour  avait  promis,  dit-on,  six  mille  livres  de  pen- 
sion à  M.  Hérault,  s'il  réussissait  à  empêcher  la  distri- 
bution de  la  consultation  des  avocats. 


Année   iy28.  167 


Valent  bien  quatorze  prélats 
Choisis  pour  un  concile. 

Mais  vous  direz  :  Ne  sont-ils  pas 
Successeurs  des  apôtres  ? 

Tencin  prouve  bien  que  Judas 
Le  fut  comme  les  autres. 


On  dit  que  la  pauvre  bulle, 
Malgré  tout  son  grand  fracas, 
Au  lieu  d'avancer  recule 
Et  foit  souvent  des  faux  pas. 
A  la  cour  comme  à  la  ville 
On  se  moque  du  concile. 
Notre  ministre  d'État 
Pour  le  coup  n'a  pris  qu'un  rat. 


SUR    M"'"    D'ORLÉANS    et    DE    BOURBON 

Taisez-vous,  Orléans,  Bourbon  ^ 
Vous  voulez  en  doctes  personnes 


I.  Harangue  de  M.  de  Maurepas  aux  dames  de  Saint- 
Antoine  et  de  Chelles.  —  Il  a  été  par  ordre  de  la  cour 
imposer  silence  à  M'"^  d'Orléans  et  à  M'"'=  de  Bourbon, 
qui  parlaient  trop  librement  au  sujet  de  l'acceptation  de 
M.  le  Cardinal.  (M.) 


i68  Clairambault-Maurepas. 

Parler  de  la  religion, 

C'est  bien  là  l'affaire  des  nonnes. 

Fleury,  l'oracle  de  la  foi, 

Saura  vous  apprendre  à  vous  taire. 

Doutez-vous  qu'il  le  puisse  faire, 

Lui  qui  l'apprit  si  bien  au  roi  ? 


ANNEE    1729 


LE   PERIL  DES   PRINCES  ^ 


Ux  meunier,  à  ce  que  Ton  publie, 
A  deux  princes  chéris  vient  de  sauver  la  vie  ; 
Tous  les  deux  allaient  se  noyer 
En  passant  la  Marne  à  la  nage. 
Le  bonhomme  qui,  du  rivage, 
Les  vit  dans  un  pressant  danger, 
Dans  le  fleuve  soudain  court  se  précipiter, 
Et  les  tire  de  l'eau  contre  toute  espérance. 
C'est  aimer  son  prochain,  on  ne  peut  le  nier; 
Et  si  la  charité,  qu'on  ne  peut  trop  priser. 
S'apprend  dans  le  moulin,  je  pense 


1.  Sur  le  péril  où  s'exposèrent  le  prince  de  Bombes  et 
le  comte  d'Eu^  en  voulant  passer  la  Marne  en  courant  un 
cerf.  Le  meunier  a  eu  quatre  cents  liv.  de  pension  et  ses 
garçons  chacun  dix  louis  d'or.  (M.) 

2.  Ce  fut  le  maître  et  les  deux  garçons  meuniers  qui  se 
jetèrent  à  l'eau.  (M.) 

V.  15 


170  Cldira?îibaul  t-AIaurepas. 

Qu'il  est  plus  d'un  évêque  en  France 
Qui  devrait  se  faire  meunier. 


ÉPITAPHES 


CARDINAL  DE  NOAILLES^ 


Ci-GiT  un  fame*ux  cardinal 
Oui  fut  sage  dans  sa  jeunesse^ 
Mais  vivant  trop  (ô  sort  fatal  !). 
Il  survécut  à  sa  sagesse. 
Il  est  donc  mort  de  son  vivant, 


I.  Il  est  mort  dans  son  palais  archiépiscopal  à  Paris, 
environ  les  deux  heures  du  matin,  mercredi  4  mai  1729,  âgé 
de  soixante  et  dix-sept  ans,  étant  né  le  27  mai  165 1.  (M.) 
—  «  Ses  contradictions  éternelles  l'avaient  rendu  si  mé- 
prisable qu'il  ne  fut  regretté  de  personne.  Il  était  décrié  à 
un  point  que  l'on  n'osa  lui  faire  ni  oraison  funèbre,  ni 
service  public,  tel  qu'on  a  coutume  d'en  faire  aux  arche- 
vêques de  Paris,  service  d'apparat,  où,  comme  à  celui  des 
rois,  assistent  toutes  les  cours  tant  supérieures  que  subal- 
ternes. Il  est  étonnant  que  même  les  jansénistes  dont  il 
avait  été  l'idole  et  pour  qui  il  avait  tant  fait,  ne  l'aient 
point  loué  après  sa  mort  et  que,  par  un  silence  aussi  inju- 
rieux qu'ingrat,  ils  aient  déshonoré  sa  mémoire,  comme 
s'il  n'avait  rien  eu  de  recommandable.  »  (L'abbé  Le- 
GENDRE.) 


Année    l'J2g,  171 


Noaille^  en  cessant  d'être  sage  : 
Oui,  s'il  eût  vécu  moins  longtemps, 
Il  aurait  vécu  davantage. 
Panégyristes  languissants, 
Qu'on  sacrifie  à  sa  mémoire  ; 
Vous  direz  donc  tout  en  disant 
Qu'il  a  trop  vécu  pour  sa  gloire^. 


Le  Saint-Esprit  sans  corps,  ainsi  qu'il  est  écrit, 
Autrefois  se  jeta  dans  le  sein  de  Marie  : 
Noaille,  à  Dieu  contraire,  à  la  fin  de  sa  vie, 
Donne  à  Marie  son  corps,  sans  cœur  et  sans  esprit^. 

1.  Le  président  Bouhier  écrivait  à  son  ami  Marais,  quel- 
ques jours  après  la  mort  de  Noailles  :  «  J'ai  vu  le  dernier 
acte  du  feu  cardinal  de  Noailles,  si  toutefois  on  peut 
assurer  que  ce  soit  le  dernier.  Voilà  sans  doute  la  plus 
éminente  girouette  qui  ait  jamais  été. 

O  vieillesse,  ma  mie  ! 
N'ai-je  donc  tant  vécu  que  pour  cette  infamie? 

On  pourrait  faire  de  ses  variations  une  histoire  presque 
aussi  grosse  que  celle  de  feu  Bossuet.  » 

2.  Comme  il  avait  ordonné  par  son  testament  d'être  en- 
terré devant  la  chapelle  de  la  Vierge  à  Notre-Dame,  son 
cœur  a  été  mis  dans  la  chapelle  de  sa  famille,  et  ses  en- 
trailles dans  le  chœur  de  l'église  ;  on  a  fait  un  quatrain  à 
ce  sujet,  (M.)  —  Sous  le  portrait  du  cardinal  fut  gravé  ce 
distique  non  moins  significatif  : 

Vir  simplex  fartasse  plus,  sed  prasul  ineplus 
Viilt,  tentât,  peragtt,  plurima,  pauca,  nihil. 


172  Clairamhault-Maurepas, 


PORTRAIT 
DE    M.    DE    VINTIMILLE 

ARCHEVÊQUE    DE    PARISl 


D'un  Aaron  et  d'un  sacré  prêtre 
En  Noaille  on  sut  reconnaître 
La  ferveur  pour  les  lois  de  Dieu  ; 
Mais,  dans  son  successeur  indigne, 
Chacun  de  nous  verra  dans  peu 
Un  Abiron  le  plus  insigne  -. 


1.  Charles  Gaspard  de  Vintimille  du  Luc,  archevêque 
d'Aix  depuis  1708,  succéda  à  Noailles,  comme  archevêque 
de  Paris.  «  Il  aura  de  la  peine,  disait  Marais,  pour  quitter 
sa  chère  Provence,  pour  venir  habiter  les  bords  de  la 
Seine  ;  mais  cent  mille  francs  de  rente  de  plus  adouci- 
ront ce  mal.  On  dit  que  c'est  un  bon  prélat  qui  vit  noble- 
ment et  qui  ne  tourmentera  personne.  Dieu  le  veuille  ! 
voilà  les  du  Luc  de  Vintimille,  des  comtes  de  Marseille, 
bien  contents,  et  aussi  bien  des  mécontents  qui  se  feront 
peut-être  jansénistes  par  dépit.  »  M.  de  Vintimille  avait 
soixante  et  quatorze  ans  lorsqu'il  fut  promu  à  l'arche- 
vêché de  Paris  ;  il  conser\'a  ses  fonctions  jusqu'à  sa  mort 
(mars  1746). 

2.  En  prenant  possession  de  son  archevêché.  M.  de  Vin- 
timille invita  le  chapitre  de  Notre-Dame  à  accepter  la 
bulle.  Les  jansénistes  éclairés  par  là  sur  ses  intentions, 
lui  prodiguèrent  tout  aussitôt  leurs  railleries  et  leurs  in- 
sultes. 


Pousselle  s 


A,  Quanlin   imp.  E  di 


Année    I'J2().  173 


Frémissez,  peuple  israélite  ; 
L'impitoyable  amalécite 
Sous  son  joug  va  vous  asservir  ; 
De  cette  abominable  race 
Du  Joad  qui  vient  de  mourir, 
Un  Mathan  va  remplir  la  place. 

Zélés  partisans  jansénistes, 

Faites  trembler  les  molinistes, 

En  dressant  un  autel  nouveau; 

Sans  craindre  que  l'on  vous  condamne 

En  sacrifiant  ce  taureau, 

De  Xoaille  honorez  les  mânes. 


Monstre  que  l'on  voit  toujours  ivre, 
Hé  quoi  !  tu  te  vantes  de  vivre, 
Pourceau,  dont  le  ventre  est  le  roi. 
De  la  vertu  rien  ne  succombe, 
Noaille  est  bien  moins  mort  que  toi, 
Encor  qu'il  gise  sous  la  tombe. 

Bouchers  qui,  d'ancienne  méthode, 
Promeniez  en  burlesque  mode 
Un  bœuf  gras  avec  grand  fracas, 
Cette  fois-ci,  prenez  un  homme. 
Vintimille  est  un  vrai  bœuf  gras, 
Et  mérite  bien  qu'on  l'assomme. 


Iv 


74  Clairamhault-AIaurepas, 

En  Vintimille, 
Loin  d'un  digne  prélat, 

Pasteur  habile, 
Nous  n'avons  qu'un  gros  fat, 
Un  juif,  un  renégat. 
Sensuel,  délicat, 
Des  gloutons  le  mobile, 
D'Antoine  le  verrat*, 

En  Vintimille. 

En  Vintimille, 
Le  roi  nous  a  pourvus 

D'un  imbécile 
De  bon  sens  dépourvu. 
Oh  !  pour  l'épiscopat. 
Jamais  dans  un  prélat 
Nous  n'aurons  l'Évangile, 
Ni  de  Noaille  l'éclat 

En  Vintimille. 

En  vint-il  mille 
Archevêques  nouveaux. 

Tous  à  la  file. 
Fussent-ils  cardinaux, 
Tels  qu'on  les  choisira. 
Toujours  on  y  perdra. 
Noaille  tout  débile, 

I.  Mot  qui  signifie  un  cochon  ou  porc.  (M.) 


Année   i'J2g,  i75 

Ne  se  retrouvera 
En  Vintimille^ 


CONFESSION 


L'ARCHEVÊQUE  DE   PARIS 


Quoique  pasteur,  je  vis  dans  la  crapule, 

Comme  un  maître  pourceau, 
Je  suis  les  lois  de  l'illustre  Bérulle, 
J'ai  la  foi  d'un  Manceau  ; 
Chacun  me  croit  un  archevêque  habile, 
Je  suis  Vintimille, 

Moi, 
Je  suis  A^intimille. 


I.  «  Notre  archevêque  n'est  pas  généralement  considéré  ; 
le  peuple  dit  qu'il  aime  beaucoup  à  manger,  et  qu'il  ne 
songe  qu'à  sa  table,  en  sorte  qu'on  le  regarde  comme  un 
goinfre.  N'a-t-on  pas  affiché  à  la  porte  de  l'archevêché, 
quand  il  a  été  nommé,  que  Saint-Antoine  (c'était  le  nom 
du  dernier)  était  mort,  et  qu'il  nous  avait  laissé  son 
cochon.  On  a  dit  aussi  pour  bon  mot  qu'on  ne  retrou- 
verait pas  un  archevêque  comme  le  dernier,  en  vînt-il 
mille.  »  {Journal  de  Barbier) 


{jd  Clairambault-AIaurepas. 

L'on  ma  donné,  malgré  mon  ignorance, 

Uarchiépiscopat, 
Par  les  conseils  d'un  ministre  de  France, 

Auguste  et  saint  prélat; 
De  Loyola  chacun  m'a  su  promettre 
L'illustre  barrette. 

Fier  partisan  du  cruel  moliniste, 

Impie  envers  Dieu, 
Comme  ennemi  je  tiens  le  janséniste. 

Le  chassant  de  ce  lieu. 
De  Loyola,  pour  avoir  le  suffrage, 
Partout  je  fais  rage. 

Dans  chaque  église,  à  mes  désirs  rebelle, 

Comm.e  chef  Musulman, 
Je  saurai  mettre  un  pasteur  plein  de  zèle 

Un  bon  Turc,  un  iman, 
Qui  prêchera  l'Alcoran  et  la  bulle 
Sans  aucun  scrupule, 

Lui, 
Sans  aucun  scrupule. 


Année   I'j2g. 


LE  SAVETIER 
DE   LA  CONSTITUTION» 


Maître  Nuclet,  le  savetier 

Fameux  controversiste, 
Est  l'effroi  dans  tout  son  quartier 

Du  parti  janséniste; 
Les  prélats  voulant  ravager 

Cette  secte  insolente 
A  Nuclet  pour  l'encourager 

Font  deux  cents  francs  de  rente. 

Tout  le  monde  dit  dans  Paris 
Que  c'est  extravagance; 

Pour  moi  je  n'en  suis  pas  surpris, 
Je  sais  ce  que  j'en  pense  : 

Ce  procédé  certainement 
N'est  pas  si  ridicule 


I.  Il  y  a  dans  la  rue  du  Vieux-Colombier,  au-dessous 
de  la  rue  Cassette,  du  même  côté,  un  savetier  qui  fait  des 
controverses  à  Saint-Sulpice,  et  qui  est  très  habile  ;  il  a 
beaucoup  lu  les  Écritures  et  les  saints  Pères,  et  les  cite 
aussi,  et  plus  à  propos  qu'un  docteur  de  Sorbonne.  C'est 
chez  lui  qu'est  le  bureau  d'adresse  de  tous  les  molinistes, 
et  il  a  toujours  ce  qu'il  y  a  de  plus  nouveau  et  de  plus 
curieux  dans  ce  genre.  Ils  lui  font  même  une  pension.  (M.) 


[78  C  lairambault-AIaurepas. 

On  veut  lui  faire  apparemment 
Ressemeler  la  bulle. 


Nuclet,  célèbre  savetier, 

Connu  grand  moliniste, 
P"^ait  la  guerre  dans  son  quartier 

Au  peuple  janséniste, 
Et  même,  pour  faire  durer 

La  bulle  unigenite, 
Il  vient  de  la  ressemeler 

De  la  peau  d'un  jésuite.  ' 


Le  savetier  de  XUnigeniiiis 
Dedans  Bicêtre  avait  été  reclus  ^. 
Mais  le  besoin  que  l'on  a  de  sa  plume 
L'en  a  tiré,  non  sans  distinction  ^  ; 
Aussi  va-t-il  par  un  nouveau  volume 
Ressemeler  la  Constitution. 

1.  Il  interrompit  dans  cette  église  un  prédicateur,  sur 
un  point  de  son  sermon,  en  lui  disant  que  ce  qu'il  avan- 
çait était  faux.  Il  fut  arrêté  et  conduit  à  la  Bastille,  où  il 
a  prouvé  que  ce  qu'il  avait  dit  au  prédicateur  était  \Tai, 
ce  qui  le  fit  mettre  en  liberté,  et  le  roi  lui  a  fait  deux 
cents  livres  de  rente,  et  le  prédicateur  n'a  plus  prêché 
depuis.  (M.) 

2.  On  dit  qu'il  a  eu  une  gratification  de  deux  cents 
livres  pour  se  consoler  de  sa  prison.  (M.) 


Année    7729.  179 


L'OPERA  NOUVEAU 


La  Foire  avec  la  Comédie, 
Ces  jours  passés,  délibéra 
Comment  ruiner  l'Opéra  ? 
Je  l'ai,  par  mainte  parodie, 
Vilipendé,  défiguré, 
Dit-elle;  je  l'ai  balafré 
De  piqûres  du  vaudeville, 
Grâce  aux  deux  précepteurs  de  Gille, 
Ce  sage  et  ce  bon  vieux  curé  ^ 
Qui  met  en  flon  flon  l'Évangile  ; 
Mais  leur  art  devient  inutile 
Tant  le  goût  a  dégénéré. 

Lors  la  Comédie  héroïque 
Répond:  Sans  vos  contorsions. 
Je  sape  l'empire  lyrique, 
Je  fais,  moi,  ses  fonctions; 
Mon  Andromaque  pulmonique 
A  palpité  plus  d'un  fredon, 
Et  si  je  fais  danser  Baron, 
L'Opéra  fermera  boutique. . — 

I.  Le  Sage  et  l'abbé  Pellegrin. 


i8o  Clairamhault-Maurepas. 

N'en  croyez  pas  le  Toulousain  ^, 
Bizarre  auteur  des  Trois  spectacles, 
Reprit  la  Foire  :  ayons  en  main 
D'autres  traits  ou  d'autres  oracles.  — 
Vers  l'égoût  du  double  vallon, 
Elles  marchaient,  quand  du  limon 
S'élève  un  crapaud  vert  et  jaune, 
Crapaud  boursouflé,  long  d'une  aune, 
Race  d'ennemis  d'Apollon 
Que  métamorphosa  Latone. 
Le  monstre,  exhalant  son  venin, 
Fit  sortir  ces  paroles  :  Comme 
Annibal  veut  que  le  Romain 
Ne  puisse  être  vaincu  qu'à  Rome. 
L'Opéra  n'est  battu  qu'en  vain 
S'il  ne  l'est  pas  sur  son  terrain.  — 
A  cette  réponse  peu  claire. 
Nos  deux  reines  des  histrions. 
L'ambulante  et  la  sédentaire, 
Font  grandes  acclamations  ! 
Pour  que  notre  ennemi  périsse, 
Mettons  nos  gens  à  son  service  ; 
Annibal  l'a  prédit,  croyons  en  ce  grand  homme 
Qu'on  ne  vaincra  jamais  les  Romains  que  dans  Rome. 
L'une  offre  pour  musicien 
L'aîné  Quinault,  comédien  : 
La  Foire  ayant  plus  de  poètes 

I.  Jean  Dumas  d'Aigueberre,  conseiller  au  Parlement  de 
Toulouse,  auteur  des  Trois  spectacles,  trilogie  singidière 
représentée  en  1729  au  Théâtre-Français. 


Année    IJ2Q.  i8i 

Qu'Athènes  n'avait  de  chouettes 
Le  grand  Fuzelier  appela; 
Lors,  le  crapaud  dit  :  Me  voilà  ! 
Ainsi  le  ballet  des  Déesses  ^ 
Naquit  ;  donnez  encor  deux  pièces 
De  ce  style,  adieu  l'Opéra  ! 


LES  TABLEAUX   DE  TARDIF 


Aux  jésuites  un  moribond, 
Leur  pénitent,  avait  fait  don 
De  maints  tableaux  de  conséquence. 
Les  héritiers  ont  intenté 

Procès  à  la  Société. 
Sur  ce,  l'on  a  rendu  sentence 

Qui  les  pères  a  condamné 

1.  Les  Amours  des  Déesses,  ballet,  dont  les  paroles 
étaient  de  Fuzelier  et  la  musique  de  Quinault,  fut  repré- 
senté pour  la  première  fois  le  9  août  1729  à  l'Académie 
royale  de  musique. 

2.  Tardif,  ancien  secrétaire  du  maréchal  de  Boufflers,  avait 
formé  une  riche  collection  de  cent-un  tableaux.  En  mou- 
rant, il  la  légua  par  testament  au  noviciat  des  jésuites. 
Ses  héritiers  dépossédés  intentèrent  à  l'institut  un  procès 
en  captation  qui  fit  grand  bruit  :  «  Cela  s'est  plaidé  aux 
requêtes  de  l'hôtel  avec  grand  concours  de  monde,  et 
c'était  précisément  Aubry,   auteur  de  la  consultati9n  des 

V.  1(5 


82  Clairamhault-Maurepas. 

A  mettre  en  toute  diligence 
Lesdits  tableaux  en  la  puissance 
Des  héritiers;  point  n'en  suis  étonné  ; 
La  loi  fait  expresse  défense 
De  donner  turpi  personnœ. 


Vous  qui,  de  tous  sexagénaires, 
Savez  vous  rendre  légataires, 
Escroqueurs,  fils  de  Loyola, 
Confessez,  confessez,  mais  restez-en  là. 

Rusés  constitutionnaires. 
Ne  soyez  donc  plus  donataires  ; 
Ou  Thémis  vous  étrillera. 
Confessez,  confessez,  mais  restez-en  là. 


avocats,  qui  plaidait  contre  les  jésuites,  et  qui  avaitarrangé 
les  choses  de  façon  que  par  la  cession  d'un  père  à  son  fils, 
c'était  un  père  de  l'Oratoire  qui  était  partie  adverse  des 
jésuites.  Hier,  9  de  ce  mois  (août),  les  jésuites  ont  perdu 
leur  cause  avec  dépens.  Non  seulement  on  a  claqué  des 
mains,  mais  il  y  avait  à  la  cause  quatre  pères  jésuites  que 
le  public  a  reconduits  dans  la  cour  du  Palais  au  May,  avec 
des  huées  et  une  avanie  épouvantables,  et  cela  à  midi, 
devant  tout  le  monde  qui  est  dans  la  grande  salle  du 
palais,  dans  ce  temps-ci.  »  {Journal  de  Barbier.)  —  Ce 
procès  figure  dans  les  Causes  célèbres  de  Richer. 


Année    i'/2g,  183 


LA 

NAISSANCE   DU  DAUPHIN  ^ 


Le  ciel  nous  favorise  enfin, 
Nous  venons  d'avoir  un  Dauphin. 
Buvons  du  vin  au  lieu  de  bière. 

De  nos  cœurs  chassons  le  chagrin^ 
Nous  chanterons  soir  et  matin, 
Bénissons  Dieu  de  cette  affaire. 

Que  chacun  donc  se  mette  en  train 
Et  versons  des  tonneaux  de  vin, 
Quoique  d'argent  nous  n'ayons  guère. 

Le  Dauphin  nous  le  rendra  bien, 

Car  il  en  aura  le  moyen, 

Ou  ce  sera  monsieur  son  père. 

I.  «  Grand  événement  dans  notre  État  !  Dimanche,  4  de 
ce  mois  (septembre),  entre  trois  et  quatre  neures  du  matin, 
la  reine  est  accouchée  d'un  Dauphin.  Aussitôt  courrier  à 
la  ville  et  à  M.  le  premier  président  et  le  tocsin  du  Palais 
et  de  la  ville  ont  été  entendus.  A  midi,  il  y  avait  déjà  une 
ordonnance  de  MM.  les  prévôts  des  marchands  et  éche- 
vins  affichée  pour  faire  des  feux  de  joie  et  illuminations 
aux  maisons  pendant  trois  jours,  comme    aussi  de  fermer 


184  Clairanibault-AIaurepas. 

Avant  que  d'être  au  monde  mis, 
Toute  chose  montait  de  prix, 
Même  jusques  à  la  lumière. 

Mais  à  présent  tout  va  changer  ; 
Nous  avons  tout  lieu  d'espérer 
Sous  un  aussi  beau  ministère. 

L'on  nous  va  rendre  notre  bien. 
Ainsi  le  prétend  le  Dauphin, 
Qui  s'est  fait  fort  de  cette  affaire. 

Car  il  est  déjà  généreux 
Et  chacun  sera  très  heureux 
Dès  qu'il  saura  marcher  par  terre. 

Que  de  gens  vont  être  contents. 
Que  de  femmes  feront  d'enfants, 
Que  de  filles  s'en  feront  faire  ! 

Et  les  paniers,  plus  que  jamais, 

Seront  utiles  désormais  ; 

Ah  !  quel  gain  pour  chaque  ouvrière  ! 

les  boutiques.  Il  y  a  eu    feu    de  fagots  à  l'Hôtel  de  ville 
avec  illuminations,  ainsi  que  toutes  les  rues  de  la  ville. 

«  Le  lundi,  le  Parlement,  qui  a  la  police  supérieure,  a 
rendu  arrêt  pour  dire  que  les  boutiques  seraient  ouvertes 
jusqu'à  midi  et  que  les  feux  et  illuminations  continueraient 
encore  le  mercredi  quatrième  jour,  et  le  lieutenant  de 
police  a  rendu  ensuite  son  ordonnance  en  conséquence  de 
l'arrêt.  »  {journal  de  Barbier.) 


Année    ij2g.  185 


Buvons  à  ce  charmant  enfant 
Qui  sera  quelque  jour  très  grand. 
Buvons  à  madame  sa  mère. 

Que  Dieu  lui  donne  d'heureux  jours 
Et  que  rien  n'en  trouble  le  cours, 
Mais,  vive  son  aimable  père  ! 


Ah  !  que  j'aime  le  Dauphin, 
Son  nom  rime  assez  au  vin  ; 
Nous  en  faut-il  davantage 
Pour  lui  rendre  notre  hommage  ? 
Lampons,  camarades,,  lampons. 

Il  est  du  sang  de  Bourbon, 
Donnez-moi  donc  du  bon. 
J'en  tire  la  conséquence, 
Qui  me  paraît  d'importance. 

En  septembre  il  a  paru, 
C'est  le  mois  du  bois  tortu  ; 
Il  portera  bonne  chance 
Au  vignoble  de  la  France. 

Hérault  a  fait  imprimer 
Qu'il  fallait  boire  et  m.anger  ^  ; 

I.  Aussi  «  les  maisons  des  échevins  étaient  illuminées 
v.  16, 


i86  Clairamhault-Maurepas. 

Suivons  donc  son  ordonnance, 
C'est  pour  le  bien  de  la  France. 

Le  roi,  sans  faire  d'édit, 
Vient  lui-même  dans  Paris  ^, 
Nous  montrer  par  sa  présence 
Qu'il  faut  boire  à  toute  outrance. 

Quand  au  monde  vint  Bacchus, 
On  ne  but  pas  tant  de  jus, 
Qu'on  en  boit  pour  la  naissance 
De  notre  Dauphin  de  France, 
Lampons,  camarades,  lampons. 

en  lampions  et  avec  des  lustres  tous  les  jours,  et  deux 
tonneaux  de  vin  chaque  soir  à  leur  porte,  des  cervelas  et 
des  petits  pains.  »  {Journal  de  Barbier.) 

I.  «  Le  mercredi,  le  roi  vint  de  Versailles  à  Paris,  sur 
les  cinq  heures  et  demie  pour  assister  à  un  Te  Deum  qui 
s'est  chanté  en  musique....  Après  le  Te  Deum,  le  roi  alla 
à  l'Hôtel  de  ville  avec  toute  sa  cour.  Il  y  fut  reçu  par  le 
gouverneur  de  Paris,  le  prévôt  des  marchands  et  échevins. 
On  tira  un  feu  d'artifice  magnifique.  Après  le  feu  il  y  eut 
un  grand  souper.  »  {^Journal  de  Barbier) 


Année   i'/2g.  187 


LE  LYS   DE  VERSAILLES 


Au  château  de  Versailles, 

Un  beau  lys  il  y  a, 

Quelque  part  oij  l'on  aille, 

Rien  ne  vaut  ce  lys-là. 

Ah  !  qu'il  est  bien  planté, 
O  gué,  ma  commère, 
Gué,  gué,  gué,  ô  gué  ! 

Nuit  et  jour  on  le  garde 
Et  l'on  veille  alentour. 
Sitôt  qu'on  le  regarde 
On  est  blessé  d'amour. 
Heureux  qui  peut,  ma  chère. 
L'avoir  à  son  côté. 

De  ce  lys  tant  aimable, 
Un  nouveau  rejeton 
D'une  odeur  agréable 
Remplit  tout  ce  canton. 
Dès  qu'on  a  su  l'affaire, 
Tout  le  monde  a  chanté 


I,    Chanson    de  l'Opéra-Comique  sur  la  naissance  de 
M?'"  le  Dauphin.  (M.) 


Clairainhault-Maurepas. 


Pour  parler  sans  mystère, 
C'est  un  Dauphin  charmant 
Dont  le  ciel  vient  de  faire 
A  la  France  un  présent. 
D'un  don  si  salutaire, 
Je  lui  savons  bon  gré. 

On  a  raison  de  dire 
De  cet  enfant  chéri, 
Que  le  roi,  notre  sire, 
L'a  moulé  d'après  lui; 
Car  l'enfant  de  Cytlière 
N'est  pas  si  bien  tourné. 

Tout  chacun  le  révère, 
Et  quoiqu'il  soit  petit. 
N'y  a  que  monsieur  son  père 
Qui  soit  plus  grand  que  lui. 
Sa  santé  nous  est    chère, 
Que  son  nom  soit  chanté. 

Mettons  tous  des  couronnes, 
Chantons  des  airs  joyeux. 
Vidons  toutes  nos  tonnes 
Pour  en  faire  des  feux. 
Faisons  la  fête  entière 
Et  qu'il  soit  bien  trinqué. 
O  gué,  ma  commère. 
Gué,  gué,  gué,  ô  gué  ! 


Année   i/2(),  i^9 


DIALOGUE   PAYSAN 


LA  NAISSANCE  DU  DAUPHIN 


Ah  !  Colin,  que  je  suis  aise 
De  te  rencontrer  ici  ! 
Mathurin  et  le  gi'os  Biaise 
Veniont  d'arriver  aussi. 
Paris  est  pis  qu'une  foire  ; 
L'on  y  rit  de  bout  en  bout  ; 
Chacun  se  fait  une  gloire 
D'y  bouter  le  feu  partout. 

Dame  !  aussi  quel  avantage 
Pour  tout  le  peuple  françois  ! 
Nous  avons  en  droit  lignage 
Un  fils  de  plus  de  cent  rois. 
C'est  le  Dauphin  dont  je  parle.  - 
Vraiment,  l'on  dit  qu'il  est  biau, 
Gentil,  plus  net  qu'une  parle, 
Doux  et  droit  comme  un  rosiau. 

Voyez  donc  le  bel  oracle  ! 
Quel  conte  nous  fait-il  là  ? 


[po  Clairamb  ault-Maurepas. 

Prends-tu  ça  pour  un  miracle, 
Avec  le  père  qu'il  a? 
Trouverais-tu  sur  la  terre 
Un  si  biau  prince,  un  mortel 
Aussi  bien  fait  pour  la  guerre, 
Et  d'un  meilleur  naturel? 

Tatigué  !  comme  il  jargonne  ; 

De  la  reine  qu'en  dis-tu  ?  — 

Je  dis  qu'elle  est  franche  et  bonne, 

Un  vrai  tableau  de  vertu  ; 

Et  que  de  tels  père  et  mère. 

Il  ne  saurait  provenir 

Que  des  enfants  dont,  compère, 

On  aura  bian  du  plaisir. 

En  voyant  les  trois  princesses, 
Ça  se  devine  en  deux  mots  ; 
Ce  ne  sont  que  gentillesses, 
Et  de  biaux  petits  propos. 
Je  gagerais  bian,  acoute. 
Qu'elles  pâment  dans  le  cœur 
D'avoir,  sans  qu'il  leur  en  coûte. 
Pour  frère  un  si  grand  seigneur. 

Dans  le  châtiau  de  Versailles, 
On  ne  s'entend  pas,  ma  foi  : 
Tout  le  monde  est  en  guoguailles, 
A  commencer  par  le  roi  ; 
Les  dames  pleuriont  de  joie. 


Année    I  ^20.  191 


Mais  rien  ne  paraît  égal 
A  la  gaieté  que  déploie 
Le  ministre  cardinal. 

Sont  mille  gens  qui  tracassent, 
Et  des  nourrices  par  tas  ; 
Des  cuisiniers  qui  fricassent  ; 
Ah  !  quel  terrible  embarras  ! 
J'ignore  où  tout  ça  se  boute, 
Mais  en  retour  je  conçois 
Que  pour  leur  tremper  la  croûte 
Il  faut  bian  avoir  de  quoi  !  — 

Je  t'acoute  et  tu  raisonnes; 
Ah  !  que  je  sommes  nigaud  ! 
Approchons-nous  de  ces  tonnes, 
Le  vin  en  tombe  par  sciaux. 
Si  j'attrapons  par  fortune 
Quelques  s^pes  de  gourdin, 
Je  boirons,  et  sans  rancune, 
A  là  santé  du  Dauphin. 

Quel  bruit  !  que  de  pétarades  ! 
Qu'on  sent  la  poudre  à  canon  ! 
Chacun  donne  des  aubades  ; 
Le  pavé  n'est  que  charbon  ; 
Entends-tu  les  tournebroches  1 
Pargué  !  ça  va  d'un  grand  train. 
Ah  !  qu'on  cassera  de  cloches 
Si  Dieu  n'y  boute  la  main  !  — 


[p2  Clairamhault-Maurepas. 

Palsangué  !  comme  on  nous  pousse. 
Il  ont  grillé  mon  chapiau. 
La  rencontre  n'est  pas  douce  ; 
Prên  garde  à  ce  serpentiau. 
Quoiqu'habitants  de  village, 
Morgue,  j'avons  le  cœur  bon  ; 
Çà,  crions  avec  courage 
Vive  le  sang  de  Bourbon  ! 


LA  JOIE   DE   PARIS 


LA  NAISSANCE  DU  DAUPHIN^ 

Du  prince  qui  nous  est  donné, 

Célébrons  la  naissance; 
D'un  siècle  pour  nous  fortuné, 

Quel  présage  à  la  France  ! 
Elevons  nos  cœurs  et  nos  voix 

Au  ciel  qui  nous  dirige-; 


1.  Ode  chantante,  présentée  au  roi  dans  l'Hôtel  de  ville 
après  le  souper  de  Sa  Majesté,  le  7  septembre  1729,  par 
Martineau  de  Soleinne,  d'Auxerre.  (M.) 

2.  Le  roi  venait  d'assister  au  Te  Deum,  chanté  à  Notre- 
Dame  en  actions  de  grâces.  (M.) 


Année    iy2g.  193 

Il  éternise  de  nos  rois 

Et  la  gloire  et  la  tige. 

Paris,  quand  jusque  dans  ton  sein 

Ton  roi  se  communique, 
Et  partage  du  citoyen 

L'allégresse  publique  ^ 
Quelle  est  ta  fortune  en  ce  jour  ! 

Peuple  heureux,  considère 
Que,  dans  son  empire,  l'amour 

Le  rend  doublement  père. 

En  sa  présence,  tous  les  cœurs. 

Dans  un  nouveau  lui-même. 
Disent  mieux  que  vous,  doctes  sœurs, 

Comment  il  faut  qu'on  l'aime. 
Leur  joie  éclate  en  doux  transports, 

Aux  yeux  de  qui  l'inspire  ; 
Et  l'emporte  sur  vos  accords, 

Et  les  sons  de  la  lyre. 

Louis  y  lit  dans  tous  les  yeux 

Qu'un  Dauphin  vient  de  naître. 

France,  va,  publie  en  tous  lieux 
Qu'il  ressemble  à  ton  maître. 

Déjà  l'Amour  aux  champs  des  lys 
A  tout  mis  sous  les  armes  ; 

I,  Sa  Majesté  n'a  cessé  d'y  paraître  vivement  touchée 
des  preuves  que  le  peuple  donnait  de  sa  joie  et  de  son 
amour  pour  sa  personne.  (M.) 

V.  17 


104  Clairamhault-Maurepas. 

On  prend,  dit-il,  pour  moi  le  fils 
D'un  roi  si  plein  de  charmes. 

De  vos  grottes,  nymphes,  sortez  ; 

Accourez  sur  la  Seine; 
Dansez  au  brillant  des  clartés 

D'un  riant  phénomène  ^  : 
Ne  craignez,  sous  l'astre  qui  luit, 

Qu'un  si  beau  jour  finisse  ; 
Les  Français  n'auront  plus  de  nuit, 

Sous  un  ciel  si  propice  ! 

Mille  étrangers  dans  nos  concerts, 

Viendraient  sur  cette  rive, 
Surpasser  nos  voix  dans  les  airs, 

En  s'écriant  :  Qu'il  vive  ! 
Nous  vaincraient-ils  ?  Chantons  sans  fin  : 

Vivent  le  roi,  la  reine, 
A  qui  nous  devons  le  Dauphin 

Que  l'amour  nous  amène. 

Courons  repaître  nos  regards 

Des  traits  d'un  si  beau  prince. 

Qu'au  loin  le  bruit  de  nos  remparts - 
L'annonce  à  la  province  ; 

Et  que  l'écho  de  tout  côté, 
A  la  ville,  au  village, 

1.  Le  feu  de  l'Hôtel  de  ville  et  les   illuminations    de 
Paris.  (M.) 

2.  Le  canon  de  la  Bastille.  (M.) 


Année    ij^g.  195 


D'une  longue  félicité 

Dise  qu'il  est  le  gage. 

Tu  l'apprends  à  plus  d'un  climat, 

Sage  dépositaire 
Des  sceaux  et  secrets  de  l'Etat  ; 

Mais  ton  zèle  a  beau  faire  ^ 
Des  cœurs  le  guide  avant-coureur, 

Volant  à  tire  d'aile. 
Sait  porter  de  notre  bonheur 

Bien  plus  loin  la  nouvelle. 

Oui,  quand  ce  premier  mouvement 

De  joie  aussi  sincère, 
Passait  par  ton  empressement. 

Au  Germain,  à  l'Ibère, 
On  vit  l'Amour  fendant  les  airs. 

Charmé  de  son  ouvrage, 
D'avance  inviter  l'univers 

D'aller  lui  rendre  hommage. 

Quels  doux  loisirs  il  nous  promet  ! 

Déjà  toute  l'Europe, 
Du  présent  que  le  ciel  nous  fait, 

A  tiré  l'horoscope  : 

I.  La  reine  accoucha  à  trois  heures  quarante  minutes,  et 
les  dépêches  furent  si  diligemment  faites,  qu  a  cinq  heures 
et  demie  du  matin,  tous  les  courriers  étaient  partis  pour 
en  donner  avis  aux  ministres  du  roi,  dans  toutes  les  cours 
de  l'Europe.  (M.) 


[p6  Clairambaul  t-AIaurepas. 

Par  ce  rejeton  de  héros, 

Notre  fortune  est  stable  : 

Louis,  pour  notre  plein  repos, 
Nous  donne  son  semblable. 

Mais,  quel  aspect  dans  ce  moment  ! 

Une  heureuse  planète 
Influe  en  son  tempérament 

Les  forces  d'un  athlète  ; 
D'un  brillant  progrès  à  nos  yeux, 

On  le  voit  qui  s'avance, 
Et  fait  du  Dauphin  dans  les  cieux 

Avec  l'Aigle  ^  alliance. 

Le  coursier  d'oii  l'on  vit  venir 

Ce  tourbillon  d'étoiles-, 
Grand  roi,  lève  de  l'avenir 

Sur  la  paix  tous  les  voiles. 
Cet  ascendant  prédit  qu'un  jour 

Si  l'on  troublait  ses  charmes, 
Ton  fils  la  ferait  à  son  tour 

Respecter  par  ses  armes. 


1.  Suivant  messieurs  de  l'observatoire,  cette  comète  pro- 
nostique à  ce  prince  une  complexion  robuste.  A  Nîmes  on 
a  observé  qu'elle  a  passé  de  la  constellation  du  Dauphin 
dans  celle  de  \ Aigle,  où  elle  était  le  6  du  présent  mois  de 
septembre.  (M.) 

2.  Dès  le  31  juillet  dernier,  dans  la  même  ville,  on  avait 
commencé  à  la  remarquer  dans  la  constellation  du  Petit 
cheval,  d'où  elle  sortit  pour  entrer  dans  celle  du  Daii- 
phin.  (iM.) 


Année    i/2f).  197 


Dans  ce  prince,  tout  nous  apprend 

Quelle  gloire  future, 
Sur  les  pas  de  Louis  le  Grand, 

Son  beau  sang  nous  assure  ! 
S'il  te  prend  pour  guide  aux  combats 

Que  tu  livres  aux  vices  ; 
Que  son  cœur  ne  vaincra-t-il  pas 

Sous  tes  heureux  auspices  ? 

A  peine  est-il,  que  les  jeux 

Les  ris  autoui-  des  tonnes  ^ 
Célèbrent  partout,  en  tous  lieux, 

Ce  lien  des  couronnes  ; 
Et  qu'on  voit,  d'un  accord  nouveau, 

Les  grâces  de  sa  mère 
Se  joindre  autour  de  son  berceau. 

Aux  vertus  de  son  père. 

La  foi  qui  doit  tout  à  son  nom, 
D'abord  sur  lui  s'empresse 

A  mettre  l'auguste  cordon 
De  l'esprit  de  sagesse  ^. 

Tel  signe  est  un  droit  de  son  rang; 
Mais  ce  symbole  enseigne 


1.  Le  vin  coulait  dans  toutes  les  places  et  dans  la  plu- 
part des  rues,  devant  les  hôtels  des  princes,  ministres  et 
seigneurs  qui  ne  cessent  de  donner  des  fêtes.  (M.) 

2.  Ce  fut  M.  le  marquis  de  Breteuil,  prévôt  et  maître 
des  cérémonies  de  l'Ordre,  qui  le  lui  porta.  (M.) 

V.  17. 


Clairamhault-Maurepas. 


Que  c'est  plus  la  marque  du  sang 
Où  la  piété  règne. 

Digne  enfant  de  tant  de  soupirs, 

Vous,  dont  à  la  naissance, 
Pour  combler  nos  justes  désirs, 

Présida  la  Balance  ^. 
Sur  vous,  du  trône  cher  appui, 

Quel  bonheur  ne  se  fonde  ! 
Non,  il  n'est  de  biens  qu'aujourd'hui 

Vous  n'apportiez  au  monde. 

Quel  don  !  si  par  de  tels  bienfaits, 

Le  ciel,  grande  princesse, 
Couronne  ainsi  pour  vos  sujets 

Toute  votre  tendresse  ; 
Les  vertus  pour  nous  rendre  heureux. 

Vous  sont  si  familières, 
Qu'il  est  moins  le  prix  de  nos  vœux, 

Qu'un  fruit  de  vos  prières. 

Vous,  autre  exemple  des  mortels, 
Fleury,  que  rien  ne  tente  " , 

Qui  servez  l'État,  les  autels. 
D'une  âme  si  fervente  ! 

Par  ce  digne  héritier  des  lys, 

1.  Monseigneur    le  Dauphin  est  né  sous  ce   signe    du 
Zodiaque,  le  4  de  septembre.  (M.) 

2.  S.  E.  M,  le  cardinal  de   Fleury,  ministre  et  premier 
plénipotentiaire  de  roi  au  congrès  de  Soissons.  (M.) 


Année    1^2  g.  199 


Leur  gloire  régénère  ; 
Et  tous  nos  souhaits  sont  remplis 
Sous  votre  ministère. 

Oh  !  qu'à  ton  gré,  de  jour  en  jour, 

Tu  vas,  heureuse  France, 
Voir  dans  les  bras  de  Ventadour 

Croître  tant  d'espérance  ! 
Ses  veilles  ont  assez  prouvé 

Son  amour  pour  le  père, 
Mais  le  fils,  dans  elle,  a  trouvé 

Encor  plus  d'une  mère  *. 

Dans  le  cours  de  si  doux  transports-, 
Toi  qui,  dans  cette  fête, 

1.  M™^  la  duchesse  de  Tallard,  sa  petite-fille,  reçue  en 
survivance,  gouvernante  des  enfants  de  France.  (M.) 

2.  Ces  derniers  couplets  n'ont  paru  qu'au  festin  donné 
par  le  corps  de  ville,  le  douzième  de  ce  mois,  à  son 
E.  M.  le  cardinal  de  Fleury,  et  à  tous  les  ambassadeurs  et 
ministres  des  puissances  étrangères.  (M.) 

«  L'Hôtel  de  ville  donna  un  grand  repas,  qui  com- 
mença à  trois  ou  quatre  heures  après-midi,  où  étaient 
M.  le  cardinal  de  Fleury,  qui  était  en  habit  de  cérémonie, 
tous  les  ministres  étrangers,  plénipotentiaires  du  congi-ès, 
tous  les  ambassadeurs  étrangers  qui  sont  à  Paris,  les  secré- 
taires d'Etat,  M.  l'archevêque  de  Paris,  tous  les  chefs  des 
compagnies,  les  présidents  à  mortier.  M.  le  lieutenant  civil 
et  le  procureur  du  roi  y  étaient  aussi.  Il  y  avait,  dit-on, 
cent  quatre-vingt  personnes,  quatre  tables  de  quarante- 
cinq  personnes,  lesquelles  ont  été  passablement  servies,  et 
où  l'on  s'est  placé  sans  cérémonie,  ainsi  qu'on  s'est  trouvé. 
Cela  était  dans  la  grande  salle,  avec  une  symphonie  magni- 
fique. »  {Journal  de  Barbier.) 


200  Clairamhault'Maurepas. 

Du  peuple  animes  tout  le  corps, 

Et  qu'on  voit  à  sa  tête, 
Gesvres  ^ ,  en  tous  les  hauts  emplois, 

Si  ta  noble  ardeur  brille, 
Ne  sait-on  pas  que  pour  nos  rois, 

Tu  la  tiens  de  famille  ? 

Quel  spectacle  on  doit  à  tes  soins  ! 

Que  de  magnificence  ! 
Turgot^,  quels  yeux  en  sont  témoins  ? 

Ton  roi,  l'œil  de  la  France  ! 
Quel  prix  pour  toi,  que  les  honneurs 

Dont  il  paya  ton  zèle  ^  ! 
En  tout  événement,  nos  cœurs 

Ont  le  tien  pour  modèle. 

Vous  serait-il  indifférent. 

Peuples  voisins,  d'apprendre 
De  la  paix,  qu'un  nouveau  garant 

Ne  se  fait  plus  attendre  ? 
Il  est  venu  ce  jour  heureux, 

Oii  le  ciel  qui  le  donne. 
De  la  joie  allumant  les  feux. 

Éteint  ceux  de  Bellone. 

1.  M.  le  duc  de    Gesvres,  gouverneur  de  Paris,  de  père 
en  fils  depuis  longtemps.  (M.) 

2.  M.   Turgot,  président  de  la  deuxième  chambre  des 
requêtes  du  Parlement,  et  prévôt  des  marchands.  (M.) 

3.  Sa  Majesté,  contente  de  la  manière  dont  elle  avait  été 
reçue,  lui  en  témoigna  sa  satisfaction  et  aux  échevins.  (M.) 


Année    l'J2g.  201 


COMMENT  FAIRE? 


Avant  que  d'avoir  un  Dauphin, 
Français,  vous  murmuriez  sans  tin, 
Le  ciel  tâche  à  vous  satisfaire, 
Louis  vous  donne  ce  trésor, 
Et  si  vous  murmurez  encor, 
Comment  faire  ? 

Vous  vous  lassez  dans  le  repos  : 
De  guerre  on  tient  quelques  propos, 
Louis  l'accepte  pour  vous  plaire, 
Bien  loin  d'en  paraître  contents. 
Vous  criez  comme  auparavant, 
Comment  faire? 

Si  l'on  vous  charge  d'un  impôt, 
Vous  le  payez  sans  dire  mot, 
De  crainte  d'un  plus  mercenaire  ; 
Si  on  vous  l'ôte,  dès  l'instant 
Vous  n'en  êtes  pas  plus  content  ; 
Comment  faire  ? 


ANNÉE    1730 


REQUÊTE 
AUX   AVOCATS   DE   PARIS  ^ 


Vite  à  moi  la  cinquantaine-, 
A  mon  secours,  chers  amis  ; 
Me  voici  mis  sur  la  scène 
A  côté  de  Montempuis. 
Et  allons,  ma  tourlourette^ 
Et  allons,  ma  tourlouron. 

Hélas  !  monsieur  et  madame, 

Dans  Montempuis^  n'étaient  qu'un; 

1.  Chanson  en  forme  de  requête  aux  avocats,  au  nom  de 
M.  Feu,  curé  de  Saint-Gervais,  à  Paris,  au  sujet  d'un 
enfant  qui  a  été  baptisé  en  son  nom  à  l'Hôtel-Dieu.  —Tiré 
d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Saint-Germain-des- 
Prés.  (M.) 

2.  Les  cinquante  avocats  qui  avaient  rédigé  la  consul- 
tation sur  le  concile  d'Embrun. 

3  L'abbé  qui  s'est  déguisé  en  fille  pour  aller  à  la 
Comédie-française.  (M.)  —  Cf.  ci-dessus,  pages  92  et  suiv. 


204 


Clairambault-Maurepas. 


Mais  Feu,  pris  avec  sa  femme, 
Sont  deux  sous  un  nom  commun. 

De  cet  accord  légitime 
Est  survenu  par  malheur 
Certain  ouvrage  anonyme, 
Mis  au  jour  sans  nom  d'auteur. 

L'ennemi  de  mon  beau  zèle 
Dit,  voyant  ces  fruits  heureux: 
Eloignons  cette  étincelle 
Oui  produirait  bien  des  feux. 

Mais  après  tout,  qu'on  murmure 
A  la  Cour  et  dans  Paris, 
Les  ouvrages  qu'on  censure 
Ne  perdent  rien  de  leur  prix. 

Depuis  longtemps  vos  oreilles 
Sont  faites  à  ces  clameurs  : 
Les  plus  beaux  fruits  de  nos  veilles 
Trouvent  toujours  des  censeurs. 

En  dépit  de  l'anathème 
Dont  Rome  nous  a  flétri 
J'aurais  choisi  ce  système 
Pour  grossir  notre  parti. 

Sur  le  métier,  mon  ouvrage 
A  pourtant  resté  neuf  mois 


Année   ijSo.  205 


Ce  n'est  pas  mal  à  mon  âge, 
Si  c'est  la  première  fois. 

Mais  tandis  que  je  m'apprête 
A  la  seconde  édition 
Un  officiai  m'arrête 
Faute  de  permission. 

En  pareil  cas,  qu'ai-je  à  faire 
Pour  me  tirer  d'embarras. 
Sinon  de  porter  l'affaire 
A  l'ordre  des  avocats. 

Pour  vous,  nos  illustres  maîtres, 
Quelle  taille  !  quel  éclat  ! 
Si  vous  dégagez  nos  prêtres 
Des  liens  du  célibat. 

Vous  en  trouverez,  je  pense. 
Dix  fois  plus  que  de  clients  : 
Plus  d'un,  sans  votre  dispense, 
A  déjà  pris  les  devants. 

Mais  surtout  pour  ma  défense 
Cent  et  cent  fois,  répétez 
Que  de  l'Église  de  France, 
Telles  sont  les  libertés. 

Si  Rome,  trop  difficile, 
Par  ses  canons  le  défend, 
V.  •  18 


2o6  C  l  airambault-AIaurepas 

Appelons-en  au  concile^ 
Et  faisons  en  atlendant  : 

Si  le  concile  contraire 
Nous  condamne  à  ce  sujet, 
Du  moins  il  ne  peut  défaire 
Tout  ce  que  nous  aurons  fait. 
Et  allons,  ma  tourlourette, 
Et  allons,  ma  tourlouron. 


L'EVEQUE   DE   SOISSONS^ 


MARIE    ALACOQUE 


Quelle  bile  noire  et  subite. 
Ami,  dans  ce  moment  t'agite? 
Que  veut  dire  cet  air  rêveur? 
D'oi!i  te  vient  cet  air  de  tristesse? 
Aurais-tu  perdu  par  malheur 
Ton  procès  ou  bien  ta  maîtresse? 


I.  Jean-Joseph  Languet  de  Gergj',  docteur  en  Sorbonne 
et  fougueux  moliniste,  avait  été  nommé,  en  1715,  évêque 
de  Soissons.  Son  zèle  exagéré  en  faveur  de  la  Constitu- 
tion Unigenitus  lui  suscita   de  violentes  inimitiés,  et  son 


Année    lySo.  207 


Ah  !  le  désespoir  me  surmonte. 
Console-toi,  mon  cher  Oronte.  ■ 
Je  viens  de  perdre  mon  procès, 
Cette  injustice  me  suffoque  ; 
L'on  me  condamne  par  arrêt 
A  Hre  Marie  Alacoque  ^. 


histoire  de  Marie  Alacoque  excita  les  railleries  du  pubHc. 
A  la  fin  de  1730,  il  fut  nommé  archevêque  de  Sens,  et,  en 
1747,  conseiller  d'État.  Depuis  1721,  il  était  membre  de 
l'Académie  française,  où  il  fut  remplacé  par  Buffon,  et  il 
est  à  remarquer  que  ni  son  successeur,  ni  le  directeur  de 
l'Académie,  ne  rappelèrent  dans  leurs  discours  sa  vie  et 
ses  ouvrages. 

I.  Le  Journal  de  Barbier,  fidèle  écho  de  l'opinion  pu- 
blique, résume  ainsi  l'impression  générale  :  «  M.  Languet, 
évêque  de  Soissons,  a  fait  la  plus  grande  sottise  au  com- 
mencement de  cette  année  qu'il  pouvait  faire.  Il  a  fait  un 
livre  qui  est  la  relation  de  la  vie  d'une  religieuse  dans  le 
couvent  de  Paray-le-Monial,  morte  en  1690,  et  il  a  dédié 
ce  livre  à  la  Reine.  Cette  religieuse  avait  une  singulière 
dévotion  au  cœur  de  Jésus-Chrisc.  On  décrit  dans  ce  livre 
toutes  ses  austérités,  ses  méditations  dans  lesquelles  elle 
avait  une  conversation  réglée  avec  Jésus-Christ.  Cette  fille 
s'appelait  Marguerite-Marie  Alacoque.  Dans  les  enthou- 
siasmes de  cette  conversation  toute  spirituelle,  notre 
évêque  fait  tenir  des  discours  très  tendres  à  la  religieuse 
et  à  Jésus-Christ,  avec  des  expressions  trop  vives  que  les 
lecteurs  ont  tournées  à  mal.  Cela  a  suffi  pour  que  toute  la 
cour  et  la  ville  aient  voulu  avoir  ce  livre.  Il  n'était  plus 
question  que  de  Marie  Alacoque,  dont  le  nom  s'est  trouvé 
plaisant  par  hasard,  et  cela  a  occasionné  cent  contes  plus 
ridicules  les  uns  que  les  autres  sur  M.  l'évêque  de  Sois- 
sons,  tant  en  prose  qu'en  vers.  » 

La  correspondance  de  Marais  nous  conserve  quel- 
ques-unes de  ces  facéties  du  public  auxquelles  Barbier 
fait  allusion  :  «  On  ne  dit  plus  des  œufs  a  la  coque,  mais 
des  œufs  a  la  Soissons,  et  on  appelle  la  bonne    religieuse 


2o8  Clairamhault-AIaurepas. 

Jadis,  un  fou  tout  à  son  aise 
Brûla  le  temple  d'Ephèse 
Afin  qu'on  se  souvînt  de  lui. 
Languet  aspire  à  même  gloire  : 
Son  livre  lui  donne  aujourd'hui 
Pareille  place  dans  l'histoire. 

Sans  cette  fable  incomparable 
Qu'aurait  ce  prélat  de  passable  ? 
En  lui  tout  est  digne  d'oubli. 
De  ses  vertus  voici  la  liste  : 
Il  sut  copier  Tournély  ^ 
Et  tourmenter  le  janséniste. 

Mais,  par  sa  Marie  Alacoque, 
Qu'il  nous  peint  en  fille  équivoque, 


la  mère  aux  œufs.  Alacoque  est  devenu  un  nom  de  carna- 
val. M.  de  Soissons  passait  dans  son  carrosse  ;  les  petits 
enfants  crièrent  qu'il  y  avait  un  cheval  déferré  ;  un  laquais 
descend,  on  lui  présente  un  fer  qu'il  voulut  prendre,  on 
lui  donne  des  verges  sur  les  doigts,  et  tous  les  polissons 
au  lieu  de  crier  :  //  ch...  au  lit,  crient  Alacoque.... 

On  poursuit  toujours  M.  de  Soissons  sur  son  Alacoque. 
On  vend  des  rubans  à  la  coque,  et  le  Roi  lui-même  lui  a 
demandé  s'il  avait  permis  les  œufs  a  la  coque  dans  son 
diocèse  povir  le  carême,  à  quoi  il  eut  assez  de  peine  à  ré- 
pondre. » 

I.  Le  P.  Tournély  passait  pour  avoir  été  le  teinturier 
des  écrits  relatifs  à  la  bulle  Utiigetiitus  que  Languet  avait 
publiés.  Comme  il  était  mort  lorsque  l'évêque  de  Soissons 
fit  imprimer  la  Vie  de  Marie  Alacoque,  les  mauvais  plai- 
sants dirent  qu'il  avait  emporté  l'esprit  de  Languet  et  ne 
lui  avait  laissé  que  la  coque. 


Année    lySo.  20^ 


Ce  prélat  brille  assurément  : 
Le  songe-creux  de  sa  marotte 
Doit  le  rendre  infailliblement 
Digne  aumônier  de  la  Calotte  ^. 


EPIGRAMMES 


L'EVEQUE    DE   SOISSONS 


Sapons  les  fondements  du  parti  janséniste, 
Dit  au  pape  Benoît  l'évêque  de  Soissons; 
Depuis  près  de  cent  ans  ce  parti  nous  résiste, 
Pour  le  détruire  enfin  faisons-nous  des  raisons.  — 
Ils  ont  pour  eux  saint  Paul  et  les  autres  Apôtres, 
Ils  ont  saint  Augustin,  saint  Prosper  et  tant  d'autres  : 
Faisons  des  saints  pour  nous,  dit  l'évêque  Languet.  — 
Je  le  veux,  dit  Benoît,  voilà  Grégoire  Sept  -.  — 


1.  Il  eut,  en  effet,  un  brevet  satirique  non  d'aumônier, 
mais  d historiographe  du  régiment  de  la  Calotte. 

2.  Benoît  XIII  ordonna  d'insérer  l'office  de  Grégoire  VII 
dans  le  bréviaire,  comme  celui  d'un  saint,  et  en  fixa  la  fête 
au  25  mai.  Quelques  Parlements  de  France  défendirent  par 
arrêt  de  réciter  cet  office,  et  six  évêques  publièrent  des 
mandements  dans  le  même  sens. 


2IO  Clairamhault-Maurepas. 

1\  est  vrai,  dit  Languet,  mais  le  parti  s'en  moque 
Canonisons  plutôt  Marion  Alacoque  ^ 


Languet  vient  d'orner  les  vertus 

De  Marie  Alacoque, 
Dans  un  style  obscène  et  confus 

Dont  tout  Paris  se  moque. 
Son  frère  même-  le  curé 

S'écrie  :  A  la  bonne  heure, 
Voilà  du  papier  assuré 

Pour  habiller  mon  beurre-. 


Languet  a  fait  un  écrit 
Dont  tout  Paris  se  moque. 
Il  est  pourtant  bel  esprit, 
Mais  chacun  crie  après  lui  : 
La  coque,  la  coque,  la  coque  ! 


1.  «  Les  jansénistes  disent  qu'ils  ont  pour  eux  des  saints 
comme  saint  Paul,  saint  Augustin,  etc.,  etc.,  que  les  mo- 
linistes  font  des  Alacoque  pour  avoir  des  saints  de  leur 
côté.  M.  de  Boissons  dit  qu'il  n'y  a  que  des  hérétiques 
et  des  sots  qui  trouvent  son  livre  mauvais.  »  {Corresp.  de 
Marais.) 

2.  Le  curé  de  Saint-Sulpice  se  faisait  un  gros  revenu 
du  beurre  qu'il  faisait   vendre  à  la   maison  de   l'Enfant- 

Jésus.  (M.) 


Année    ijSo.  211 


Halte-là  !  petits  et  grands, 
Si  cet  écrit  vous  choque  ; 
Deux  prélats  des  plus  savants 
Approuvent,  dans  Orléans, 
La  coque,  la  coque,  la  coque. 

Des  Calottins  l'ordre  entier 

D'un  zèle  réciproque, 
Vient  d'enjoindre  à  leur  greffier. 
D'inscrire  au  grand  sottisier  : 

La  coque,  la  coque,  la  coque. 


Lorsque  Soissons  s'est  vu  choisi 
Pour  le  conseil  de  conscience. 
Il  a  dit  :  Grâce  à  Fleury, 
Je  deviens  homme  d'importance. 
Et  je  prends  tout  droit  le  chemin 
D'être  précepteur  du  Dauphin. 

Je  vais  faire  en  style  dévot 
L'histoire  de  sainte  Alacoque  ; 
Qu'importe  de  passer  pour  sot 
Et  que  tout  le  monde  s'en  moque, 
Si  je  prends  tout  droit  le  chemin 
D'être  précepteur  du  Dauphin  ? 


212  Clairambault-Maurepas. 

Pour  ressembler  à  Fénelon 
Languet  a  pris  une  Guyon  ^ 
Qu'il  canonise  sans  scrupule. 
Languet,  tu  te  tourmente  en  vain, 
Tu  ne  seras  que  ridicule 
Et  point  précepteur  du  Dauphin. 


Un  fou  dit  dans  sa  bicoque  -  : 
Moïse  est  œuvre  baroque. 
Faisons  de  cette  breloque 
Un  roman  tendre  et  nouveau. 
Languet,  jaloux,  le  provoque. 
Et  lui  dit  pour  réciproque  : 
Voilà  Margot  à  la  coque, 
C'est  un  plus  friand  morceau. 


Est-ce  la  foi,  Languet,  plutôt  que  l'espérance 
Dont  le  saint  motif  t'a  porté 
A  donner  un  livre  à  la  France 
Dont  la  pieuse  extravagance 


1.  On  sait  que  Fénelon,  sous  l'influence  des  idées  mys- 
tiques de  M'"'=  Guyon,  avait  écrit  un  livre  des  Maximes  des 
Saints,  qui  fut  condamné  par  la  cour  de  Rome. 

2.  Le  P.  Berruyer,  auteur  de  YHistoire  du  Peuple  de 
Dieu.  (M.) 


Année    ij3o.  2\ 


Partout  blesse  la  vérité  ? 
On  ne  croit  pas  qu'un  moliniste 
Gratis  se  fasse  apologiste 
Du  pur  amour  et  de  la  charité. 


LE  SUPPLICE  DE   BAUDRIERS 


HÉRAULT,  ministre  exécuteur 
Du  manège  jésuitique, 
Cesse  désormais  d'avoir  peur'. 
Pourquoi  cette  terreur  panique, 
Et  d'archers  ce  nombre  infini 

1.  Vers  au  sujet  du  nommé  Baudrier,  mis  au  carcan  à 
Paris  pour  avoir  colporté  des  ouvrages  contre  la  Constitution. 
(M.)  —  On  lit  dans  V Abrégé  chronologique  des  événements  de 
la  Constitution  :  «  Le  2  mars,  M.  Hérault  à  la  tête  d'une 
commission  extraordinaire,  condamne  Baudrier  à  être  mis 
au  carcan  en  place  de  Grève,  pour  avoir  conduit  des  bal- 
lots d'écrits  contre  la  Constitution,  et  avoir  déclaré  que 
sachant  le  contenu  des  ballots,  il  l'avait  fait  pour  l'intérêt 
de  la  vérité.  » 

2.  «  Le  jour  qu'il  a  fallu  l'exposer,  le  peuple  s'assembla, 
et  on  le  regardait  comme  un  martyr  ;  il  y  eut  même  quel- 
ques prêtres  arrêtés  qui  se  préparaient  à  chanter  le  Te 
Deiwi.  On  ne  l'exposa  point,  mais  deux  jours  après  il  a 
été  mis  avec  grande  compagnie  d'archers,  et  il  n'a  point 
chanté.  Le  jugement  est  affiché  par  tout  Paris.  Il  a  ré- 
pondu dans  son  interrogatoire  comme  un  fanatique  ;  il  est 
banni  pour  six  ans.  »  [Corresp.  de  Marais.) 


214  Clairambault-AIaurepas. 

Pour  escorter  un  misérable  ? 

Il  sait  que  tu  ne  l'as  puni 

Que  parce  qu'il  n'est  pas  coupable, 

Et  qu'il  soutient  la  vérité 

Du  dogme  de  la  sainte  Eglise, 

Dont  ton  cœur  ne  s'est  écarté 

Que  par  esprit  de  convoitise. 

Tu  sens  comme  tous  les  méchants 

Les  remords  de  ta  conscience  ; 

La  noirceur  de  tes  jugements 

Bannit  de  chez  toi  l'assurance. 

A  la  naissance  du  Sauveur, 

Tel  fut  d'Hérode  le  salaire  ; 

Il  ne  put  rassurer  son  cœur 

Quelque  massacre  qu'il  pût  faire; 

Le  ciel  qui  cherche  à  te  toucher 

T'a  déjà  privé  de  ta  femme, 

Ton  frère  est  prêt  à  succomber  ^; 

L^n  autre  est  mort  d'un  mal  infâme-. 

Attends  donc  comme  Pharaon 

Le  comble  du  courroux  céleste 

Et  qu'indigne  de  tout  pardon, 

Des  tiens  tu  détruises  le  reste. 

Pour  nous  charger  d'indignes  fers; 

En  tous  lieux  tu  viens  nous  poursuivre 


1.  L'abbé  avait  essuj'é  l'opération  de  li...  (M.) 

2.  Il  était  mousquetaire;  la  chronique  dit  qu'il  s'était 
enfermé  avec  une  fille  pendant  huit  jours,  et  qu'il  s'en 
était  tant  donné  qu'il  tomba  d'épuisement  dont  il  est 
mort.  (M.) 


ADRIENNE     LECOUVREUR 

0  Tragédienne  (J) 


Année   ijSo.  215- 


Et  nous,  des  tourments  des  enfers, 
Nous  prions  Dieu  qu'il  te  délivre. 
Quoi  que  tu  fasses,  calme-toi, 
Jésus-Christ  veut  qu'on  sacrifie 
A  l'amour  de  la  sainte  loi, 
Les  biens,  le  repos  et  la  vie. 
Des  maux  que  l'on  nous  aura  faits. 
Il  se  réserve  la  vengeance. 
Les  martyrs  n'opposaient  jamais 
La  révolte  à  la  violence  ; 
On  vit  le  culte  des  païens 
S'établir  par  l'effort  des  armes  ; 
Mais  le  triomphe  des  chrétiens 
Est  la  foi,  la  paix,  et  les  larmes. 


LE   TOiMBEAU 

D'ADRIENNE  LECOUVREUR^ 

Quel  contraste  frappe  mes  yeux  ! 
Melpomène  ici  désolée. 
Élève  avec  l'aveu  des  dieux 
Un  magnifique  mausolée. 

I.  Adrienne  LecomTeur,  que  ses  contemporains  regar- 
daient comme  la  première  tragédienne  du  temps,  mourut, 
dit-on,  empoisonnée  par  la   duchesse  de  Bouillon,  qui  lui 


2i6  Clairamhault-Maurepas. 

Ici  la  superstition* 

Distinguant  jusqu'à  la  poussière, 

Fait  un  point  de  religion 

D'en  couvrir  une  ombre  légère  ^. 

Ombre  illustre,  console-toi, 

En  tous  lieux  la  terre  est  égale  ; 

Et  lorsque  la  Parque  fatale 

Nous  fait  subir  sa  triste  loi, 

Peu  nous  importe  où  notre  cendre 

Doive  reposer  pour  attendre 

Le  temps  où  tous  les  préjugés 

Seront  à  la  fin  abrogés. 

Les  lieux  cessent  d'être  profanes 

En  contenant  d'illustres  mânes  : 

Ton  tombeau  sera  respecté. 

S'il  n'est  pas  souvent  fréquenté 

Par  les  diseurs  de  patenôtres, 

Sans  doute  il  le  sera  par  d'autres 

Dont  l'hommage  plus  naturel 


disputait  l'amour  du  maréchal  de  Saxe.  «  Ses  talents,  dit 
Bouhier,  m'avaient  paru  supérieurs  à  ceux  des  Champ- 
meslé,  des  Duclos  et  des  Raisin.  A  la  voix  près,  qu'elle  avait 
moins  touchante  et  moins  belle  que  les  autres,  elle  l'empor- 
tait fort  à  mon  avis  pour  l'action  et  pour  le  jeu  naturel.  » 
I.  «  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice  a  été  voir,  au  sujet  de 
cette  mort.  Monseigneur  l'archevêque,  et  le  curé  n'a  pas 
voulu  la  laisser  enterrer  au  cimetière.  Il  a  fallu  un  ordre 
de  M.  le  lieutenant  de  police  pour  la  faire  enterrer  dans  un 
chantier  du  faubourg  Saint-Germain.  Mais  le  plus  plaisant 
est  que  par  son  testament  elle  avait  laissé  deux  mille  livres 
à  Saint-Sulpice  que  le  curé  n'aura  pas.  »  {Journal  de 
Barbier.) 


Année    ijSo.  217 


Rendra  ton  mérite  immortel. 
Au  lieu  d'ennuyeuses  matines, 
Les  Grâces  en  habit  de  deuil 
Chanteront  des  hymnes  divines 
Tous  les  matins  sur  ton  cercueil. 
Sophocle,  Corneille,  Racine, 
Sans  cesse  répandront  des  fleurs, 
Tandis  que  Jocaste  et  Pauline 
Verseront  un  torrent  de  pleurs. 
Enfin  pour  ton  apothéose 
On  doit  te  faire  une  ode  en  prose. 
Ce  chef-d'œuvre  d'un  bel  esprit 
Vaudra  bien  du  moins  un  obit. 
Méprise  donc  cette  injustice. 
Qui  fait  refuser  à  ton  corps 
Ce  que  par  un  plus  grand  caprice 
Obtiendra  Pelletier  Des  Forts. 
Cette  ombre  impie  et  criminelle 
A  la  honte  du  nom  françois, 
Quelque  jour  dans  une  chapelle 
Brillera  sous  l'appui  des  lois. 
Ainsi  par  un  destin  bizarre, 
Ce  ministre  dur  et  barbare 
Doit  reposer  avec  splendeur. 
Tandis  qu'avec  ignominie 
A  l'ombre  d'une  Cornélie 
On  refuse  le  même  honneur  ^. 


I.  «  C'est  Arouet,  fameux  poète,  qui  a  faii  cette  pièce  de 

19 


2i8  Clairamhault-Maurepas. 

Pourquoi  donc  s'informer  où  gît  la  Lecouvreur  ? 

Pour  sa  gloire  et  pour  son  honneur, 
Qu'importe  de  savoir  où  sa  cendre  repose? 
Vous  qui  la  connaissiez,  dressez-lui  des  autels 
Et  donnez-lui  l'encens  qu'on  doit  aux  immortels  ; 

Mais  laissant  son  apothéose, 
Disons  plutôt  qu'au  lieu  d'avoir  perdu  le  jour 
La  Lecouvreur  n'a  fait  que  changer  de  séjour  ; 
Que  celle  qui  faisait  l'honneur  de  ce  théâtre, 
Celle  dont  tout  Paris,  longtemps  admirateur. 

Devint  à  la  fin  idolâtre;  " 
Celle  pour  qui  Jocaste  au  gré  du  spectateur 
Avait  l'art  d'exciter  la  pitié,  la  terreur  ; 
Celle  enfin  qui  de  Phèdre,  avec  son  art  suprême, 
Peignait  si  bien  l'amour,  la  haine  et  la  fureur, 

Etait  Melpomène  elle-même. 

Sous  le  nom  de  la  Lecouvreur, 


vers.  Il  en  voulait  personnellement  à  M,  le  contrôleur 
général  Le  Pelletier  Des  Forts  qui,  justement,  a  été  chassé 
du  ministère.  Quand  il  parle  d'une  ode  en  prose  pour  chef- 
d'œu\Te,  c'est  pour  se  moquer  de  M.  de  La  Motte,  bel 
esprit  qui  a  fait  des  odes  et  dont  la  poésie  sent  la  prose 
dans  ^laquelle  il  excelle.  »  {Journal  de  Barbier.)  —  Dans 
son  Epitre  dédicatoire  de  Zaire,  Voltaire  a  rappelé  ce 
triste  refus  de  sépulture  : 

L'aimable  Lecouvreur, 
A  qui  j'ai  fermé  la  paupière, 
N'a  pas  eu  même  la  faveur 
De  deux  cierges  et  d'une  bière. 
Et  que  monsieur  de  Laubinière 
Porta  la  nuit  par  charité 
Ce  corps  autrefois  si  vanté 
Dans  un  vieux  fiacre  empaqueté 
Vers  le  bord  de  notre  rivière. 


Année    ij3o.  219 


Qu'est-il  donc  besoin  qu'on  l'enterre  ? 
Est-il  chez  les  mortels  des  tombeaux  pour  les  dieux? 
C'est  pour  nous  qu'ils  ont  fait  la  terre, 
C'est  pour  eux  qu'ils  ont  fait  les  cieux. 


LA 

NAISSANCE    DU   DUC   D'ANJOU^ 

Je  veux  à  mon  maître 
Boire  comme  un  trou, 
Il  vient  de  nous  naître 
Un  beau  duc  d'Anjou. 
Vertubleu  !  qwel  homme,  quel  homme,  quel  homme! 
Vertubleu  !  quel  homme  que  notre  bon  roi  ! 


De  cinq  enfants  père', 
Agé  de  vingt  ans  ! 


1.  «  Le  5  août,  naissance  de  M.  le  duc  d Anjou,  dont 
la  reine  accouche  heureusement.  Cette  seconde  faveur  du 
ciel  qui  assurait  d'autant  plus  la  succession  de  la  couronne 
dans  la  maison  royale,  causa  autant  de  joie  en  France 
qu'elle  donna  de  tranquillité  sur  cet  objet  à  tous  les  princes 
de  l'Europe.  Le  roi  assista  au  Te  Deiim  solennel  qui  fut 
chanté  à  Notre-Dame,  le  2  septembre,  en  actions  de  grâces 
de  cet  heureux  événement,  et  la  reine  vint  elle-même  dans 
cette  cathédrale  le  6  novembre,  remercier  Dieu  de  ses  bien- 
faits. »  {Journal  historique.) 

2.  Ces  cinq  enfants  étaient  :  Louise-Elisabeth  et  Anne- 


220  Clair  ambault-Maurepas. 

L'aventure  est  fière  : 
Buvons  mes  enfants. 

S'il  était  grand  père 
Dans  dix  ans  d'ici, 
La  plaisante  affaire, 
Le  vieillard  joli  ! 

Ma  foi  nos  provinces, 

S'il  va  de  ce  pas, 

A  tant  de  beaux  princes 

Ne  suffiront  pa?. 

Cherchons-leur  des  titres  ; 
Versez-moi  du  vin  ; 
Ouvrons  les  registres 
Du  dieu  du  raisin. 

Champagne  et  Bourgogne 
S'offrent  à  mes  yeux  ; 
Il  est  en  Gascogne 
Du  jus  précieux. 

Ah  !  pour  notre  sire 
Quel  contentement, 
De  se  reproduire 
Si  facilement. 

Henriette  de  France,  nées  le  14  août  1727,  Louise-Marie, 
née  le  28  juillet  1728,  le  Dauphin  et  le  duc  d'Anjou  qui 
mourut  en  1733. 


Année    ij3o.  22 1 


Remplissez  mon  verre  ; 
Portons  par  nos  chants 
Au  bout  de  la  terre 
Ses  heureux  talents. 

Cher  Bacchus,  arrange 
Tes  bienfaits  pour  nous, 
Règle  la  vendange 
Sur  des  dons  si  doux. 

Pour  tant  de  naissances, 
Vois  ce  qu'il  nous  faut, 
Dans  tes  ordonnances 
Songe  qu'il  fait  chaud. 

Que  pour  notre  reine, 
Des  dieux  bienfaisants, 
Notre  amour  obtienne 
S'il  se  peut  cent  ans. 

Mon  Dieu  !  qu'elle  est  bonne  ! 
Vidons  nos  flacons  : 
Les  biens  qu'elle  donne 
Suivent  nos  moissons. 
Vertubleu  !  quel  homme,  quel  homme,  quel  homme  ! 
Vertubleu  !  quel  homme,  que  notre  bon  roi  ! 


222  Clair  amhault- Maure-pas . 


HARANGUE   DE  M.  HÉRAULT 


ECOLIERS    DE   SAINTE-BARBE  i 

Vexez  goûter,  tendre  jeunesse, 

Un  sort  plus  doux; 
Fleury  vous  montre  la  tendresse 

Qu'il  a  pour  vous. 
Il  vous  ôte  des  précepteurs 

Tous  hérétiques. 
Et  vous  donne  pour  conducteurs 
La  fleur  des  catholiques. 

I.  Le  collège  Sainte-Barbe  abritait  deux  cents  écoliers 
pauvres,  que  l'on  appelait  Gillotins,  en  souvenir  de  Robert 
Gillot,  docteur  de  Sorbonne,  qui,  le  premier,  en  avait  re- 
cueilli dans  oe  lieu.  «  Ces  écoliers,  dit  Barbier,  allaient  en 
classe  au  collège  du  Plessis.  Il  y  avait  un  principal  et  sept 
ou  huit  ecclésiastiques  qui  enseignaient  cette  jeunesse.  Il 
en  sortait  les  meilleurs  écoliers  de  Paris  et  les  gens  les 
plus  savants,  mais  d'une  morale  non  convenable  au  temps, 
parce  que  ces  ecclésiastiques  étaient  grands  jansénistes  de 
leur  métier.  »  Aussi  le  cardinal  Fleury  et  l'archevêque  de 
Paris  résolurent-ils  de  les  expulser.  Le  7  octobre  1730,  à 
six  heures  du  matin,  «  M.  Hérault,  lieutenant  de  police, 
M.  Moreau,  procureur  du  Roi,  le  commissaire  Lecomteet 
autres,  avec  nombre  d'archers  sont  entrés  dans  ce  collège, 
dont  ils  ont  fermé  les  portes.  M.  le  lieutenant  de  police  a 
fait  un  discours  pathétique  aux  écoliers,  pour  leur  faire 
trouver  bon  l'ordre  du  Roi.  On  a  chassé  et  renvoyé  le 
principal  et  les  autres  ecclésiastiques.  On  a  évalué  ce  que 


Année    ij3o.  223 


Ils  arrivent  de  Saint-Sulpice, 

Oh  !  le  saint  lieu  ! 
Rendez  pour  un  si  grand  service 

Grâces  à  Dieu; 
Qu'entre  eux  et  vous  toujours  l'ardeur 

Soit  réciproque  : 
Leur  chef  vous  vient  du  grand  auteur 
De  Marie  Alacoque. 

Enfants,  écoutez  leur  parole 

Avec  respect, 
Il  ne  viendra  de  cette  école 

Rien  de  suspect. 
Vous  aurez  des  livres  pieux 

Dont  la  lecture 
Vous  instruira  mille  fois  mieux 
Que  la  sainte  Ecriture. 

Reprenez,  malgré  tous  les  gardes, 
Votre  air  serein; 


pouvaient  valoir  les  meubles  de  leur  chambre,  dont  on 
leur  a  délivré  l'argent  comptant,  et  on  a  substitué  à  leur 
place  des  prêtres  sulpiciens.  Tous  ces  pauvres  écoliers  qui 
étaient  fort  attachés  à  leurs  maîtres,  y  ont  marqué  leur 
mécontentement  par  leurs  pleurs.  Il  y  en  a  même  qui  ont 
jeté  des  pierres  à  un  jésuite  qui  regardait  à  une  fenêtre  du 
collège.  On  a  voulu  les  apaiser  en  leur  donnant  des  pou- 
lardes à  souper,  que  le  cuisinier  qui  demeurait  depuis 
trente  ans  dans  la  maison  a  dit  n'y  avoir  point  encore  vu 
manger.  M.  Hérault  y  a  dîné  et  resté  toute  la  journée.  Le 
lendemain  et  autres  jours  suivants,  la  plus  grande  partie 
des  parents  a  retiré  les  enfants.  » 


224  Clairamhault-AIaurepas. 

Je  veux  vous  nourrir  de  poulardes, 
Et  dès  demain  ; 
Et  pour  que  la  troupe  souvent 

Soit  régalée, 
Je  ferai  par  mon  camp  volant  ^ 
Confisquer  la  Vallée  ^. 


LE  DISCOURS 


M.  DE   LA   PARISIERE 

L'abbé  de  La  Parisière' 
Dit  au  roi  dans  son  discours  : 
Sire,  prêtez-nous  secours 

1.  Après  l'exil  de  M.  le  Duc,  la  garde  fut  dans  tous  les 
marchés.  (M.) 

2.  On  appelait  la  Vallée  l'endroit  du  quai  des  Augustins 
où  se  tenait  le  marché  du  gibier  et  de  la  volaille  que  les 
paysans  apportaient  pour  la  provision  de  Paris. 

3.  Jean-César  Rousseau  de  la  Parisière,  évêque  de  Nîmes. 
Député  à  l'assemblée  du  clergé  de  1730,  il  y  fut  chargé  de 
la  harangue  de  clôture  que  l'on  adressait  au  roi.  Il  se  plai- 
gnit vivement  de  ce  que  quarante  avocats  avaient  signé  un 
mémoire  en  faveur  de  curés  d'Orléans  interdits,  pour 
revendiquer  les  droits  du  Parlement  en  matière  d'appel 
comme  d'abus  des  censures  ecclésiastiques.  Ce  mémoire  fut 
supprimé  par  arrêt  du  conseil  du  30  octobre. 


Année    ijSo.  22^ 


Contre  un  mal  que  l'on  doit  faire. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom, 
Mais  ce  mal  nous  désespère. 
Je  n'en  dirai  pas  le  nom; 
Procurez-nous  guérison. 

Abbés  et  prélats  ensuite 
Aussitôt  ont  répété  : 
Sire,  il  a  dit  vérité; 
Ordonnez  une  visite. 
Nous  n'en  dirons  pas  le  nom, 
Mais  nous  en  craignons  les  suites, 
Nous  n'en  dirons  pas  le  nom  ; 
Procurez-nous  guérison. 

Le  roi,  d'un  air  débonnaire. 
Dit  :  J'ignore  votre  mal. 
Mais  Petit  et  Malaval  ^ 
Prendront  soin  de  votre  affaire  : 
Ils  n'en  diront  pas  le  nom, 
Ils  ont  appris  à  se  taire. 
Ils  n'en  diront  pas  le  nom  ; 
Recevez  d'eux  guérison. 

I.  Chirurgiens.  (M.).  On  comprend  sans  peine  la  plai- 
santerie. Elle  frappait  d'autant  plus  juste  que  le  prélat 
passait  pour  avoir  des  mœurs  fort  suspectes. 


226  Clairambault-Alaurepa. 


LA   RECOMPENSE 
DE  L'AVOCAT  DAUNARDi 


Il  faut  que  la  cour  se  cotise 
Pour  dignement  récompenser 
Celui  qui  vient  lui  dénoncer 
De  nos  avocats  la  sottise. 
Le  roi  lui  donnera,  sans  grande  résistance, 
Tout  ce  qu'il  perdit  hier  à  la  réjouissance  -. 
Notre  ministre  cardinal, 
Encore  plus  libéral, 
Pour  marquer  sa  grande  largesse, 
Au  dénonciateur  cédera  sa  noblesse. 
Le  sage  et  ferme  d'Aguesseau 
Lui  donnera  le  quart  du  revenu  du  sceau  ^. 
La  belle  récompense  ! 

1.  «  Un  avocat,  nommé  Daunard,  qui  plaide  bien,  et  a 
beaucoup  d'emploi,  s'est  voulu  distinguer.  Il  a  refusé  de 
signer  le  mémoire  ou  la  première  requête  [pour  les  curés 
d'Orléans]  ;  il  a  même  dit  que  les  quarante  se  tireraient 
de  la  sottise  qu'ils  avaient  faite  comme  ils  pourraient  ; 
mais  que,  pour  lui,  il  continuerait  toujours  de  plaider 
quand  les  autres  cesseraient.  Ma  foi  !  cette  affaire  a  mal 
tourné  pour  lui,  car,  à  la  rentrée,  ceux  qui  étaient  char- 
gés des  causes  contre  lui  ont  refusé  de  plaider.  »  [Journal 
de  Barbier.)  Daunard  fut  rayé  du  tableau  des  avocats. 

2.  Le  roi  jouait  et  gagnait  beaucoup. 

3.  A  cause  qu'il  ne  les  a  pas.  [Note  de  Barbier.) 


Année    ij3o»  22^ 


Et  Chauvelin  lui  léguera 
Les  présents  qu'on  lui  offre,  et  qu'il  refusera  *. 
Autre  magnificence  : 

Portail  lui  fera  son  présent 
De  l'estime  qu'il  s'est  acquise  en  Parlement  -, 

Et  notre  seigneur  Vintimille 

A  tous  les  curés  de  la  ville 

Ordonnera  avec  rigueur 
De  boire  à  la  santé  du  dénonciateur  : 
Ce  qui,  selon  la  foi  que  le  prélat  professe, 
Lui  fera  plus  de  bien  que  non  pas  une  messe  ^. 

Hérault  au  dénonciateur 

Accordera  le  privilège, 
D'écrire  et  vendre  seul  le  mémorable  siège 
Qu'il  fit  à  Sainte-Barbe,  et  dont  il  fut  vainqueur  ^. 

Enfin  tout  le  clergé  de  France 

1.  Sur  ce  qu'on  a  dit  qu'en  qualité  de  secrétaire  d'Etat 
des  Affaires  étrangères,  il  avait  reçu  de  grosses  sommes 
pour  le  traité  de  Séville  de  la  part  des  Anglais.  {Note  de 
Barbier) 

2.  A  cause  de  ce  qui  s'est  passé  lors  du  dernier  lit  de 
justice  du  mois  d'avril.  [Note  de  Barbier.) 

3.  Notre  archevêque  :  disant  qu'il  aime  à  boire  et  qu'il 
n'est  pas  dévot.  {Note  de  Barbier.) 

4.  Lorsqu'il  est  venu  chasser  les  prêtres  qui  étaient  au 
collège  de  Sainte-Barbe.  {Note  de  Barbier.)  —  L'on  avait 
gravé  une  estampe  janséniste  qui  représentait  le  cardinal 
et  l'archevêque  avec  un  héraut  à  leur  tête,  exécutant 
leurs  ordres  ;  le  cadre  était  orné  de  devises  sacrées,  et  au 
bas  se  lisait  cette  inscription  : 

Fracta  pietaiis  incunabula, 
Schola  vertlalis  everste 
Dotntis  hostibus  tradita, 
vu  octobr.  MDCCxxx. 


228  Clairambault-Maurepas, 

Lui  fera  pension 
Non  pas  sur  leur  propre  finance, 
Mais  sur  le  bien  que  fait  la  Constitution. 


LES    AVENTURES 


MADEMOISELLE  PELISSIER 


Or  écoutez^  grands  et  petits, 
Ce  qui  se  passe  dans  Paris 
D'un  juif  avec  une  chrétienne, 
Qui,  comme  une  vilaine  chienne, 
Couche  avec  lui  impunément. 
Le  tout  pour  avoir  son  argent. 

Son  mari  qui  est  à  Rouen 
Est  venu  fort  secrètement 

I.  «  François  Lopez  Dulys,  juif,  né  à  Amsterdam,  et 
prodigieusement  riche,  fit,  en  1729,  un  voyage  à  Paris.  Il 
s'y  amouracha  de  la  Pélissier,  actrice  de  l'Opéra,  peu  jolie 
et  sans  esprit  ;  il  fallut  bien  des  négociations  pour  en  venir 
à  bout...  Le  mari  de  la  Pélissier  écrivit  à  Dulys  que  sa 
femme  était  à  son  service  s'il  voulait  donner  15,000  livres 
pour  elle  et  10,000  livres  pour  lui.  Le  marché  fut  conclu, 
et  la  Pélissier  employa  tout  son  art  pour  tirer  de  lui  une 
grande  quantité  de  pierreries.  »  {Mélanges  de  Boisjoiirdain.) 


Année   lySo.  22<^ 


Et  s'en  est  retourné  de  même 
Après  lui  avoir  fait  son  thème 
Et  donné  son  consentement 
Pour  duper  cet  indigne  amant. 

Elle  part  donc  avec  ce  juif  ^ 
Qui  pue  comme  un  quintal  de  suif, 
Pour  aller  faire  sa  fortune, 
Qu'elle  dit  n'être  pas  commune. 
Enfin  elle  suit  sans  horreur 
L'ennemi  de  notre  Sauveur. 

Elle  se  moque  de  cela 

Et  prend  congé  de  l'Opéra  : 

Adieu,  Paris,  adieu  parterre, 

Tu  ne  nous  feras  plus  la  guerre. 

Adieu,  Francœur^,  mon  petit  cœur. 

Je  te  souhaite  bien  du  bonheur. 

Adieu  tous  mes  anciens  amis  : 
Je  vais  dans  un  autre  pays 
Que  l'on  appelle  la  Hollande, 
Où  personne  ne  vous  demande 
Si  vous  êtes  juif  ou  chrétien, 
Car  tout  cela  ne  sert  de  rien.  — 


1.  Elle  refusa  de  le  suivre  en  Hollande,  après  le  lui 
avoir  promis.  (Cf.  ci-après  p.  253.) 

2.  François  Francœur,  entré  fort  jeune  en  qualité  de 
violoniste  à  l'Opéra,  avait  été  admis  dans  la  musique  de  la 
Chambre  du  roi. 


230  Clairamhault-Maurepas, 

Il  est  sûr  que  quelque  matin 
Elle  verra  l'esprit  malin 
Qui  fait  sentinelle  à  sa  porte. 
Crains,  Pélissier,  qu'il  ne  t'emporte 
Ou  que  tu  ne  périsse  un  jour, 
Comme  a  fait  monsieur  Deschaufour. 


LE   TRIO   COMIQUE 


Ux  riche  juif  et  un  dévot  curé  - 
Voulant  dévaliser  une  coquette  fine 

1.  La  liaison  du  juif  Dulys  avec  la  Pélissier  eut  d'abord 
des  suites  comiques.  Peu  satisfait  des  infidélités  de  l'ac- 
trice, le  juif  voulut  rentrer  en  possession  des  diamants 
qu'il  lui  avait  donnés.  «  Il  s'est  plaint,  dit  Barbier,  un  peu 
avant  son  départ,  que  la  Pélissier  lui  en  avait  pris  qu'elle 
ne  voulait  pas  lui  rendre,  qu'il  voulait  en  avoir  raison  par 
les  voies  de  la  justice,  et  que,  pour  cet  effet,  il  avait  laissé 
une  somme  entre  les  mains  du  curé  de  Saint-Sulpice  pour 
poursui\Te  cette  affaire,  et  qu'il  lui  donnait  ce  qu'il  en  re- 
tirerait. »  Citée  devant  le  lieutenant  de  police,  la  Pélissier 
présenta  un  écrit  par  lequel  le  juif  s'était  engagé  à  ne  rien 
réclamer  de  ce  qu'il  lui  avait  donné,  et  Dulys  fut  débouté 
de  sa  demande. 

2.  Languet  de  Gerg}',  curé  de  Saint-Sulpice,  et  frère  de 
l'archevêque  de  Sens.  Ce  prélat,  que  Barbier  appelle  «  un 
bohème  adroit  et  qui  n'épargne  aucun  tour  de  souplesse 
pour  pouvoir  venir  à  bout  de  faire  achever  les  bâtiments 
de  son  église  »  s'était  chargé,  comme  on  le  voit,  d'une 
mission  assez  scabreuse. 


Année   lySo, 


(Les  noms  ne  font  rien  au  marché 
Puisque  aisément  on  les  devine), 
Chacun  de  ces  acteurs  paraît  fort  occupé 
A  rempHr  son  rôle  comique  ; 
Le  juif  y  joue  l'amant  dupé, 
La  donzelle  3'  défend  la  récolte  lubrique; 
Le  curé,  comme  un  bon  pasteur. 
Destinant  tout  à  son  saint  édifice, 
Entreprend  de  venger  l'acteur 
Par  la  dépouille  de  l'actrice. 
Ah  !  le  plaisant  événement  ! 
Qu'il  sera  digne  de  mémoire! 
Si  le  curé  remporte  la  victoire. 
Il  gagne  d'un  seul  coup  le  prix  de  plus  de  cent. 


Qu'un  cafard  ait  tiré  d'une  vieille  lubrique  ^ 
Par  mal  engin,  jusqu'au  dernier  écu; 
Que,  par  maint  tour  de  pareille  rubrique, 
Loup  dévorant,  sous  manteau  de  vertu. 
Il  tende  un  piège  à  tout  sexagénaire  ; 
Que,  fondateur  d'un  nouveau  séminaire-. 


1.  M™^  de  Cavoye,  amie  intime  du  curé  de  Saint-Sul- 
pice,  auquel  elle  avait  fourni  de  l'argent  pour  ses  construc- 
tions. Les  légataires  de  M"'®  de  Cavoye  se  plaignirent  de 
ses  prodigalités  dans  un  mémoire  où  il  était  dit  «  qu'elle 
est  conseillée  par  un  directeur  qui  fait  des  bâtiments  et 
qui  a  besoin  de  grues  ». 

2.  Le  séminaire  de  l'Enfant-Jésus  pour  des  demoi- 
selles. (M.) 


272  Clair  ambault-Maurep  as. 

Où  n'est  admis  que  sexe  féminin, 
Dans  ce  sérail  il  ait  double  salaire  : 

La  nuit  jeune  tendron,  le  jour  profit  et  gain  ; 
Nouveau  Midas,  que  toute  la  nature 
Devienne  de  l'or  en  sa  main, 
Des  fils  de  Loyola  voilà  la  tablature. 
Mais  vouloir  extorquer  la  dépouille  d'un  juif 

Fruit  d'un  commerce  affreux  dont  tout  Paris  murmure, 
Ah  !  curé,  c'en  est  trop.  Quoi  !  d'un  rabbin  lascif, 
De  fille  d'Opéra  l'accouplement  mesquif 
Contribuera,  prélat,  à  ta  sainte  entreprise  ? 
Ah  !  quel  ciment  pour  les  murs  de  l'église  ! 


Le  vingtième  jour  de  janvier, 
La  Pélissier  fut  circoncise. 
Elle  trompa  son  chevalier 
Le  vingtième  jour  de  janvier, 
Et  fit  un  tour  de  son  métier 
Contre  sa  foi  et  son  église. 
Le  vingtième  jour  de  janvier 
La  Pélissier  fut  circoncise. 


Pélissier  disait  à  Soissons 
Grave  auteur  de  la  Coque; 
Un  riche  juif  b Manon, 


Année    ij3o  233 


Et  tout  Paris  s'en  moque; 
S'il  en  arrive  un  Cupidon, 
Prélat,  daigne  m'instruire, 
Faut-il  baptiser  le  poupon 
Ou  bien  le  circoncire  ? 


Il  est  vrai  que  pour  mes  appas  ^ 

Un  circoncis  soupire, 
Et  que  j'ai  reçu  maints  ducats 

Pour  finir  son  martyre. 
Quelle  horreur  !  quelqu'un  me  dira, 

Qu'un  juif  vous  entretienne. 
Il  est  juif,  tant  qu'il  vous  plaira, 
Mais  la  somme  est  chrétienne. 


Un  circoncis  pour  un  baiser 
M'offre  mainte  pistole. 
Si  j'allais  le  lui  refuser, 
Ce  serait  être  folle  ; 
Allons  !  Francœur, 
Point  de  rigueur, 
Il  faut  que  je  me  rende.  — 

.  C'est  M"«  Pélissier  qui  parle. 

V. 


234  Clairambault-AIaurepas. 

Eh  bien  !  Manon,  rendez-vous  donc, 
Mais  partageons  l'offrande.  — 

Je  consens  que  de  mes  ducats 

Francœur  entre  en  partage  ; 
Mais,  si  de  tes  charmants  appas 
Il  fait  encore  usage, 
Ma  Pélissier, 
Sans  nul  quartier 
Je  le  fais  circoncire.  — 
Fi  donc,  rabbin. 
C'est  son  engin 
Qui  m  a  servi  de  lyre. 


LES 

GÉMISSEMENTS  DE  LA  FRANCE 


Que  deviendra  donc  notre  France  '. 

Hélas  !  mon  Dieu, 
On  n'y  voit  plus  que  violence 

Presqu'en  tous  lieux. 
Interdit,  exil  et  prison. 

Insulte,  outrage. 
Fruit  de  la  Constitution, 
Des  jésuites  l'ouvrage. 


Année   ij3o.  235 


De  l'ancienne  Sorbonne  on  chasse 

Tout  bon  docteur  ^, 
Il  n'y  reste  que  la  Carcasse  ^ 

Oui  fait  horreur. 
Du  pieux  Durieux  l'on  détruit 

La  sainte  école  ^  ; 
Toutes  tes  sources  l'on  tarit, 
O  divine  parole  ! 

Nos  plus  éclatantes  lumières 

Sous  le  boisseau, 
Font  voir  en  terres  étrangères 

1.  Au  prima  mensis  de  novembre,  le  syndic  de  Sor- 
bonne, Romigni,  en  vertu  d'une  lettre  de  cachet,  ôta 
toute  voix  active  et  passive  et  même  les  émoluments,  à 
tous  les  docteurs  qui  avaient  appelé  depuis  1720,  ou  qui 
avaient  adhéré  aux  lettres  pastorales  des  évêques  de  Mont- 
pellier et  de  Senez.  Grâce  à  cette  mesure,  et  malgré 
les  protestations  des  docteurs  exclus,  la  Constitution  fut 
reçue. 

2.  «  La  faculté  de  théologie,  ainsi  dénuée  de  ses  mem- 
bres les  plus  éclairés  et  les  plus  intrépides,  reçut  la  dé- 
nomination burlesque  de  Carcasse,  image  allégorique  de 
son  état  nul  ou  passif.  Ce  n'était  plus  ce  corps  scienti- 
fique, l'oracle  de  la  France,  en  matière  de  doctrine,  dont 
toute  l'Europe  et  le  monde  chrétien  respectaient  et  admi- 
raient les  décisions  :  assemblage  de  membres  pusilla- 
nimes, intimidés  par  les  menaces,  ou  d'ambitieux  ar- 
dents, éblouis  parles  promesses,  c'était  un  simulacre  vain, 
dont  l'intrigue  faisait  mouvoir  et  dirigeait  les  ressorts.  » 
{Vie  privée  de  Louis  XV.) 

3.  Sainte-Barbe.  (M.)  —  Durieux,  docteur  de  Sorbonne 
et  principal  du  collège  du  Plessis,  avait  continué  la  libé- 
ralité du  chanoine  Gillot  en  faveur  des  deux  cents  pau- 
vres écoliers  élevés  à  Sainte-Barbe. 


236  Clairambault-AIaurepas. 

Maint  autre  Arnauld. 
Les  amis  de  la  vérité 

Et  de  l'Église 
Sont  tenus  en  captivité  ; 

Peuples,  quelle  surprise  ! 

Cher  Desessarts,  quel  est  ton  crime  ^  ? 

Chacun  le  sait. 
La  charité,  dont  Dieu  t'anime, 

Fut  ton  forfait. 
Qu'un  abbé  nourrisse  des  chiens, 

En  cour  il  brille; 
Pour  avoir  nourri  des  chrétiens 
Tu  souffres  la  Bastille. 

Mais  qu'ont  fait  Joubert  -  et  Nivelle  ^ 

Pour  être  pris  ? 
Ils  ont  expliqué,  pleins  de  zèle, 

Les  saints  Écrits. 
Est-ce  un  mal  de  t'interpréter. 


1.  L'aîné  des  deux  frères  Desessarts,  Alexis,  prêtre  du 
diocèse  de  Paris,  s'était  fait  remarquer  par  son  opposition 
à  la  bulle. 

2.  L'abbé  François  de  Joubert,  soupçonné  de  collabora- 
tion aux  Nouvelles  ecclésiastiques^  fut  enfermé  à  la  Bastille 
le  14  novembre  1730,  et  en  sortit  le  23  décembre,  pour  être 
exilé  à  Montpellier. 

3.  L'abbé  Gabriel-Nicolas  Nivelle,  agent  zélé  du  jansé- 
nisme, fut  enfermé  quatre  mois  à  la  Bastille,  pour  avoir 
colporté  chez  les  curés  de  Paris  une  requête  anticonstitu- 
tionnaire. 


Année    ij3o.  237 


Sainte  Écriture? 
Est-ce  un  mal  d'en  faciliter 
Au  peuple  la  lecture  ? 

Pour  sa  piété  l'on  soupçonne 

Un  crocheteur; 
Sans  autre  crime  on  l'emprisonne 

Comme  un  voleur; 
On  frappe,  sans  distinction 

De  sexe  et  d'âge, 

Des  saints  dont  la  religion 

Fait  l'unique  partage. 

Fidèles,  frémissez  de  crainte, 

Vos  directeurs 
Vous  sont  enlevés  par  contrainte, 

Et  vos  pasteurs; 
Vous  êtes  livrés  à  des  loups 

Pour  vous  conduire, 
Ils  vous  paraissent  bons  et  doux. 
Mais  c'est  pour  vous  séduire. 

Ils  feront  régner  l'ignorance, 

La  fausse  paix  ; 
Elargiront  les  consciences  ; 

Par  leurs  délais. 
Ils  flattent  d'un  fatal  repos 

Loin  des  alarmes. 
Mais  suivront  d'efflroyables  maux 
Et  d'éternelles  larmes. 


238  Clairamhault-AIaurepas. 

Préservez- moi  par  votre  grâce, 
O  mon  Sauveur  ! 

Du  loup  qui  s'ingère  à  la  place 
De  mon  pasteur. 

Plutôt  mourir  que  d'accepter 
La  bulle  inique 

Que  l'on  voudrait  substituer 
A  la  foi  catholique. 

Saints  confesseurs,  par  vos  prières 

Soutenez-nous; 
Par  votre  exemple  et  vos  lumières, 

Instruisez-nous; 
Conservés  dans  la  vérité 

Par  vos  souffrances, 

Nous  vivrons  dans  la  charité 

Formés  par  l'espérance. 


NOELS  DE  L'ANNÉE  1730 


Pauvres  prélats  ! 
Vous  voilà  bas. 
Traités  comme  des  pieds  plats 


I.    Les  hommages  de  la  nouvelle  Sorbonne  à  la  crèche 
du  Sauveur.  Çsl.)  —  Les  deux  copies  de  cette  pièce  que 


Année    lySo.  239 


Par  nos  seigneurs  les  avocats. 
Courez  tous  à  l'étable 

Quand  le  Sauveur  n'y  sera  plus: 
Courez  tous  à  l'élable 
Vous  serez  bien  reçus; 

L'âne  rira, 
D'aise  il  braira. 
Dans  la  Carcasse  qu'il  verra, 
Que  d'amis  il  y  trouvera. 

Le  grand  Colas  ^ 

Haranguera, 
Le  syndic  argumentera, 
Et  l'âne  docteur  on  fera. 

Ce  bourriquet, 
Dit-on,  s'est  fait 
Couper  les  oreilles  tout  net. 
Pour  pouvoir  mettre  le  bonnet. 

Le  moine  grand-, 
En  arrivant, 


nous  avons  eues  sous  les  yeux  étaient  incomplètes  et 
inexactes  ;  pour  établir  le  texte,  nous  avons  dû  les  fondre 
ensemble  et  transposer  les  couplets  dont  l'ordre  logique 
se  trouvait  interverti. 

1.  Docteur  moliniste.  (M.) 

2.  Le  moine  Laine,  docteur  moliniste.  Çsl.) 


240  Clairambault-Maurepas. 

Le  saluera  comme  parent, 
Et  lui  fera  son  compliment. 

A  ce  discours, 
L'âne  à  son  tour 
Dira  :  Cousin,  en  ce  grand  jour 
Partagez  l'honneur  de  ma  cour. 

Ami  baudet, 
Dira  Languet, 
De  la  Coque  amant  indiscret, 
Ne  suis-je  pas  auteur  parfait  ? 

Fade  orateur. 
Sot  harangueur; 
Nîmes,  de  son  discours  mal  fait, 
Recevra  mille  camouflets. 

Anes  mîtrés. 
Anes  crottés  et  rebâtés 

Docteurs  bâtés 
Arriveront  de  tous  côtés. 

Du  Luc^  viendra. 

Qui  portera 
Mandement  qui  foudroiera. 
Mais  que  point  on  ne  publiera. 

I.  L'archevêque  de  Paris. 


Année    ij3o.  241 


Bissy  suivra, 

Oui  conduira 
Les  enfants  noirs  de  Loyola, 
Hussards  du  docteur  Molina. 

Nîmes  y  sera, 

Il  y  verra 
Ses  créanciers,  il  sortira 
Par  la  fenêtre  et  s'enfuira  -. 

A  Lan  guet,  là. 

L'âne  dira 
Que  l'approbateur  il  sera 
Du  premier  livre  qu'il  fera. 

*  Qu'il  fera  beau 
Voir  ce  troupeau 
A  l'âne  tenir  des  propos 
Et  braire  avec  lui  par  échos. 

Sur  le  sujet 
Du  faux  décret^ 

On  interrogera  baudet, 

Il  opinera  du  bonnet. 


1.  Pour  esquiver  ses  créanciers,  l'évêque  de  Nimes  s'était 
échappé  de  son  hôtel  par  une  fenêtre. 

2.  «  Le  sieur  Romigni  et  autres  molinistes  de  Sorbonne 
avaient  voulu  faire  revi^Te  le  Décret  du  sieur  Le  Rouge 
de  1714,  déclaré  faux  par  la  Faculté  en  1716.  »  {Abrégé 
chro7iol.) 

V.  21 


242  Clair  ambault-Maurepas. 

Un  grand  repas 

L'on  servira, 
La  Carcasse  s'y  remplira 
De  foin,  de  son,  et  crèvera. 

Chacun  boira 
Tant  qu'il  voudra, 
A  son  gré  pourpoint  remplira 
Et  Vintimille  y  baffrera. 

De  son  réduit, 

Avant  la  nuit, 
L'âne  en  fourrure  fut  conduit 
Jusqu'à  la  Sorbonne  à  grand  bruit. 

Avec  serment. 

En  arrivant. 
Il  accepta  joyeusement 
La  bulle  du  pape  Clément. 

Il  prêchera. 

Disputera, 
Quelques  curés  desservira, 
A  Sainte-Barbe  enseignera. 

Que  de  combats 

Il  livrera  ! 
Tous  les  appelants  qu'il  ven^a. 
Contre  eux  à  l'instant  écrira. 


Année    ij3o.  243 


Un  tel  docteur, 

Un  tel  recteur, 
A  la  Carcasse  fait  honneur, 
De  ses  membres  il  est  la  fleur. 

Pauvres  prélats  ! 
Vous  voilà  bas, 
Traités  comme  des  pieds  plats 
Par  nos  seigneurs  les  avocats. 

Courez  tous  à  l'étable. 
Quand  le  Sauveur  n'y  sera  plus  ; 
Courez  tous  à  l'étable, 
Vous  serez  bien  reçus. 


EPIGRAMMES   DIVERSES 

SUR    FLEURY    ET    CHAUVELIX 

L'ux,  orné  du  cardinalat, 
Ne  veut  que  paix  et  que  simplesse  ; 
L'autre,  grand  ministre  d'État, 
N'est  connu  que  par  sa  souplesse, 
Son  mérite  est  au  cofFre-fort  ^. 
Dirai-je  mon  conjiteor? 


I.  Il  a  donné  200,000  livres  à  la  princesse  de  Carignan 
pour  être  en  place.  (M.) 


244  Clairamhault-AIaurepas. 

Il  gouverne  tranquillement, 
Grâce  au  Parlement  d'Angleterre 
Pour  nous  détruire  entièrement, 
Il  ne  faut  pas  faire  la  guerre. 
Comme  l'Anglais  est  le  plus  fort. 
Quoi  qu'il  fasse,  nous  aurons  tort. 


SUR    M.    DE    LA   PARISIERE 


Pour  éviter  des  juifs  la  fureur  et  la  rage, 
Paul  dans  la  ville  de  Damas 
Descend  de  sa  fenêtre  en  bas; 
La  Parisière  en  homme  sage, 
Pour  éviter  ses  créanciers, 
En  fit  autant  ces  jours  derniers. 
Dans  un  siècle  tel  que  le  nôtre. 

On  ne  laissera  pas  d'être  surpris,  je  crois, 
Qu'un  de  nos  prélats,  une  fois. 

Ait  pu  prendre  sur  lui  d'imiter  les  Apôtres. 


SUR  MADEMOISELLE    DAXGEVILLE" 

Jeuxe  Dangeville,  à  quoi  bon 
Prendre  l'habit  de  Cupidon  ? 

1.  Par  J.-B.  Rousseau. 

2.  Jouant  le  rôle  de  Cupidon.  (M.)  —  Elle  avait  débuté 
en  1730,  à  l'âge  de  16  ans,  dans  le  Médisayit  de  Destouches. 


Année    ij3o.  245 


Déjà  vous  régnez  dans  Cvthère. 
Les  autels  vous  sont  résen^és  ; 
Xous  le  savons,  vous  le  savez, 
Les  Amours  ont  trahi  leur  mère 
Pour  vous  seule  qui  la  bravez  : 
De  leur  parure  ils  ont  affaire  ; 
Sans  besoin  vous  vous  en  servez, 
N'empruntez  jamais  rien  pour  plaire, 
Car,  en  fait  d'appas,  vous  avez 
Bien  au  delà  du  nécessaire. 


Sous  les  atours  de  Cupidon, 
Vénus,  rencontrant  Dangeville, 
La  prit  pour  ce  malin  garçon, 
La  méprise  est  assez  facile. 
Ah  !  dit  la  reine  des  amours, 
Mon  fils  embellit  tous  les  jours. 


SUR   MADEMOISELLE    DE    RETZ 

Sans  altérer  votre  sagesse, 
Vous  le  pouvez,  jeune  comtesse, 
Faire  cocu  ce  vieux  poltron. 


I.  A  propos  de  son  mariage  avec   le   comte  de  Chabot, 
ci-devant  chevalier  de  Rohan.  (M.) 

V.  21. 


246  Clair  ambault-Maurepas. 

Votre  honneur  même  vous  en  somme, 
Il  ne  vous  ferait  qu'un  fripon; 
Couchez  avec  un  honnête  homme. 


SUR   MADAME   DE    LA  FARE 

Lorsque  vous  vîtes  Courcillon 
Avec  un  air  farouche 
Venir  faire  le  carillon 
Jusque  dans  votre  couche, 
Il  fallait,  l'ayant  aperçu 
A  travers  la  nuit  sombre. 
Lui  tourner  au  plus  tôt  le  c... 
Pour  apaiser  son  ombre. 


I.  «  M™"  de  La  Fare,  fille  de  Paparel,  rêva  la  nuit 
qu'un  ancien  ami,  Courcillon,  mort  dix  ans  auparavant, 
lui  apparaissait  et  lui  disait  gaiement  :  Nous  nous  diver- 
tissons bien  là-bas  ;  nous  vous  y  verrons  aussi  là-bas.  Il 
est  vrai  qu'elle  avait  déjà  eu  un  léger  commencement 
d'indisposition.  Elle  mourut  au  bout  de  huit  jours,  frap- 
pée de  la  prophétie  de  Courcillon.  »  {Mém.  du  marquis 
d'A  rgenson.) 


ANNÉE    1731 


UN  HERCULE  EN  ENFANCE 


Qu'un  lâche  adulateur,  sur  l'appât  du  salaire, 
Bassement  te  prodigue  un  encens  mercenaire; 
Que,  gravant  ton  portrait  sur  l'or  chéri  de  lui  ^, 
De  l'empire  français  il  te  fasse  l'appui; 
Qu'il  vante  sans  pudeur  tes  vertus  cardinales. 
Qu'il  y  joigne  s'il  veut  les  trois  théologales, 
Qu'il  dise  que  le  ciel  te  fit  pour  enseigner 
Au  docile  Louis  le  grand  art  de  régner; 
Qu'il  chante  de  Soissons  le  congrès  inutile, 
Le  massacre  d'Embrun,  le  traité  de  Séville  -  ; 

1.  Le  duc  d'Antin  présenta  le  premier  jour  de  l'an  1731, 
au  cardinal,  une  médaille  où  ce  ministre  est  gravé  avec  cette 
inscription:  AND REyE  HERCULI  DE  FLEURY 
REGNI  ADMINISTRO;  au  revers  de  laquelle  est 
une  colonne  sur  son  piédestal,  surmontée  d'un  globe 
fleurdelisé.  Aux  quatre  coins  les  vertus  cardinales  avec 
cette  légende  :  VIRTUTES  REGNI  ADMI- 
NISTRA. (M.) 

2.  Le  traité  de  Séville  (9  nov.  1729)  avait  terminé  les 
négociations  du  congrès  de  Soissons. 


24H  Clair  ambaul  t-AIaurepas. 

Que  de  ta  politique  admirant  le  ressort 
Il  place  dans  tes  mains  de  l'Europe  le  sort  ; 
D'Antin  le  veut  :  d'Antin,  né  pour  la  sersùtude, 
Savant  dans  ce  métier  par  une  longue  étude. 
Pour  moi  Fleury  plus  libre  avec  le  fier  Anglois, 
Le  solide  Germain  et  le  sage  Gaulois, 
Des  éloges  d'un  sot  justement  je  m'offense, 
Et  je  ris  des  travaux  d'un  Hercule  en  enfance. 


Confondant  du  passé  le  faible  souvenir, 
Ebloui  du  présent  sans  parer  l'avenir, 
Et  dans  l'art  de  régner  décrépit  et  novice  ; 
Punissant  la  vertu,  récompensant  le  vice  , 
Fourbe  dans  le  petit  et  dupe  dans  le  grand, 
Tel  est  ce  cardinal  accablé  de  son  rang. 


LA 

VAILLANCE   DE   FLEURY 


Au  roi  qui,  l'autre  jour,  disait  au  cardinal  : 
Si  l'on  vient  à  tirer  l'épée. 
Qui  prendrai-je  pour  général  ? 

Ce  ministre  s'offrit  pour  commander  l'armée. 


Année    ijSi.  249 


Sire,  dit-il,  la  France  a  vu  des  cardinaux  ^ 
Par  vos  prédécesseurs  choisis  pour  généraux; 
Ne  puis-je  pas  comme  eux  acquérir  de  la  gloire. 

Immortaliser  ma  mémoire, 

Exposer  mes  jours  pour  mon  roi, 

Par  quelque  signalé  service, 
]SIériter  les  bontés  qu'il  daigne  avoir  pour  moi  ? 
Dans  le  métier  de  Mars  je  ne  suis  point  novice, 

J'ai  déjà  des  commencements 
Capables  de  donner  l'alarme  aux  Allemands. 

A  la  tête  des  molinistes. 
Je  fais  depuis  longtemps  la  guerre  aux  jansénistes, 

Et  sans  quartier  et  sans  pitié 

J'en  ai  déconfit  la  moitié; 

J'ai  fait  des  prisonniers  sans  nombre  ; 

Le  reste  craint  jusqu'à  mon  ombre. 
Ces  jours  passés,  par  un  détachement 

Commandé  par  un  lieutenant^ 

Dont  on  connaît  la  noble  audace, 

1.  Richelieu,  Sourdis  et  La  Valette.  (M.).  —  Le  cardinal 
de  Richelieu  avait  commandé  l'armée  d'Italie,  en  1625,  et 
dirigé  le  siège  de  La  Rochelle  contre  les  protestants, 
en  1628,  avec  le  titre  de  grand  maître  et  surintendant 
général  de  la  navigation.  Henri  d'Escoubleau  de  Sourdis, 
archevêque  de  Bordeaux,  chef  du  conseil  du  roi  en  l'armée 
navale,  battit  à  Gattari  les  Espagnols  (1638),  qu'il  avait 
chassés  des  îles  Sainte-Marguerite.  Louis  Nogaret  d'Eper- 
non,  cardinal  de  La  Valette  et  archevêque  de  Toulouse 
sans  avoir  reçu  les  ordres  sacrés,  s'était  démis  de  ses  fonc- 
tions ecclésiastiques  pour  commander  successivement  les 
armées  d'Allemagne,  dAlsace,  de  Picardie  et  d'Italie.  (1634- 

1639-) 

2.  M.  Hérault^  lieutenant  de  police.  (M.) 


250  Clair  ambault-Maurepas. 

Je  fis  de  grand  matin  attaquer  une  place  ^. 
Avant  midi  la  garnison 
Se  rendit  à  discrétion, 

Et  par  le  commandant  me  fit  demander  grâce. 
Après  ces  exploits  glorieux, 
Oui,  sire,  j'oserai  vous  dire 
Que  vous  ne  pouvez  faire  mieux 
Pour  la  gloire  de  votre  empire, 
Que  de  me  donner  promptement 
Le  bâton  de  commandement. 

Le  zèle,  les  talents,  le  cœur,  la  vigilance, 
Suppléeront  à  l'expérience  ; 
Il  faut  de  l'argent  pour  les  frais, 
Même  beaucoup,  et  vous  n'en  avez  guère, 

Mais  ce  que  j'ai  donné  pour  ménager  la  paix 

Je  le  retirerai  pour  soutenir  la  guerre, 

Et  ce  que  j'ai  donné,  sire,  monte  si  haut. 
Que  j'en  aurai  plus  qu'il  n'en  faut 
Pour  entretenir  vos  armées, 

Quand  la  guerre  devrait  durer  plusieurs  années. 
Ici  finit  le  cardinal, 

Et  le  roi  lui  promit  qu'il  serait  général. 

Peut-on  douter  qu'un  tel  athlète 

N'efface  Richelieu,  Sourdis  et  La  Valette  ? 

I.  Le  collège  de  Sainte-Barbe.  (M.) 


Année    lySi.  2^)1 


LE  ROI  AU  PARLEMENT 


Le  roi  vint  en  son  Parlement^ 

Pour  un  sujet  bien  important, 

Il  s'agissait  d'un  coup  d'Etat. 

Alléluia. 

Il  fallait  faire  avec  éclat 
Triompher  Rome  et  Loyola, 
Il  vint  donc  exprès  pour  cela. 

Son  chancelier  au  bon  parti 
Tout  nouvellement  converti  - 
Sa  rhétorique  déploya. 


1.  Fleury,  qui  avait  préparé  par  la  rétractation  du  car- 
dinal de  Noailies  et  les  sévérités  déployées  contre  la  Sor- 
bonne,  le  triomphe  de  la  bulle  Unigenitus,  adressa,  le 
30  août,  au  Parlement,  une  déclaration  qui  obligeait  tous 
les  ecclésiastiques  du  royaume  à  xtcoxovc  purement  et  sim- 
plement la  Constitution.  Cet  envoi  fut  mal  accueilli  par 
les  magistrats,  et  le  ministre  prévoyant  que  la  déclaration 
serait  rejetée,  la  fit  enregistrer  d'autorité  dans  un  lit  de 
justice  que  le  roi  alla  tenir  le  3  avril  au  Parlement. 

2.  L'abbé  Pucelle,  janséniste  fougueux,  s  opposa  à  l'en- 
registrement, et  fit  remarquer  que  ce  qui  1  étonnait  le  plus 
dans  cette  affaire,  c'était  de  voir  la  déclaration  soutenue 
par  le  chancelier,  autrefois  adversaire  de  la  bulle.  Quantum 
mîitatîis  ab  illo,  dit-il  à  d'x\guesseau,  que  1  on  appela  dès 
lors  par  raillerie  le  chancelier  Mutatits. 


252  C  lairambaul  t-AIaUi 


Messieurs,  dit-il  aux  Sénateurs, 
Le  roi  condamne  vos  lenteurs, 
Vite,  enregistrez  donc  cela. 

Secondez  notre  bon  dessein, 
Devenez  le  Sénat  romain, 
C'est  un  beau  nom  que  celui-là. 

On  remontra  très  humblement, 
Très  fortement,  très  vivement. 
Puis,  après,  on  enregistra. 

Ceux  qui  se  disent  compagnons 
De  Jésus  que  nous  adorons 
Chantèrent  tous  en  ce  jour-là. 

Vintimille,  tout  transporté, 
Au  lieu  de  Benedicite 
But  sa  rasade  et  s'écria  : 
AUchiia! 


Année    lySi.  253 


LES 

INFORTUNES   DU  JUIF   DULYS 


PÉLissiER,  Marseille  a  des  chaînes^ 
Bien  moins  funestes  que  les  tiennes. 
Sous  tes  fers  on  est  accablé, 
Sans  que  jamais  rien  tranquillise, 
Quand  on  les  porte  on  est  volé, 
On  est  roué  quand  on  les  brise. 

Admirez  combien  on  estime 

Les  coups  d'archet  plus  que  la  rime  : 

Oue  Voltaire  soit  assommé^ 


1.  Le  juif  Dulys,  qui  était  en  intrigue  avec  laPélissier, 
prit  une  haine  contre  Francœur,  violon  de  l'Opéra  qui 
était  aussi  en  intrigue  avec  elle.  Dulys  lui  avait  fait  pré- 
sent de  cinquante  mille  li\Tes  de  diamants  sur  ce  qu'elle 
lui  avait  promis  de  passer  en  Hollande  avec  lui  ;  quand  il 
fut  sur  son  départ,  elle  ne  voulut  point  partir.  Lui,  piqué 
de  cela,  dès  qu'il  fut  en  Hollande,  chargea  un  laquais  qu'il 
avait,  de  venir  à  Paris  et  de  faire  assassiner  Francœur,  ce 
qui  n'a  pas  réussi.  Mais  ce  laquais  qui  s'était  mis  en  œuvre 
de  faire  ce  que  son  maître  lui  avait  commandé  ayant  été 
pris  fut  rompu,  et  Dulys  le  fut  en  effigie.  CM.).  —  Le  Châ- 
tekt  ne  les  avait  condamnés  qu'à  être  pendus,  mais  sur  un 
appel  à  niinima  la  Tournelle  les  condamna  à  la  roue. 

2.  Les  chaînes  des  galères. 

3.  Voltaire  reçut  des  coups  de  bâton,  l'affaire  n'eut  au- 
cune suite.  (M.).  —  Le  chevalier  de  Rohan,  qui  avait  attiré 

V.  22 


234  Cl  airambault-AIaurepas. 

Thémis  se  tait,  la  cour  le  joue; 
Que  Francœur  ne  soit  qu'alarmé^ 
Le  complot  seul  mène  à  la  roue. 

La  vengeance  n'est  point  permise  : 
Thémis  défend  toute  entreprise 
Qui  tend  à  nuire  à  son  prochain  ; 
Mais,  puisque  le  roi  l'autorise, 
On  doit  brûler  une  p.... 
Qui  sans  scrupule  judaïse  ^. 

Le  héros  de  la  sjmagogue 

Qui  te  mit  richement  en  vogue, 

Voltaire  dans  un  lâche  guet-apens,  ne  fut  pas  inquiété  et 
Voltaire  qui  voulut  en  tirer  vengeance  fut  mis  à  la  Bastille. 

1.  Il  est  \Tai  que  l'alarme  fut  chaude.  «  Si  j'étais  à  la 
place  de  Francœur,  déclare  Barbier,  je  tremblerais  tou- 
jours ;  il  y  a  bien  à  appréhender  avec  un  homme  (Dulys) 
qui  a  tant  d'argent  et  qui  doit  être  piqué  personnellement 
par  une  condamnation  pareille,  qui  d'ailleurs  a  tout  son 
bien  en  pa3^s  étranger.  » 

2.  L'avocat  Barbier  est  bien  de  cet  avis  :  «  Puisqu'on  a 
été  si  rigide  dans  cette  affaire,  écrit-il,  et  qu'on  veut  sui- 
vre les  ordonnances,  il  fallait  décréter  M"*^  Pélissier,  car 
la  voilà  véhémentement  soupçonnée  d'avoir  eu  commerce 
avec  un  juif,  ce  qui  est  défendu  sous  des  peines.  D'ailleurs 
c'est  une  gueuse  qui  par  son  libertinage  est  cause  de  tous 
ces  malheurs.  Ayant  un  amant  comme  Dulj's,  qui  lui  a  fait 
beaucoup  de  bien,  elle  ne  devait  pas  être  en  débauche 
avec  Francœur.  Cela  seul  méritait  de  la  faire  enfermer  ; 
hiais  parce  qu'on  a  besoin  de  M"^  Pélissier  à  l'Opéra  de 
Paris,  on  l'a  laissée  là  et  on  regarde  cela  comme  une  gen- 
tillesse. »  On  voit  par  là  que  les  gens  de  théâtre  commen- 
çaient déjà  à  prendre  dans  la  société  une  importance 
excessive. 


Année    ij3i.  255 


Dans  un  triste  état  est  réduit. 
Tu  le  fis  ta  dupe  idolâtre, 
Sur  l'échafaud  il  n'est  conduit 
Que  pour  t'avoir  vue  au  théâtre. 

Que  Dulys  soit  mis  à  la  roue 
Et  que  Francœur  de  lui  se  joue, 
Cela  paraît  impertinent. 
Mais  si  Thémis  voulait  bien  faire, 
Pélissier  irait  pour  dix  ans 
Habiter  la  Salpêtrière. 

Malepeste,  quelle  colère 
Dans  ce  petit  dieu  de  Cythère  ! 
Passe  pour  mettre  son  bandeau, 
Je  lui  pardonne  toute  ruse; 
Mais  qu'Amour  se  fasse  bourreau, 
Ma  foi,  ce  trait  est  sans  excuse. 

Manon  Francœur,  quel  avantage  ! 
Thémis  pour  toi  fait  le  partage  ; 
La  Grève  venge  tes  plaisirs, 
Ta  gloire  immole  ta  victime, 
Après  d'illicites  soupirs, 
Ton  arrêt,  déesse,  est  un  crime. 


Sirène  par  ta  voix  et  par  ta  trahison. 

Jamais  le  tendre  amour  n'éclaira  tes  mystères. 

Le  principe  grossier  de  tes  feux  adultères 


256  Clair  ambault-Maurepas. 

Étonne  moins  encor  l'honneur  que  la  raison  ! 
Infâme  Dalila  d'une  nouvelle  espèce, 
La  force  de  Dulys  était  dans  sa  richesse. 
Si  ton  perfide  cœur  en  fait  un  assassin, 
Tu  devrais  partager  l'honneur  de  son  destin. 
Viens  repaître  tes  yeux  d'un  spectacle  barbare, 
Vois  ton  bienfaiteur  au  gibet  ; 
Il  est  vrai  qu'il  n'est  qu'en  portrait, 
Cette  réflexion  qu'inspire  le  Tartare 
Doit  te  causer  quelque  regret. 
Pour  consoler  ton  cœur  de  boue, 
Le  portrait  de  Dulys  t'offre  un  secours  certain, 
Ce  juif,  représenté  sur  une  infâme  roue, 
Est  moins  déshonoré  qu'il  ne  l'est  dans  ta  main. 


REQUÊTE 
DE    DEUX  CHIENNES  1 


Mouche  et  Plutonne  -,  c'est  le  nom 
De  deux  barbettes  de  renom, 
Qui  sont  vos  très  humbles  servantes 
Et  qui  viennent,  très  suppliantes, 

1.  Présentée  à  M>  Gauche,  gouverneur  du  Palais-Royal, 
par  deux  chiennes  qui  appartiennent  au  garde  qui  fait 
la  ronde  dans  le  jardin  du  Palais-Royal.  (M.) 

2.  Chiennes  qui  appartiennent  audit  garde. 


Année    ijSi,  zy 


Par  devers  vous  crier  merci 

Pour  cas  qui  les  met  en  souci. 

C'est  au  sujet  d'une  ordonnance 

Qui  fait  une  expresse  défense 

A  tout  incivil  animal 

D'entrer  dans  le  Palais-Royal , 

Et  surtout  à  la  gent  canine. 

Cet  ordre,  en  effet,  les  chagrine, 

Mais  leur  respect  est  le  plus  fort  ; 

Elles  sentent  qu'on  n'a  point  tort 

D'agir  avec  cette  rudesse 

Envers  tous  ceux  de  leur  espèce. 

Jadis,  ils  osèrent  gâter 

La  demeure  de  Jupiter, 

Mais  leur  punition  fut  telle 

Qu'aucun  n'en  rapporta  nouvelle  ; 

Ce  qui  fait  que  chiens  de  leur  nez 

S'entrefont  fête  où  vous  savez. 

Ceci  peut  être  une  imposture, 

Mais  comme  on  craint  que  telle  injure 

Ne  se  commette  de  la  part 

De  ces  animaux,  sans  égard 

Pour  les  lieux  les  plus  vénérables, 

On  ne  veut  point  que  leurs  semblables 

Entrent  désormais  dans  celui 

Qu'on  doit  respecter  aujourd'hui, 

Tant  pour  les  beautés  qu'il  enserre 

Que  pour  le  maître  qu'on  révère. 

Les  suppliantes  cependant, 

Sans  condamner  aucunement 

V.  22. 


;5g  Ciairambault-AIaurepas. 

L'équité  de  cette  ordonnance, 
Voudraient  pour  elles  seulement 
Qu'on  pût  avoir  quelque  indulgence, 
Vous  remontrant  très  humblement 
Qu'une  semblable  complaisance 
Ne  peut  tirer  à  conséquence; 
Qu'il  est  chiens  et  chiens  dans  Paris. 
Celles-ci  sont  chiennes  d'un  prix 
Qui  vaut  bien  qu'on  leur  fasse  grâce, 
Les  distinguant  entièrement 
Des  vils  animaux  de  leur  race. 
Car,  sans  parler  qu'en  les  voyant 
Un  des  premiers  princes  du  sang 
Fut  charmé  de  leur  gentillesse 
Et  daigna  leur  faire  caresse, 
On  peut,  sans  risque,  être  garant 
De  leur  réser^-e  et  leur  sagesse. 
Tant  on  prit  soin  correctement 
De  bien  diriger  leur  jeunesse. 
Permettez  donc  que,  librement. 
Elles  puissent  avoir  entrée 
Dans  cette  enceinte  révérée, 
Qui  de  Paris  fait  à  présent 
Les  délices  et  l'ornement. 
Si  vous  honorez  leur  prière 
De  cette  faveur  singulière, 
Plutonne  vous  remerciera 
Et  Mouche  vous  caressera. 
Si  vous  aimez  qu'on  vous  caresse  ; 
Comme  elle  vous  divertira, 


Année    itSi 


'59 


Si  vous  voulez  voir  son  adresse, 

Sa  légèreté,  sa  souplesse. 

Leur  maître  aussi  vous  répondra, 

Car  il  est  bon  qu'il  en  réponde, 

Que  sur  elles  il  veillera. 

Si  bien  qu'il  ne  se  passera 

Rien  de  déshonnête  et  d'immonde 

Dans  ce  rendez-vous  du  beau  monde. 

De  plus,  il  vous  assurera 

Que,  plus  sages  dans  leur  conduite 

Que  bien  des  filles  d'Opéra, 

Nulle  des  deux  ne  permettra 

Qu'aucun  galant  vienne  à  sa  suite. 

Ainsi,  soyez  en  sûreté 

Contre  toute  incongruité 

De  la  part  des  deux  suppliantes, 

Oui  sont  vos  très  humbles  ser\'antes. 


LE 

TOMBEAU   DU  DIACRE  PARIS 


Humble  et  vrai  pénitent,  au  sortir  du  berceau, 
Paris  ne  sut  que  prier  et  se  taire; 

I.  Le  diacre   François  de  Paris,  janséniste  convaincu, 
appelant  et  réappelant  au  futur  concile,  mourut  en   1727, 


260  Cl  air  amb  ault-AIaurep  as. 

De  la  bulle  il  pleura  le  ténébreux  mystère, 
Pour  elle  à  Dieu  s'offrit,  victime  volontaire. 
Et  contre  elle  appelant  descendit  au  tombeau 
Mais,  par  un  prodige  nouveau, 
Sa  cendre,  aujourd'hui  salutaire, 
De  la  bulle  devient  le  terrible  fléau  *. 


Pourquoi  de  Lo3'ola  la  cabale  empirique 
De  ce  tombeau,  célèbre  en  miracles  féconds, 

dans  une  modeste  maison  du  faubourg  Saint-Marcel,  où  il 
avait  passé  les  dernières  années  de  sa  vie,  distribuant  tout 
son  bien  aux  pamTes,  et  fut  enterré  dans  le  petit  cimetière 
de  Saint-Médard.  Les  adversaires  de  la  bulle  songèrent  à 
exploiter  la  vénération  dont  il  était  l'objet,  pour  soutenir 
leur  parti  chancelant,  et,  dès  1728,  publièrent  impudemment 
une  foule  de  miracles  accomplis  sur  son  tombeau.  Le  car- 
dinal de  Xoailles  avait  ordonné  des  informations  à  ce 
sujet  ;  on  les  interrompit  sur  les  instances  deM.de  Chau- 
velin,  et  il  ne  fut  presque  plus  question  du  diacre  Paris 
jusqu'en  173 1. 

I.  L'avocat  Barbier  constate,  avec  une  bonhomie  rail- 
leuse, la  résurrection  de  cette  superstition  janséniste,  qui 
prit  tout  d'un  coup  des  proportions  extraordinaires  :  «  Il 
arrive,  dit-il,  une  mauvaise  aventure  aux  molinistes  et 
constitutionnaires.  Ce  M.  Paris,  qui  est  mort  en  1727, 
était  resté  tranquille  pendant  quelque  temps,  c'est-à-dire 
sans  faire  de  miracles.  Ma  foi  !  il  a  repris  vigueur  ;  depuis 
deux  mois,  il  y  a  toujours  une  afïluence  de  monde  éton- 
nante à  son  tombeau,  quelque  éloigné  qu'il  soit.  Nombre 
de  carrosses,  des  hommes  comme  des  femmes,  des  personnes 
de  distinction.  Il  y  a  eu  plusieurs  miracles,  qui  tombent 
assez  A'olontiers  sur  les  gens  paral3'tiques  ;  le  peuple 
chante  de  lui-même  un  Te  Deiim  ;  cela  fait  grand  plaisir 
aux  jansénistes  dont  il  faisait  corps.  >>  , 


Année   ijSl.  261 


Fuit-elle  avec  horreur  l'approche  :  est-ce  orgueil  ?  Non  ! 
Serait-ce  jalousie  ou  cause  antipathique  ? 

Non  !  je  devine  la  raison 
Du  vieux  mal  appelé  péché  philosophique, 
A  la  Société,  suivant  la  foi  publique, 

Aussi  cher  sans  comparaison 
Que  XUnigenitiis  forgé  dans  sa  boutique, 

Elle  craint  trop  la  guérison. 


Partisans  de  l'erreur,  venez  à  ce  tombeau  ^, 

Vous  verrez  tous  les  jours  un  miracle  nouveau. 

Ici  loge  Paris,  la  parfaite  copie 

Du  célèbre  Ouesnel,  ce  monstre  d'hérésie; 

Il  occupa  ses  jours  (belle  dévotion  !) 

A  l'imiter  en  tout  comme  un  digne  patron  : 

Fut-il  rien  de  plus  noble  ?  Il  méprisa  l'Éghse, 

En  voilà  bien  assez  pour  qu'on  le  canonise. 

Ce  saint  fut  peu  soumis  au  décret  émané 

Pour  foudroyer  l'erreur  d'un  livre  empoisonné. 

Selon  lui,  le  Sauveur  ne  permet  plus  à  Pierre 

De  paître  ses  agneaux  et  d'en  être  le  père  ; 

Il  est,  après  cela,  dans  le  séjour  divin, 

Il  a  pour  compagnons  et  Luther  et  Calvin. 


I.  Épitaphe  de  François  de  Paris  par  les  jésuites.  (M.) 


262  Clairambault-AIaure 


pas. 


Jésuites  aveuglés,  venez  à  ce  tombeau  ^, 

Dieu  pourra  faire  en  vous  un  miracle  nouveau. 

Mais  non.  vous  n'êtes  que  l'exécrable  copie 

De  l'affreux  Molina,  père  de  l'hérésie. 

Vous  avez  tous  pour  lui  grande  dévotion, 

Et  vous  le  chérissez  comme  un  digne  patron. 

En  voilà  bien  assez  pour  qu'on  le  canonise. 

Votre  cabale  impie  a  renversé  l'Eglise; 

Vous  avez  arrêté  le  décret  émané 

Qui  foudroyait  d'un  coup  son  livre  empoisonné. 

Selon  vous,  le  Sauveur  avait  permis  à  Pierre 

D'être  de  Molina  le  véritable  père. 

Entrez,  après  cela,  dans  le  séjour  divin. 

Xon  :  mais  vous  irez  voir  et  Luther  et  Calvin. 


Girard,  jésuite,  et  Paris,  appelant  ^, 
En  miracles  féconds  mais  d'un  goût  différent. 
Ont  toujours,  de  tout  temps,  pensé  si  peu  de  même 
Que  pour  guérir  ils  ont  un  différent  système. 
Paris  sur  son  tombeau  reçoit  le  patient, 
Girard  sur  la  malade,  au  contraire,  s'étend. 


1.  Réponse  aux  jésuites  sur  les  mêmes  rimes.  (M.) 

2.  Parallèle  de  M.  de  Paris,  avec  le  P.   Girard.   (M.  — 
Sur  le  P.  Girard,  Cf.  ci-après,  p.  274.) 


Année   ijSi.  26\ 


Des  miracles  sans  équivoque, 
Venez  les  voir,  monsieur  Languet 
Ce  n'est  pas  Marie  Alacoque, 
C'est  un  appelant  qui  les  fait  K 


LES^ 

MIRACLES  DU   DIACRE  PARIS^ 


Apprenez,  troupeau  sévère. 
Que  Paris  le  réfractaire 
Triomphe  après  son  trépas  ! 

1.  Les  jansénistes,  pour  attirer  la  foule  à  Saint-Médard 
et  entretenir  la  crédulité  populaire,  firent  graver  une 
estampe  représentant  l'abbé  Paris  à  mi-corps,  et  les  mains 
jointes  devant  un  crucifix,  avec  cette  légende  :  «  François 
de  Pâj-is,  diacre,  mort  en  odeur  de  sainteté,  le  i*^""  mars 
1727^  âgé  de  trente-sept  ans.  »  Autour  de  son  écusson  on 
lisait  cette  réclame  :  «  Tel  était  M.  de  Paris,  auprès  delà 
croix  de  J.-Ch.,  unissant  les  travaux  de  la  pénitence,  les 
douleurs  de  son  corps  à  celles  de  son  Sauveur,  dont  il 
imitait  la  charité.  So?i  tombeau  se  visite  avec  concours  à 
Saint-Médard,  au  faubourg  Saint-Marcel-Vez-Paris.  »  Le 
lieutenant  de  police  fit  arrêter  les  imagiers;  mais  le  branle 
était  donné  ;  les  pèlerinages  ne  se  ralentirent  pas  ;  «  tant 
y  a,  remarque  Marais,  que  ni  le  ministre,  ni  la  police,  ni 
l'archevêque  ne  peuvent  empêcher  le  cours  de  cette  dévo- 
tion ou  superstition  populaire.  » 

2.  Les  molinistes  n'épargnèrent  point  leurs  railleries  au 
bienheureux  Paris  :  cette  pièce  en  est  la  preuve. 


264  Clairamhault-AIaurepas 

Frères,  exaltons, 
Canonisons 
Cet  homme-là  ! 
Nous  mettrons  l'Eglise  à  quia/ 

Laissons  gronder  Rome, 
Le  crédit  de  ce  saint  homme 
Bientôt  l'anéantira. 
Frères,  exaltons, 
Canonisons 
Cet  homme-là! 
Nous  mettrons  l'Église  à  quia! 

On  lui  fait  maintes  neuvaines, 

Il  fait  miracles  à  centaines, 

Le  badaud  chantant  s'en  va  : 

Il  en  fait  ci^ 

Il  en  fait  là. 

Il  en  fait  tout  du  haut  en  bas. 

Que  parmi  nous  on  travaille 
A  confirmer  la  canaille 
Dans  l'aveuglement  qu'elle  a; 
Culbutons  ci. 
Culbutons  là, 
Culbutons  tout  du  haut  en  bas  ! 

Chaque  malade,  en  silence 
Cachant  sa  convalescence, 
Sur  son  tombeau  s'écrira  : 


Année    Ij3i.  265 


Miracles  ci^ 

Miracles  là, 

Miracles  tout  du  haut  en  bas. 

Malgré  notre  décadence 
Et  sa  propre  conscience, 
On  l'a  vu  jusqu'au  trépas 

Appeler  ci, 

Appeler  là, 
Appeler  tout  du  haut  en  bas. 

Il  monte  au  ciel  de  la  sorte, 
Mais  Pierre  étant  à  la  porte, 
Tout  surpris  de  le  voir, 

Le  traita  ci. 

Le  traita  là. 
Le  traita  tout  du  haut  en  bas. 

Mais  Paris  avec  constance 
Appela  de  sa  sentence, 
Et  des  cieux  dégringola. 

S'en  allant  ci, 

S'en  allant  là, 
S'en  allant  tout  du  haut  en  bas. 

N'éventons  point  cette  affaire, 
Mais  imposons  au  vulgaire, 
Car  nos  élus  sans  cela 

S'en  iront  ci. 

S'en  iront  là, 


23 


>.66  Clairamhault-AIaurepas, 

La,  la,  la,  la, 
S'en  iront  tout  du  haut  en  bas  ^. 


LE  MANDEMENT 
DE  M.  DE  VINTIMILLE2 

J' AVONS  SU  que  notre  archevêque 
Donnait  un  écrit  qui  disait 

1.  Bien  que  Voltaire  ne  soit  pas  une  autorité  en  matière 
religieuse,  il  est  permis  de  lui  emprunter  son  explication, 
parfaitement  rationnelle,  des  prétendus  miracles  opérés  à 
Saint-Médard  :  «  Quelques  personnes  du  parti,  qui  allèrent 
prier  sur  le  tombeau,  eurent  l'imagination  si  frappée,  que 
leurs  organes  ébranlés  leur  donnèrent  de  légères  convul- 
sions. Aussitôt  la  tombe  fut  environnée  du  peuple  ;  la 
foule  s'y  pressait  jour  et  nuit.  Ceux  qui  montaient  sur  la 
tombe  donnaient  à  leurs  corps  des  secousses,  qu'ils  pre- 
naient eux-mêmes  pour  des  prodiges.  Les  fauteurs  secrets 
du  parti  encourageaient  cette  frénésie.  On  priait  en  langue 
vulgaire  autour  du  tombeau  :  on  ne  parlait  que  de  sourds 
qui  avaient  entendu  quelques  paroles,  d'aveugles  qui 
avaient  entrevu,  d'estropiés  qui  avaient  marché  droit 
quelques  moments  ;  les  prodiges  étaient  même  juridique- 
ment attestés  par  une  foule  de  témoins  qui  les  avaient 
presque  vus,  parce  qu'ils  étaient  venus  dans  l'espérance  de 
les  voir...  Le  tombeau  du  diacre  Paris  fut  le  tombeau  du 
jansénisme  dans  l'esprit  de  tous  les  honnêtes  gens.  Ces 
farces  auraient  eu  des  suites  sérieuses  dans  des  temps 
moins  éclairés.  Il  semblait  que  ceux  qui  les  protégeaient 
ignorassent  à  quel  siècle  ils  avaient  affaire.  »  [Siècle  de 
Louis  XIV) 

2.  Mandement  du  25  juihet  1731.  (M.) 


Année   ij3i.  26y 


Que  je  n'étions  tous  que  des  bêtes 
De  voir  plus  clair  qu'il  ne  voyait; 
S'il  pouvait  donner  la  brelue, 
Sans  doute  qu'il  arriverait. 
Que  sa  pièce  n'étant  plus  lue, 
Personne  alors  ne  crierait, 
Comme  voilà  qui  est  fait  ! 


Vos  mandements  sont  des  oracles, 
Au  Seigneur  ils  vont  expliquer 
Les  règles  qu'il  doit  pratiquer 
Pour  faire  des  miracles. 


A  tort  on  est  scandalisé  ^ 

Du  mandement  que  Vintimille 


I.  «  Le  mandement  de  M.  l'archevêque  contre  les  mi- 
racles du  bienheureux  Paris  est  lâché,  mais  ce  n'est  que 
de  la  poudre  en  l'air  ;  on  y  court  plus  que  jamais,  et  les 
miracles  ne  cessent  point.  On  trouve  mauvais  que  l'arche- 
vêque ait  joint  à  son  mandement  deux  rapports  de  méde- 
cins et  de  chirurgiens  où  la  physique  des  menstrues  est 
expliquée  tout  au  plus  clair.  Les  femmes  disent  qu'il  ne 
faut  pas  révéler  ces  secrets  ;  qu'on  leur  a  manqué  de  res- 
pect et  de  bienséance  en  public,  et  que  cela  ne  devait 
point  être  à  la  suite  de  la  lettre  épiscopale,  et,  en  effet, 
ils  n'avaient  qu'à  vendre  ces  deux  feuilles  séparées  pour 
éviter  la  jonction  que  l'on  dit  être  obscène ;]&  l'ai  entendue 
nommer  ainsi  par  une  femme  d'esprit.  »  {Coj-resp.  de 
Marais.) 


268  Clairamhault-AIaurepa. 

A  fait  répandre  dans  la  ville, 
Disait  un  docteur  avisé; 
C'est  un  usage  invariable, 
Quand  un  saint  est  canonisé, 
D'écouter  l'avocat  du  diable. 


Ton  mandement,  gros  Vintimille, 
Est  rejeté  de  tes  curés, 
On  trouve  que  tu  dégobilles 
Plusieurs  morceaux  mal  digérés. 


FACETIES 

SUR 

^      MONSEIGNEUR  DE  VINTIMILLE 


Notre  archevêque  est  à  Conflans  ^ 
Comme  un  grand  solitaire, 
Comme  un  grand  so...  comme  un  grand  solitaire. 

I.  A  Conflans  près  Charenton  se  trouvait  la  maison  de 
campagne  des  archevêques  de  Paris.  Harlay  de  Champ- 
vallon,  qui  l'avait  achetée  en  1672  au  duc  de  Richelieu,  la 
fit  rebâtir  à  neuf  et  la  légua  à  ses  successeurs.  EJUe  était 


Année    ij3i.  269 


L'unique  soin  de  son  troupeau 
Toujours  le  so...  toujours  le  sollicite. 

Dans  ses  études  il  était 
Le  plus  beau  des...  le  plus  beau  des  écoles. 

Il  pourrait  sans  s'incommoder 
Vivre  de  son...  vivre  de  son  domaine. 

C'est  le  miroir  d'un  saint  parfait, 
C'est  un  vrai  poj...  c'est  un  vrai  portrait  d'ange. 

Il  est  l'auteur  du  mandement, 
C'est  lui  qui  m'en...  c'est  lui  qui  m'en  assure. 

Ce  mandement  est  un  écrit 
Oui  sert  au  eu...  qui  sert  au  curé  sage. 

On  dit  qu'il  fait  pendant  la  nuit 
De  rudes  pé...  de  rudes  pénitences. 

Il  se  fait  servir  en  mangeant 
Toujours  en  porc...  toujours  en  porcelaine. 

Il  se  purge  après  ses  repas 
Avec  des  ro...  avec  des  rocamboles. 


située  sur  la  pente  d'un  coteau,  avec  une  vue  charmante 
sur  la  Marne  et  sur  une  vaste  plaine,  et  comprenait  une 
île  dans  ses  dépendances. 

V.  23. 


270  Clair  ambault-Maurepas. 

Pour  vaincre  la  tentation, 
On  le  voit  sous...  on  le  voit  sous  les  armes. 

Il  devrait,  pour  être  connu, 
Porter  son  baptistaire. 
Porter  son  ba...  porter  son  baptistaire. 


LE    BENIDICITE 


MONSEIGNEUR  DE  VINTIMILLE 

Ouvrons  les  yeux,  levons  la  tête. 
Le  temps  d'abomination 
Que  Dieu  prédit  par  son  prophète 
Vient  de  paraître  dans  Sion. 
Ecce. 

Des  ministres,  dont  le  faux  zèle 
Ne  tend  qu'à  détruire  la  loi, 
Prêchent  la  morale  nouvelle 
Et  tâchent  d'éteindre  la  foi 

Nunc. 

Un  prélat  sans  inquiétude 

La  met  dans  un  très  grand  danger, 


Année    l'jSl.  2'j\ 


Et  fait  sa  principale  étude 
De  savoir  bien  entonner 
Benedicite. 

Disciple  des  enfants  d'Ignace, 
Il  croit  que  l'on  peut  se  sauver 
Sans  avoir  besoin  de  la  grâce 
Et  sans  être  obligé  d'aimer 
Domimim. 

Il  veut  que  dans  son  diocèse 
On  suive,  sans  examiner, 
Une  doctrine  si  mauvaise, 
Sinon  il  ferait  exiler 
Omnes  ^. 

Entêté  des  fausses  maximes. 
Il  commence  à  persécuter  • 
Des  docteurs  qui  n'ont  d'autres  crimes 
Que  de  vouloir  toujours  rester 
Servi  Domini. 

Vous  en  rendez  bon  témoignage, 
Vous  qu'il  tâche  à  remercier. 
Que  ne  met-il  pas  en  usage 
Pour  vous  faire  tous  succomber, 
Oui  statis. 


I.  Tous  les  appelants.  (M.) 


272  Cl  air  amhault- Maure-pas. 

Mais  par  un  courage  héroïque 
Et  des  discours  pleins  de  ferveur, 
Vous  confondez  ce  politique 
Qui  voudrait  bien  semer  l'erreur 
In  domo  Domini. 

Semblables  aux  premiers  fidèles, 
Vous  êtes  prêts  à  endurer 
Les  morts  même  les  plus  cruelles 
Plutôt  que  de  scandaliser 
In  atriis  domus  Dei  nostri. 

Jaloux  du  salut  de  vos  frères, 
Vous  voulez  en  eux  confirmer 
La  foi  qu'ont  enseignée  vos  pères 
Et  les  empêcher  de  marcher 
In  noctibus. 

Ah  !  quel  bonheur  pour  vous,  fidèles, 
D'avoir  de  si  grands  défenseurs. 
Tâchez  de  répondre  à  leurs  zèles; 
Mais  pour  l'obtenir  du  Seigneur, 
Extollite  maniLS  vestras. 

Suivez  toujours  ces  guides  sages 
Qui,  bien  loin  de  vous  égarer. 
Sauront  plutôt  vous  préserver 
De  l'erreur  et  de  l'esclavage. 
Benedicite  Dominum. 


Année    lySi, 


Et  toi,  prélat  qui,  sans  scrupule, 
Exerces  tant  de  cruautés 
Pour  faire  accepter  une  bulle 
Si  contraire  à  la  vérité, 

Bcnedicat  te  Doinimim. 

Loin  de  faire  tant  de  ravage, 
Tu  devrais  plutôt  imiter 
Les  vertus  des  saints  personnages 
Que  tu  t'efforces  d'éloigner 
Ex  Sion. 

Car  ta  conduite  et  ta  morale 
Scandalisent  fort  aujourd'hui  : 
Or,  en  matière  de  scandale. 
Tu  sais  quel  malheur  pour  celui 
Oui  fecit. 

Mets  donc  ordre  à  ta  conscience, 
Eloigne  de  toi  les  flatteurs 
Qui  pourraient  causer  ton  malheur, 
Veux-tu  perdre  par  complaisance 
Cœhcm. 

Hélas  !  que  je  plaindrais  ton  sort 
Si  tu  n'avais  pour  l'autre  vie 
D'autre  appui  que  leurs  passe-ports 
Quand  il  faudra  quitter  la  vie 
Et  terrain. 


274  Clairambault-Maurepa 


LE  P.  GIRARD  ET  LA  CADIEREi 


Chez  les  jésuites  de  Toulon 
Est  arrivé  grand  carillon  ; 
Un  recteur,  outré  de  colère, 
Au  confesseur  Girard  a  dit  : 
Eh  fi  !  méritez-vous,  mon  père, 
De  porter  un  si  saint  habit? 


I.  «  Nos  bons  amis  les  jésuites  sont  malencontreux.  En 
même  temps  que  les  affaires  de  la  religion,  les  miracles 
de  M.  Paris,  les  persécutions  qu'on  a  faites  à  tous  les 
prêtres,  leur  ont  attiré,  on  peut  le  dire,  la  haine  de  la 
plus  grande  partie  de  Paris.  Il  est  arrivé  une  diable  d'his- 
toire au  recteur  de  la  maison  des  jésuites  de  Toulon, 
homme  de  cinquante  ans,  appelé  le  P.  Girard,  qui  fait  un 
procès  épouvantable  au  parlement  d'Aix,  dans  lequel  il 
n'est  accusé  que  d'avoir  suborné  une  pénitente  de  dix-huit 
ans,  nommée  M'"'  Cadière,  de  l'avoir  ensorcelée,  de  lui 
avoir  fait  un  enfant,  et  de  l'avoir  fait  avorter.  Nombre  de 
mémoires  imprimés  de  part  et  d'autre  se  distribuent  publi- 
quement à  la  porte  des  promenades  et  des  spectacles.  » 
[Journ.  de  Barbier)  —  Bien  qu'il  soit  difficile  de  se  pro- 
noncer sur  une  affaire  aussi  grave,  il  paraît  résulter  de 
l'examen  impartial  des  faits  que  la  Cadière  était  une  exta- 
tique, dont  les  ennemis  des  jésuites  mirent  habilement  à 
profit  les  divagations.  Sous  l'influence  du  P.  Girard,  elle 
avait  eu  des  extases  et  des  visions;  un  carme  janséniste 
qui  remplaça  le  jésuite  lui  fit  avouer  ce  qui  s'était  passé 
entre  elle  et  son  ancien  directeur,  et  rendit  publics  ces 
aveux  qui  ne  tardèrent  pas  à  être  commentés,  amplifiés,  et 
même  indignement  travestis. 


Année    Ij3l.  275 


Quoi  donc  !  des  filles  !  quelle  erreur 
A  séduit  votre  lâche  cœur  ? 
Il  est  vrai  que,  plein  d'indulgence 
Pour  nos  pauvres  convalescents, 
Nous  leur  en  laissons  par  souffrance, 
Mais  pour  vous  c'est  un  contre-sens. 

Il  vous  sied  bien  d'être  galant, 
Autant  vaudrait  être  appelant; 
Que  dira-t-on  de  cette  époque? 
Prétendez-vous,  esprit  gâté, 
D'une  autre  jNIarie  Alacoque  ^ 
Enrichir  la  société  ? 

Quel  était  votre  égarement 
Ou  plutôt  votre  aveuglement? 
Pour  une  fille,  je  vous  prie, 
Vo3^ez  quel  trouble  et  quel  fracas  ! 
La  Grande  et  Petite-Ecurie - 
Nous  causerait  moins  d'embarras. 

Pour  assoupir  ce  bruit  fatal, 
Il  vous  faut  un  peu  d'air  natal. 
Allez,  partez  en  diligence, 
Le  légat  est  de  nos  amis, 


1.  Plaisanterie  sur  l'archevêque  de  Sens.  [Note  de  Bar- 
bier) 

2.  Les  pages    de  la  grande  et  petite  écurie.   (AW<?   de 
Barbier.) 


276  Clairamhault-Maurepas. 

Bientôt  dans  l'étroite  observance 
Par  ses  soins  vous  serez  remis. 


Un  jésuite  admirant 
De  la  jeune  Cadière 

La  beauté, 
Pour  contenter  ses  feux, 
Prit  la  route  ordinaire  : 

La  rareté  ! 
En  faveur  de  son  choix 
Pardonnez  au  bon  père 

La  curiosité. 


LA  COLOMBE  ET  LE  CORBEAU^ 

On  raconte  que  par  le  monde 
Est  un  pays  où  des  corbeaux 

I.  «  Un  poète  provençal  a  fait  une  très  jolie  fable  qui 
est  l'aUégorie  de  l'affaire  du  P.  Girard  et  de  la  Cadière  ; 
les  vers  en  sont  tendres  et  doux  dans  l'affaire  du  monde 
qui  paraissait  le  moins  susceptible  de  ce  style,  et  cepen- 
dant ils  vous  paraîtront  de  bonne  main,  »  écrit  Marais  à 
Bouhier,  en  lui  envoyant  cette  pièce,  qui  est  une  para- 
phrase du  vers  : 

Dat  ventant  corvîs,  vexât  censura  columhas. 


Année    iy3i.  277 


L'engeance  cruelle  et  féconde 
Insulte  impunément  au  reste  des  oiseaux, 

Que  dans  les  accès  de  leur  haine, 

L'aigle  même,  leur  souveraine, 

Se  voit  parfois  en  butte  aux  traits 

De  ces  redoutables  sujets. 

C'est  dans  cette  contrée  indigne 
Qu'une  jeune  colombe  aussi  blanche  qu'un  cygne, 

D'un  de  ces  oiseaux  dangereux, 

Fort  âgé,  mais  plus  cauteleux, 
A  ses  avis  trompeurs  s'étant  abandonnée. 

Devint  la  proie  infortunée. 
Et  de  ses  jeunes  ans  oubliant  la  candeur 
Bientôt  du  vieil  oiseau  prit  toute  la  noirceur. 

—  La  blancheur  de  votre  plumage. 
Ma  fille,  disait-il,  est  un  signe  certain 
Que  la  faveur  du  ciel  dans  votre  premier  âge 

Vous  prépare  un  heureux  destin. 
Les  rares  qualités  dont  vous  êtes  comblée 
Font  voir  à  quel  bonheur  vous  êtes  appelée. 
Voulez-vous  cultiver  ces  beaux  commencements, 
Ayez  soin  de  répondre  à  mes  empressements. 

Une  colombe  jeune  et  belle 

A  besoin  d'un  ami  fidèle 
Qui  toujours  l'encourage  et  borne  ses  désirs 
Aux  soins  de  modérer  ses  timides  soupirs. 
Gardez-vous  d'écouter  le  funeste  ramage 
Des  hôtes  séduisants  du  plus  prochain  bocage  : 
Leurs  accents  dangereux  dans  votre  jeune  cœur 
Jetteraient  sûrement  le  poison  de  l'erreur. 

V.  24 


278  Clair  ambault-Maurepas. 

Libre  de  tout  souci,  tranquille  et  solitaire, 

Écoutez  seulement  là  voix  de  votre  père. 

A  sa  tendre  amitié,  ma  fille,  livrez-vous  ; 

Vous  l'aimez,  il  vous  aime  ;  est-il  rien  de  plus  doux  ?  — 

La  colombe,  à  ces  mots,  simple  autant  que  soumise, 

De  ce  vieux  papelart  ignorant  l'entreprise, 

Sans  contrainte  à  genoux  découvre  ses  attraits  ; 

Elle  s'expose  à  tous  ses  traits. 
Mais  bien^t,  connaissant  le  mal  qui  la  possède, 
La  colombe  en  gémit,  en  cherche  le  remède. 
Tandis  que  le  trompeur  rit  de  ses  vains  efforts, 
Et  chasse  adroitement  sa  honte  et  ses  remords. 
Cependant  un  ramier,  ami  de  la  colombe, 
Qui  voit  bien  qu'à  regret  la  pauvrette  succombe, 
L'anime,  l'encourage  à  quitter  ce  séjour 
Où  le  corbeau  rusé  la  traitait  en  vautour. 
Quelle  fut  sa  douleur,  quand  rendue  à  soi-même. 
Rappelant  du  corbeau  le  cruel  stratagème, 
Ses  noirs  empressements,  ses  soins  insidieux, 
Sur  son  illusion  elle  jette  les  )^eux; 

Qu'elle  vit  que  de  son  plumage 
La  beauté,  la  blancheur  n'étaient  plus  le  partage  I 

Sa  plainte  aigrissant  ses  soupirs, 
Vainement  elle  veut  cacher  ses  déplaisirs. 

Les  bois  voisins  en  retentissent. 
Les  fidèles  échos  à  leur  tour  en  gémissent. 
La  Renommée  instruit  de  ces  forfaits  nouveaux 

L'aréopage  des  oiseaux  ; 

A  l'instant  leur  zèle  s'anime. 
Et  des  dieux  outragés  demande  la  victime. 


Année    l'jSi.  2y^ 

La  colombe  n'a  pour  appui 

Que  ses  larmes  et  son  ennui; 
Le  cerbeau  plus  rusé  fait  agir  ses  confrères, 
De  la  faible  vertu  terribles  adversaires, 
Le  crédit,  la  faveur,  marchent  devant  leurs  pas. 
La  colombe  se  plaint,  on  ne  l'écoute  pas. 
Les  oiseaux  assemblés  l'accusent  de  folie, 

Sa  plainte  n'est  que  calomnie  ; 
Et  Thémis,  sur  ses  yeux  appuyant  son  bandeau, 
Voit  la  colombe  noire  et  blanchit  le  corbeau. 

Je  parle  à  vous,  sexe  débile, 
Qui  cherchez  les  sentiers  que  montre  l'Evangile; 
Au  choix  d'un  conducteur  réfléchissez  beaucoup. 
Sous  la  peau  de  l'agneau  souvent  l'on  trouve  un  loup. 


OUBLIEZ-VOUS 
ET   LAISSEZ   FAIRE 


Père  Girard  n'est  plus  jésuite, 
Il  ne  veut  plus  tergiverser; 
Amour  Giton,  Girard  vous  quitte, 
Avec  Vénus  il  veut  chasser; 

I.  Les  chansons  sur  le  P.  Girard  et  la  Cadière  fournies 
par  les  Recueils  mss.  suffiraient  à  composer  un  volume. 
«  Tout  cela,  dit  M.  Ch.  Nisard,  est  d'un  libertinage  à  le 
disputer  aux  Priapées,  et  est  bien  plus  spirituel  ;  car  c'est 


28o  Clairambault-Maurepas, 

Ces  mots  sont  sur  sa  gibecière  : 
Oubliez-vous  et  laissez  faire. 

Par  le  chasseur  on  doit  entendre 
Un  directeur  savant  dans  l'art 
D'amuser  fille  et  la  surprendre. 
Or,  lui  disait  le  papelart 
Avecque  sa  gamme  ordinaire  : 
Oubliez-vous  et  laissez  faire. 

L'innocente  Alix  y  fut  prise, 
Il  la  prenait  ;  à  résister 
La  pauvre  enfant  n'était  apprise  ; 
Le  fourbe  sut  en  profiter. 
Gagnons  le  ciel,  dit-il,  ma  chère, 
Oubliez-vous  et  laissez  faire. 

Un  jour,  ma  sœur,  vous  serez  sainte, 
Allez,  c'est  là  votre  destin; 
Mettez  donc  bas  mouchoir  et  crainte, 
Laissez-moi  baiser  votre  sein 
Et  toucher  votre  reliquaire  ; 
Oubliez-vous  et  laissez  faire. 

Ah  !  mon  père,  je  suis  fervente. 
Qu'il  soit  fait  à  votre  désir, 

dans  ces  œuvres  de  démon  que  les  chansonniers  ont  mis 
le  plus  de  soin.  »  Mais  il  était  impossible  de  tout  publier, 
et  nous  avons  dû  nous  borner  à  un  choix  de  pièces  rap- 
pelant les  principaux  détails  de  cette  triste  affaire. 


Année   Ij3l 


Dit  cette  fille  haletante 
De  quiétisme  et  de  plaisir. 
Elle  dirigea  sa  prière, 
Oublia  tout  et  laissa  faire. 


IMPRECATIONS 


CONTRE    LE 


PARQUET  DU  PARLEMENT  D'AIX^ 


De  Quille,  Gueidan  et  Ripert, 

Vils  esclaves  d'un  jésuite, 

Vous  qui  condamnez  de  concert 

Une  vierge  par  lui  séduite, 

On  voit  bien  l'esprit  qui  vous  guide, 

Et  que  la  faveur  de  la  cour, 

Oui  vous  ronge  comme  un  vautour, 

A  votre  jugement  préside. 

Le  ciel,  vengeur  de  tels  forfaits. 

Saura  bien  punir  votre  crime. 


I,  M.  de  Gueidan,  avocat  général,  M.  de  Guille,  procu- 
reur général,  M.  de  Ripert,  procureur  général,  avaient, 
par  leurs  conclusions,  condamné  la  Cadière  à  être  pendue 
et  au  préalable  appliquée  à  la  torture  ordinaire  et  extraor- 
dinaire, et  avaient  innocenté  le  P.  Girard.  (M.) 
V.  24. 


282  Clair  ambault-Maur  ep  as. 


Et  la  cour,  par  un  juste  arrêt, 
Sauver  l'innocente  victime. 
Qu'à  jamais  les  races  futures 
Parlent  de  vous  avec  horreur, 
Qu'on  n'en  parle  qu'à  contre-cœur; 
Que  vos  trois  noms  soient  trois  injures, 
Que  vos  femmes  soient  adultères  ^ , 
Vos  proches  ligués  contre  vous-  ; 
Que  vos  fils,  honteux  comme  hibous  ^, 
Rougissent  d'avoir  de  tels  pères  ; 
Qu'en  France  et  dans  l'Europe  entière, 
Ayant  nommé  vos  trois  noms. 
On  fasse  trois  pas  en  arrière 
_         En  signe  d'exécration. 

Que  votre  inquiète  paupière 
S'ouvre  à  tout  moment  et  sans  fruit. 
Que  l'image  de  la  Cadière 
Vous  persécute  jour  et  nuit, 
Que  devant  l'Etre  souverain 
Bans  un  an  cités  à  répondre. 
Aggravant  sur  vous  trois  la  main, 
Il  puisse  à  jamais  vous  confondre. 
Que  les  foudres  et  les  orages 
Tombent  sur  vos  postérités, 

1.  Ils  sont  tous  les  trois  jaloux  de  leurs  femmes  soup- 
çonnées de  galanterie.  (M.) 

2.  M.  de  Gueidan  plaide  contre  son  père  et  ses  frères. 
Les  deux  autres  ont  aussi  des  procès  contre  leurs  pa- 
rents. (M.) 

3.  Le  fils  de  M.  de  Guille  fut  obligé  de  quitter  le  service 
des  galères  par  rapport  à  son  père.  (M.) 


Année    Ij3l.  -283 

Que  les  torrents  fassent  ravage 
Dans  vos  champs  et  propriétés; 
Qu'il  ne  reste  de  vos  trois  races 
Qu'horreur  et  malédictions, 
Et  qu'à  l'envi  on  se  surpasse 
En  horribles  imprécations  ! 


L'ARRÊT 
DU   PARLEMENT   D'AIX 


Or  écoutez,  petits  et  grands, 
Quel  est  l'arrêt  des  plus  criants 

I.  Le  jugement  fut  prononcé  le  10  octobre,  et  le  public 
qui  attendait  impatiemment  la  condamnation  du  P.  Girard, 
fut  totalement  déçu  par  la  teneur  de  l'arrêt  :  «  C'est  bien 
cette  fois-ci  qu'on  peut  dire  parîuriunt  montes,  nascitur 
ridiciihis  mus,  écrivait  Marais  à  son  ami  Bouhier.  Le  pro- 
cès d'Aix  a  été  jugé,  et  toutes  les  parties  ont  été  mises 
hors  de  cour.  La  Cadière,  le  P.  Girard,  le  carme,  le  jaco- 
bin, l'ecclésiastique  n'ont  soin  qu'à  s'embrasser  et  oublier 
tout.  On  dit  qu'il  y  a  eu  douze  voix  pour  brûler  le  jé- 
suite, et  douze  pour  le  mettre  hors  de  cour,  ce  qui  a  fait 
un  partage  qui  a  passé  à  l'avis  le  plus  doux  ;  voilà  une 
compensation  des  conclusions  qui  pendaient  la  fille.  L'ar- 
rêt renvoie  le  jésuite  à  M.  l'évêque  de  Toulon  pour  être 
admonesté,  et  l'on  ne  doute  pas  que  l'admonestation  ne 
soit  des  plus  tendres  ;  si  l'évêque  faisait  bien,  il  l'admones- 
terait d'aller  ailleurs  exercer  ses  talents.  » 


284  Clair  ambault-Maurep  as. 

Que  le  Parlement  de  Provence, 
Autrefois  un  des  bons  de  France, 
A  rendu  sans  aucun  égard 
Pour  blanchir  le  père  Girard. 

Ce  jésuite,  infâme  bigot, 
Méritait  au  moins  le  fagot, 
Pour  avoir  séduit  la  Cadière 
De  la  plus  damnable  manière 
Avec  d'autres  filles  aussi 
Qu'il  dirigeait  à  sa  merci. 

Quoique  convaincu  pleinement, 
Par  son  propre  aveu  seulement, 
L'arrêt  le  décharge  de  crime 
Et  le  renvoie  en  bonne  estime 
Au  juge  églisier  qui  déjà 
Avait  sauvé  ce  scélérat. 

Puisqu'on  lave  ainsi  l'accusé 
Et  qu'il  est  en  tout  excusé. 
Les  accusateurs  sont  coupables 
Et  par  conséquent  punissables  ^. 
Non,  ils  ont  dit  la  vérité; 
Par  grâce  tous  ont  liberté. 


I.  Aussi  est-ce  avec  juste  raison  que  Barbier  se  de- 
mande «  comment,  l'arrêt  étant  passé  au  plus  doux  à  la 
décharge  du  P.  Girard,  est-il  possible  qu'on  ne  lui  donne 
ni  dommages  et  intérêts,  ni  réparation,  après  les  crimes 
infâmes  dont  on  l'a  accusé.  » 


Année    lySi.  285 


Oh  !  quel  étrange  jugement. 
Oui  de  lui-même  se  dément; 
Quelle  en  sera  la  conséquence  ? 
Du  sacrement  de  pénitence 
Chacun  redoutant  les  abus, 
Se  confesser  ne  voudra  plus. 

Les  directeurs  par  ce  canal 
Peuvent  faire  impunément  mal  ; 
Corrompre  même  les  Lucrèces, 
Usurper  toutes  nos  richesses, 
S'il  s'en  trouve  de  bons  entre  eux. 
Ils  sont  interdits  en  tous  lieux. 


Ministres  du  pouvoir  suprême, 
Sacrés  interprètes  des  lois, 
Par  quel  contraste  et  quel  désir  extrême 
Avez-vous  partagé  vos  voix? 
Vous  déshonorez  à  la  fois 
Votre  nom  et  le  diadème. 
Si  Girard  de  Cadière  est  l'affreux  suborneur, 
Il  faut,  pour  en  sauver  l'honneur. 
Que  dans  le  feu  le  tartufe  périsse  ^  ; 


I.  «  La  bonne  ville  de  Paris,  qui  est  janséniste  depuis 
la  tête  jusqu'aux  pieds,  est  fort  irritée  contre  l'arrêt,  qu'on 
regarde  comme  très  injuste.  On  voulait  absolument  que 
le  P.  Girard  fût  brûlé.  La  veille  que  la  nouvelle  pouvait 
arriver  d'Aix  par  la  poste,  qui  était  lundi   15  de  ce  mois, 


286  Clairamhault-Maurepas. 

Si  la  Cadière,  sans  pudeur, 
Est  noire  calomniatrice, 
Que  ne  sent-elle  la  rigueur 
D'une  éclairée  et  sévère  justice? 
Je  ne  saurais  me  figurer  comment 
Ce  couple  entier  peut  paraître  innocent  : 
Si  l'un  des  deux  n'est  point  exempt  de  crime, 
Je  ne  saurais  trouver  de  détour  ni  de  rime 
Pour  l'exempter  de  châtiment. 
Esclaves  vils  du  corps  jésuitique, 
De  cet  horrible  corps  déshonorés  amis, 

Par  votre  infâme  politique 
Vous  devenez  l'objet  de  l'horreur  de  Thémis. 


PIECE    PAYSANNE 


L'ARRET  DU  PARLEMENT  D'AIX 


Sais-tu,  Colin,  ce  qu'an  dit  à  Paris  ? 
Par  lajnorguienne  y  sont  bian  ébaudis, 

le  bruit  fut  général  dans  Paris  qu'il  était  arrivé  un  courrier 
extraordinaire,  et  que  le  P.  Girard,  non  seulement  avait 
été  jugé,  mais  qu'il  avait  été  réellement  pendu  et  brûlé.  Le 
lendemain,  on  apprit  tout  le  contraire.  {Journ.  de  Barbier.) 


Année    lySi.  287 


Te  souvian-t-il  de  cette  la  Cadière 

Dont  je  luisions  les  factotums  naguère; 

Comme  ai  disait  que  le  père  Girard 

Drès  qu'il  était  avec  aile  à  l'écart, 

Après  avoir  bian  varouillé  la  porte, 

La  visitait  comme  une  bête  mortel 

Pis  la  tâtoit  et  la  lentiponait 

Tant  qu'un  biau  jour  ce  vilain  maladrait 

L'avait  rendue,  à  ce  qu'aile  disait,  mère; 

Et  pis  encore,  le  plus  mal  de  l'affaire, 

C'est  que  le  drôle  avait  su  bian  et  biau 

Envoyer  ça  tout  d'un  coup  à  vauliau  ; 

Que  finement  il  avait,  par  adresse, 

Embabouiné  en  allant  à  confesse. 

Où  son  haleine  était  un  franc  poison 

Qui  partroublait  aux  filles  la  raison. 

Tant  y  a  qu'après  elles  deveniont  folles, 

N'aimiont  point  Guieu,  faisiont  cent  cabrioles  ; 

Pourquoi  disiant  qu'il  était  un  sorcier 

Et  n'aviant  pu  de  l'y  se  défier. 

Dame  j'étions  en  si  grande  colère 

Que  je  voulions  que  l'an  brûlît  ce  père 

Et  qu'en  l'y  fit  répartition  d'honneur. 

Si  les  discours  des  autres  étions  menteurs. 

Car  je  disions,  si  c'était  calomnie, 

La  chienne  doit  être,  ma  foi,  punie  ; 

Au  lieu  que  si  c'est  vrai  ce  qu'aile  nous  dit, 


I.  «  Je  vous  avoue  que   la  bête  morte,    qui   représeote 
l'extase,  m'a  bien  fait  rire  »,  écrit  Marais  à  Bouhier. 


288  Clairamhault'Maurepas. 

Faudrait  griller  ce  Lucifer  maudit. 

Au  diable  !  ces  monsieurs  de  Provence, 

Avont  à  tous  baillé  pleine  indulgence; 

C'est  la  besogne  à  Jean  cogne-fétu 

Qui  a  plus  mis,  plus  enfin  a  perdu; 

Et  nanmoins  l'an  dit  que  les  jésuites 

De  ça  pour  rien  n'avons  pas  été  quittes, 

Qu'il  a  fallu  pour  ce  biau  jugement 

Aux  juges  d'Aix  lâcher  biaucoup  d'argent. 

S'ils  n' avont  pas  fait  pendre  la  Cadière, 

C'est  qu'il  avont  l'himeur  trop  minagère, 

Et  c'est  jarni  leur  faute  assurément 

Car  ils  n'avont  payé  tout  simplement 

Que  pour  sauver  Girard  de  la  brûlure. 

y  pouviont  mieux  tarminer  l'aventure  : 

S'ils  aviont  pris,  par  ma  foi,  mon  avis, 

En  les  aurait  tout  à  leur  gré  sarvis. 

Y  n'y  fallait  que  redoubler  la  dose, 

Ils  auriont  eu,  ma  foi,  tout  autre  chose. 

Les  Provenciaux  sont  comme  les  Normands, 

Plus  recevont,  plus  y  sarvont  les  gens. 

Encor  dit-on  qu'an  envoyé  ce  prêtre 

Cheux  son  prélat  pour  l'y  laver  la  tête. 

En  est  bian  sûr  qu'y  ne  l'y  dira  rian, 

Mais  stapendant  ça  ne  sonne  pas  bian. 

A-t-on  jamais  baillé  des  pénitences 

Qu'à  ceux  qu'aviont  mauvaises  consciences  ? 

C'est  donc  l'y  qu'est  styla  qu'a  plus  mal  fait. 

Ça  saute  aux  yeux  et  se  voit  clar  et  net. 

Les  bons  caffards  en  ont  grand  chagrinage, 


Année   Ij3i, 


Y  soupirent,  grinçont  les  dents  de  rage, 
Car  dans  le  fond  y  sentont  comme  nous 
Que  ce  n'est  pas  ainsi  qu'en  est  absous. 
Il  eût  fallu,  pour  leur  bailler  victoire 
Et  rapiécer  un  tantinet  leur  gloire, 
Que  ceux  qu'en  dit  pire  que  pendre  d'eu.'c, 
Fussiant  punis  comme  calomnieux, 
Ou  l'en  dira  toujours  qu'en  leur  fait  grâce, 
Et  que  vêla  leux  tours  de  passe-passe, 
Qu'ils  avont  tant  de  finances  et  d'amis, 
Que  tout  le  mal  qu'ils  font  leur  est  permis; 
Mais,  maugré  ça,  dès  qu'on  verra  les  drilles 
En  crira  garre  aux  garçons  comme  aux  filles. 


EPI  GRAMMES 


L'ARRET  DU  PARLEMENT  D'AIX 

Girard,  plein  d'une  ardeur  infâme, 
D'une  fille  fait  une  femme, 
Et  la  fait  passer  pour  catin. 
Mais  le  Parlement  plus  habile, 
Usant  du  pouvoir  souverain, 
D'une  femme  fait  une  fille. 


2S 


200  Clair  ambàult-Maurepas. 

J'admire  cet  arrêt,  tout  y  tient  du  prodige, 
Le  crime  et  la  vertu,  mis  au  même  niveau, 
Y  sont  l'étonnement  des  aigles  du  barreau. 
On  n'y  voit  de  Thémis  ni  trace  ni  vestige. 
Mais  on  découvre  enfin  que  l'or  est  le  prestige 
Oui  noircit  la  colombe  et  blanchit  le  corbeau. 


Un  jésuite  brûlant  d'une  impudique  flamme. 
Peut  vivre  impunément  dans  un  commerce  infâme. 
Corrompre  la  jeunesse  et  faire  pis  encor, 
Braver  même  nos  rois  jusque  dans  la  Bastille. 
Tous  ces  crimes  en  lui  ne  sont  que  peccadille  ; 
Il  peut  tout  entreprendre  avec  sa  poudre  d'or. 
Si  le  fameux  Cartouche  eût  eu  cette  ressource, 
Il  couperait  encor  et  la  gorge  et  la  bourse. 


Indignes  juges  de  Provence, 
Girard  sera,  malgré  vos  dents, 
Par  arrêt  de  toute  la  France, 
Noir  en  dehors,  noir  en  dedans. 
Que  votre  bêtise  est  extrême, 
Vile  troupe  de  magistrats. 
Vous  vous  êtes  noircis  vous-même 
Pour  blanchir  le  plus  noir  de  tous  les  scélérats. 


Année   i  jSi .  2^1 


Oui,  Pilate  a  nos  yeux  paraît  moins  exécrable  : 
Il  fit  quelques  efforts  pour  sauver  l'innocent. 
Du  moins  pour  son  arrêt  il  ne  prit  point  d'argent 
Et  vous  en  recevez  pour  sauver  un  coupable. 


Excusez  notre  procédé  S 
Le  ministre  nous  a  mandé 
De  sauver  un  des  coqs  d'Ignace, 
Et  cette  abominable  race 
Nous  a  gagné  par  tant  d'argent, 
Que  l'on  n'a  pu  faire  autrement. 


On  n'a  point  vu  le  phénix  naître  -, 
Eh  donc  !  chaque  chose  a  son  temp> 
On  le  verra  bientôt  paraître. 
Puisqu'on  a  vu  le  merle  blanc. 


Qu'un  scélérat  évite  le  trépas, 

Que  par  le  crédit  et  la  brigue 
Girard  ait  pu  sortir  d'intrigue, 
Cela  ne  me  surprend  pas  ; 

1.  Réponse  des  juges  de  Provence  aux  attaques  dirigées 
contre  eux. 

2.  Impromptu  d'un  Gascon,  en  parlant  du  P.  Girard.  (M.) 


Cl  airambaulî-31  ourevas. 


Mais  qu'à  sa  mort  pour  saint  on  nous  le  donne  ^, 
Et  qu'on  nous  croie  assez  bénais 
Pour  penser  qu'on  juge  des  faits 
Au  ciel  comme  au  parlement  d'Aix, 
C'est  là  ce  qui  m'étonne. 


LES  DEMELES  DES  AVOCATS 


On  ôte  sourdement,  malgré  les  vœux  de  l'ordre  ^, 
Maraimberg  ^  du  tableau  ;  pour  causer  ce  désordre, 

1.  Cette  pièce  doit  être  de  l'année  1733.  On  lit  à  cette 
date  dans  le  Journal  de  Barbier  :  «  Le  4  de  ce  mois  d'août, 
le  fameux  P.  Girard  est  mort  dans  la  maison  des  jésuites  à 
Dôle.  On  a  répandu  qu'il  était  mort  en  odeur  de  sainteté.  » 

2.  «  Ce  fut  vers  ce  temps  que  les  avocats  prirent  le 
titre  à! ordre  ;  ils  trouvèrent  le  terme  de  co7-ps  trop  commun  ; 
ils  répétèrent  si  souvent  Vordre  des  avocats,  que  le  public 
s'y  accoutuma,  quoiqu'ils  ne  soient  ni  un  ordre  de  l'État, 
ni  un  ordre  militaire,  ni  un  ordre  religieux,  et  que  ce  mot 
fût  absolument  étranger  à  leur  profession.  »  (VOLTAIRE.) 

3.  L'avocat  Maraimberg  avait  fait  imprimer  (nov.  1730) 
un  mémoire  en  faveur  des  curés  d'Orléans,  avec  la  signa- 
ture de  quarante  avocats,  parmi  lesquels  treize  seulement 
avaient  eu  connaissance  de  l'acte.  Comme  ce  mémoire 
avait  provoqué  l'irritation  de  la  cour,  il  fut  question  de 
ra3-er  Maraimberg  du  tableau,  mais  les  trois  quarts  des 
avocats  se  prononcèrent  en  sa  faveur.  Alors  le  bâtonnier 
sortant,  Tartarin,  de  concert  avec  Normant  et  quelques 
autres,  cédant  aux  suggestions  de  Fleury,  raya  Maraim- 
berg de  son  autorité  privée. 


Année    !j3l.  293 


Normant  en  trahison  a  surpassé  Daunard, 
Le  lâche  Tartarin  a  porté  l'étendard; 
Si  Julien  l'Apostat  était  encore  en  vie, 
Un  Julien  de  Prunay  lui  tiendrait  compagnie. 
L'aveugle  Duhamel  faisant  le  connaisseur 
A  jugé  du  tableau  comme  il  fait  la  couleur. 
Portail,  bien  autrement,  veut  avoir  la  victoire 
Et  remporter  surtout  et  l'honneur  et  la  gloire. 
Depuis  longtemps  il  court  après  le  grand  cordon  ; 
Fallait-il  l'acheter  aux  dépens  de  son  nom  ! 
S'il  le  paye,  il  est  vrai,  du  prix  de  sa  naissance, 
Il  lui  coûtera  moins  que  tout  ce  que  l'on  pense  ; 
Son  bisaïeul  fameux,  la  lancette  à  la  main, 
Faisait,  sans  contredit,  trembler  le  genre  humain. 
Le  prince  le  connaît  d'une  conduite  sage 
Et  l'arrêt  du  conseil  en  est  le  témoignage  ^ . 


A  ne  plus  plaider  de  la  vie 
Vous  vous  résoudrez  vainement  '  ; 


1.  Le  7  septembre  avait  été  rendu,  par  le  Parlement, 
un  arrêt  qui  établissait  «  que  la  puissance  temporelle  est 
indépendante  de  toute  autre  puissance,  et  qu'à  elle  seule 
appartenait  de  contraindre  les  sujets  du  roi,  et  que  les 
ministres  de  l'Eglise  étaient  comptables  au  Parlement, 
sous  l'autorité  du  monarque,  de  l'exercice  de  leur  juridic- 
tion. Il  fut  cassé  le  lendemain  par  un  arrêt  du  conseil. 

2.  Au  mois  d'août,  la  cour  autorisa  par  arrêt  du  con- 
seil, nonobstant  l'appel  comme  d'abus  interjeté  par  le 
procureur   général,   la   publication   d'une   ordonnance  de 

V.  25. 


2p4  Clairambault-Maurepas. 

Sans  savoir  pourquoi  ni  comment. 
Vous  reprendrez  bientôt  l'envie. 


Dans  ma  jeunesse 
Les  Cicérons  du  temps. 
Aidés  des  Parlements 
Contre  les  courtisans, 
Soutenaient  l'innocent, 
Le  peuple  et  la  noblesse. 
Aujourd'hui  ce  n'est  plus  cela, 
Ministre  subtil. 
Parlement  docile, 
Normant  est  facile, 
Son  corps  imbécile, 
Et  l'ordre  va 
Cahin,  caha. 


Pau\Tes  avocats  de  Paris, 

Pourquoi  changez-vous  d'avis  ^  ? 

l'archevêque  de  Paris  qui  déclarait  hérétiques  les  quarante 
avocats  favorables  aux  curés  d'Orléans.  Les  avocats  s'abs- 
tinrent dès  lors  de  plaider  et  dix  d'entre  eux  furent  exilés. 
I.  Ils  reprirent  leurs  fonctions,  au  mois  de  novembre, 
lors  delà  rentrée  du  Parlement.  «J'ai  eu  raison,  remarque 
Barbier,  de  dire  que  le  public  n'approuverait  pas  la 
démarche  des  avocats;  aussi  n'ont-ils  pas  été  longtemps 
sans  avoir  le  petit  couplet  de  chanson  sur  des  airs  qui  ont 
été  chantés  à  la  foire  dernière,  à  l'Opéra-Comiquc.  » 


Année    iiSi. 


7^1.  295 


Croyez-vous  que  dans  la  gloire 
Fleury  vous  rétablira? 
L'on  vous  en  ratisse,  tisse,  tisse  ! 
L'on  vous  en  ratissera. 


j:.E  LYNX^ 


Au  milieu  des  travaux  où  brille  ta  prudence, 
Hérault,  je  te  demande  un  instant  d'audience; 
Daigne  me  l'accorder  et  souffre  que  ma  voix 
Loin  du  monde  et  du  bruit  t'appelle  dans  les  bois. 
D'autres,  pour  acquérir  l'honneur  de  ton  estime, 
Pourront  avec  éclat  prendre  un  effort  sublime. 
Mon  style  manque  d'art,  mais  sa  simplicité 
Fait  rendre  à  la  vertu  ce  qu'elle  a  mérité. 

Certaine  chronique  rapporte 
Que,  dans  une  forêt  pleine  d'oiseaux  divers 

Et  d'animaux  de  toute  sorte. 

Entra  jadis  l'esprit  pervers  ; 
Aussitôt  les  larcins,  les  meurtres,  le  carnage, 


I.  A  M.  Hérault,  conseiller  d'État,  lieutenant  général 
de  police.  (M.)  —  Cet  apologue  flatteur  pour  le  magistrat 
doit  être  l'œuvre  d'un  moliniste  ;  on  verra  ailleurs  (Cf.  t.  VI, 
année  1732)  comment  les  jansénistes  traitaient  leur  adver- 
saire. 


2()6  C  laira  m  bau  It-Ma  urepcs. 


Les  trahisons,  le  brigandage, 
Y  vinrent  déployer  leur  coupable  fureur. 
La  raison  du  plus  fort  emportait  la  balance. 
Le  vice  triomphait,  la  timide  innocence 

Perdait  ses  soupirs  et  ses  peines. 

Sultan  lion,  dont  lame  généreuse 
Souffrait  avec  chagrin  de  pareils  attentats, 
Résolut  d'extirper  du  sein  de  ses  Etats 

Cette  licence  dangereuse. 

Pour  remplir  un  projet  si  .beau, 

Il  se  servit  du  ministère 

D'un  lynx  qui  suivait  le  flambeau 

De  l'équité  la  plus  austère. 

A  son  aspect  les  crimes  confondus 

Cherchèrent  en  vain  un  asile  ; 

Sa  vigilance  et  ses  soins  assidus 

Rendirent  la  forêt  tranquille. 
I-e  pigeon  du  vautour  méprisa  la  fureur 
Et  l'innocent  agneau  vit  le  loup  sans  terreur. 

Sage  magistrat,  cette  fable 
X'a  point  l'obscurité  des  énigmes  du  Sphinx. 
Paris  de  son  repos  à  tes  soins  redevable 
Verra  facilement  que  ma  Muse  équitable 
Xe  songeait  qu'à  toi  seul,  en  dépeignant  le  lynx. 


Année    ijSl.  297 


L'ETAT  DE  LA  FRANCE 


Tout  change  aujourd'hui  dans  la  France, 

Nouveau  rival  de  Richelieu, 

Fleury  s'arme  de  violence, 

L'avocat  se  plaît  au  silence, 

Le  conseil  semble  croire  en  Dieu. 

Le  Parlement  devient  traitable 

Par  la  crainte  des  châtiments, 

Vintimille  quitte  la  table 

Pour  composer  des  mandements; 

Les  curés,  d'un  ton  charitable, 

A  leurs  prélats  font  des  leçons. 

On  brave  Rome  et  ses  oracles. 

L'appelant  produit  des  miracles, 

Les  jésuites  font  des  poupons. 


Qu'elle  était  triomphante 
Notre  vieille  cour  ! 
Sous  la  même  tente, 
La  gloire  et  l'amour 
Conquêtes  brillantes 
Ou  fêtes  galantes 
Marquaient  chaque  jour. 


298  Clairambault-Maurepas. 

Le  gros  jeu  qui  possède 

Kos  guerriers  oisifs 

N'était  qu'intermède 

De  plaisirs  plus  vifs. 

Aujourd'hui  quel  ennui 

Devant  le  noir  scrupule 

Tous  plaisirs  ont  fui. 

Et  c'est  de  la  bulle 

Que  chacun  postule, 

Tout  bien,  tout  appui. 


L'Espagnol  trompé  nous  maudit^ 
L'Anglais  rusé  s'en  est  dédit, 
L'empereur  partout  envahit. 
Le  pape  en  fureur  interdit. 
L'archevêque  a  bon  appétit, 
D'Aguesseau  pour  et  contre  écrite 
Chauvelin  a  tout  le  crédit, 
L'inutile  Ony  ^  dépérit, 
Le  magistrat  tonne  et  faiblit, 
Le  fier  avocat  s'applaudit, 
Le  guerrier  fainéant  vieillit. 
Le  seul  financier  s'enrichit; 
Le  peuple  languissant  gémit, 

I.  Philibert  Orry,  comte  de  Vignori,  ancien  intendant 
de  Soissons,  de  Perpignan  et  de  Lille,  avait  été  appelé 
en  1730  au  contrôle  générel  des  finances,  vacant  par  la 
retraite  de  Le  Pelletier  Des  Forts. 


Année   lySi.  299 


Le  royaume  accablé  périt. 

Le  bénin  cardinal  s'en  rit^ 

Le  roi  rien  ne  fait,  rien  ne  dit, 

Ainsi  l'a  ce  vieux  prêtre  instruit. 


TABLE    DES   MATIERES 


Pages. 

Introduction  historique  :  Le  règne  de 
Louis  XV,  Ministère  du  duc  de   Bourbon  et  du 

cardinal  Fleur}- i 

ANNÉE   1724. 

Le  duc  de  Bourbon r 

Le  Mariage  du  duc  d'Orléans 4 

Les  Princesses 6 

Epître  au  prince  de  Tingry & 

Gazette  de  Chantilly 9- 

L'Air  grave 14 

Les  Exploits  de  Madame  de  La  Vrillière 16 

La  Joie  de  M.  de  La  Vrillière 18 

Momus  fabuliste 19 

Les  Prélats  et  la  bulle  Unigenihcs 20 

Epigrammes  diverses 23 

ANNÉE    1725. 

Les  Trois  Ducs  au  Parlement 29 

La  Vanité  de  Dodun 3^ 

V.  26 


302  Table    des   matières. 

Pages. 

Le  Jansénisme  de  l'abbesse  de  Chelles 37 

Les  Exploits  du  duc  de  Bourbon 40 

Le  Mariage  du  roi 43 

Marie  Leczinska 47 

La  Disgrâce  de  'SI.  d'Ombreval 49 

Conseils  à  la  Reine 51 

Epigrammes  sur  le  Gouvernement 53 

Épigrammes  diverses 57 


ANNÉE    1726. 

Le  Passé  et  le  Présent 65 

Les  Portraits  de  la  cour 68 

Les  Deux  ministres 70 

La  Disgrâce  du  duc  de  Bourbon 73 

Le  Ministère  de  M.  le  Duc 77 

Le  Rappel  de  Le  Blanc 85 

Épître  à  M.  Le  Pelletier  Des  Forts 88 

L'Aventure  de  M.  de  Montempuis 92 

Epigrammes  diverses loi 


ANNEE   1727. 

Les  Quatre  vertus  cardinales 105 

Le  Génie  de  Des  Forts 107 

Les  Auteurs  de  l'édit  des  rentes 109 

Le  Concile  d'Embrun m 

L'Eglise  romaine 122 

Le  Coche 127 

Les  Regrets  de  Madame  de  Prie 131 


Table   des   matières.  303. 


ANNÉE  1728. 

Pages. 

La  Consultation  des  avocats  de  Paris 133 

Remercîment  des  Jansénistes  aux  avocats  de  Paris.  138 

Portrait  de  M,  Bou5m  d'Angervilliers 141 

Le  Chat  de  Petitpied I43 

Les  Talents  du  cardinal  Fleurj' 145 

La  Rétractation  du  cardinal  de  Noailles 149 

Les  Conseillers  de  Noailles I54 

Les  Infortunes  d'un  cadet  de  Gascogne 160 

Épigrammes  diverses 162 

ANNÉE   172g. 

Le  Péril  des  princes 169 

Épitaphes  du  cardinal  de  Noailles 170 

Portrait  de  M.  de  Vintimille,  archevêque  de  Paris.  .  172 

Confession  de  l'archevêque  de  Paris I75 

Le  Savetier  de  la  Constitution I77 

L'Opéra  nouveau ^79 

Les  Tableaux  de  Tardif 181 

La  Naissance  du  Dauphin 183 

Le  Lys  de  Versailles 187 

Dialogue  paysan  sur  la  naissance  du  Dauphin.     .     .  189- 

La  Joie  de  Paris  à  la  naissance  du  Dauphin.     .     .  192- 

Comment   faire  ? 201 

ANNÉE   1730. 

Requête  aux  avocats  de  Paris 2o3 

L'Évêque  de  Soissons  et  Marie  Alacoque.    ....  206- 


504  Table   des   matières. 

Pages. 

Epigrammes  sur  l'évêque  de  Soissons 209 

Le  Supplice  de  Baudrier 213 

Le  Tombeau  d'Adrienne  Lecouvreur 215 

La  Naissance  du  duc  d'Anjou 219 

Harangue   de   AL   Hérault   aux   écoliers  de   Sainte- 
Barbe 222 

Le  Discours  de  La  Parisière 224 

La  Récompense  de  l'avocat  Daunard 226 

Les  Aventures  de  Mademoiselle  Pélissier 228 

Le  Trio  comique 230 

Les  Gémissements  de  la  France 234 

Noëls  de  l'année  1730 238 

Epigrammes  diverses 243 


ANNÉE    I73I. 

Un  Hercule  en  enfance 247 

La  Vaillance  de  Fleury 248 

Le  Roi  au  Parlement 251 

Les  Infortunes  du  juif  Dul3-s 253 

Requête  de  deux  chiennes 256 

Le  Tombeau  du  diacre  Paris 259 

Les  Miracles  du  diacre  Paris 263 

Le  Mandement  de  M.  de  Vintimille 266 

Facéties  sur  Monseigneur  de  Vintimille 268 

Le  Benedicite  de  Monseigneur  de  Vintimille.  .     .     .  270 

Le  P.  Girard  et  la  Cadière 274 

La  Colombe  et  le  Corbeau 277 

Oubliez-vous  et  laissez  faire 279 

Imprécations  contre  le  Parquet  du  Parlement  d'Aix.  281 

L'Arrêt  du  Parlement  d'Aix 283 


Table   des   matières.  3^5 


Pages. 
Pièce  paysanne  sur  l'arrêt  du  Parlement  d'Aix.  .  •  286 
Épigrammes  sur  l'arrêt  du  Parlement  d'Aix.     ...     289 

Les  Démêlés  des  Avocats ^^2 

Le  Lynx. '      ^^ 

L'État  de  la  France ^^7 


iC. 


^crK!>^^ 


TABLE  DES  PORTRAITS 


Pages. 

Le  Duc  de  Bourbon I. 

Le  Cardinal  Fleury XXV 

Madame  de  Tencin 117 

Monseigneur  de  Vintimille 173. 

Adrienne  Lecouvreur 215 


Î3 


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